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Le Souk de Moustafette
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17 août 2007

La boudeuse

9782842631345 - Arrête de bouder ! dit une des deux dames qui squattent la maison de mes voisins depuis le début de la semaine.
Cette phrase, j'ai dû l'entendre vingt fois. Et il y  tant de compassion dans le ton de cette mère excédée, qu'il est évident que la petite N. va immédiatement se sentir autorisée à sourire...
Mais comme de toute façon "ma pauvre fille, qu'est-ce que tu as dans la tête, du yaourt ? " en a vu d'autres, ça ne dure pas trop longtemps.

Et puis il y à L. la fille de la seconde dame. L. c'est la gentille, cousine ou copine (je n'ai pas cherché à creuser la question), qui a toujours tout bon et qui en rajoute, bien aidée en cela par la propre mère de N. évidemment... L. permait quand même à N. de retrouver très vite l'usage de la parole.
Mais N. semble quand même avoir parfois du mal à trouver les mots, alors ça passe par les gestes. Elle tape. Qui ? Je sais pas, mais ça ne plait pas du tout à ses parents.

Ah oui, parce que j'ai oublié de vous dire que le père de N. est là aussi. Celui-là même qui l'autre jour, alors que sa fille faisait des dérapages sur les graviers dans la rue, la menaçait de lui "arracher la tête, si tu n'arrêtes pas tout de suite".
Les parents ne comprennent pas qu'avec tout ce qu'ils font pour elle et tout ce qu'elle a à sa disposition, à savoir son père, sa mère, une piscine, des brassards, une cousine-copine attentionnée, 200 m² de jardin dans lesquels tout ce monde est enfermé depuis dimanche dernier, ils ne comprennent pas disais-je, que "tu sois aussi infecte (madame) ou dégénérée (monsieur) ma pauvre fille !".

Tout ça pour dire quoi ? Que jeudi, jour férié et plus ou moins pluvieux, planquée dans la mezzanine, j'en ai profité pour plancher sur mes affaires de familles. Mais pour cause de fenêtre ouverte, j'ai dû aussi me coltiner celles des autres ! Et en entendant les propos des locataires voisins, est venu se rappeler à ma mémoire ce livre qui poireaute dans une pile depuis longtemps.

Le récit d'une enfant qui s'interroge sur la véracité des sentiments et qui est à l'affût de la moindre petite preuve d'amour. Elle a beau tout faire pour tenter de satisfaire sa mère,  pour se conformer à ce qu'elle imagine qu'on attend d'elle, elle échoue presque à chaque fois.
L'auteur est psychologue, et elle a su rendre à merveille le cheminement des pensées de la petite qui s'aventure dans le grand capharnaüm des émotions humaines. Sur un ton naïf et tendre, elle dépeint les angoisses que traversent tous les enfants, celle de la dévoration, de l'abandon, mais aussi la difficile prise de conscience de la mort, de la culpabilité et de l'ambivalence des sentiments.

L'auteur a su éviter l'adultomorphisme pour laisser place à des propos d'une justesse parfois cinglante de naïveté, comme seuls en sont capables les enfants. Qu'est-ce que ça peut être embrouillant le discours des parents, pas facile de s'y retrouver ! D'où les stations sur la première marche, afin de philosopher un peu sur tout ça et peut-être prendre un peu de hauteur !

"Elle se replie, se demande ce qu'elle deviendrait si elle n'avait pas la première marche de l'escalier, celle qui est tout en bas, à sa disposition, pour s'y replier.(...) Elle ne boude pas, c'est autre chose, et elle en a la claire conscience; c'est une espèce de tristesse, qui la prend tout entière, et qui la laisse désarmée, désemparée."

Chacun-chacune retrouvera ces petits riens auxquels on s'accroche dans l'enfance, les pas de la mère, les mimiques, les tics qui annoncent les humeurs parentales, et qui sont autant de codes que les enfants savent déchiffrer avant même de savoir parler, autant de repères pour se protéger ou anticiper les "allers-retours" ou le martinet !
La fin est...DIVINE !

"La première marche de l'escalier s'est transformée en moyen de transport; elle a son billet, valable à vie, pour voyager dans d'autres vies.
Tu boudes encore ? "

Merci N. ! Grâce à toi, un livre de moins dans mes piles.
Si tes parents passent dans le Souk, j'en profite pour leur suggérer qu'il y a tout autour de la maison où vous êtes cloîtrés, de merveilleux endroits à découvrir et des grands espaces, qui te seraient bien plus profitables que ces journées entières passées au bord de la piscine.
Tu veux un coup de main pour les faire bouger ?
OK. Je sors la tondeuse cet après-midi ...

La première marche     Isabelle Minière     Editions le dilettante

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6 août 2007

Chat va bien ?

9782869597778Que faire hier avec 33° au thermomètre, si ce n'est s'écrouler sur une chaise longue sous l'ombre fraîche du tilleuil, un verre de thé glacé dans une main et un livre dans l'autre. Même pas un souffle de vent pour tourner les pages. Rien pu faire d'autre, et ce petit livre y est passé dans l'après-midi.

La mère Herbe offre un petit chaton à Olga Bredaine, professeur en retraite venue s'installer à la campagne.
Peu ravie de devoir s'occuper de cette boule de poils même pas sevrée et qui plus est se prénomme Soizic, nom attribué d'office par la mère Herbe, Mme Bredaine va se laisser séduire par la bestiole.
Mais la mère Herbe, au regard de son patronyme, ne serait-elle pas un peu sorcière ? Car il s'avère qu'un jour Soizic se met à parler. D'abord surprise, Mme Bredaine accepte ce fait exceptionnel et ne tarde pas à rentrer dans le jeu de la minette.

Un conte qui prouve que l'auteur est une observatrice hors pair de la gente féline.

"Soizic s'installe devant le feu, dispose somptueusement sa queue autour d'elle comme une dame d'antan son boa. S'étire. Queue sur l'oeil, devient pirate borgne."

Mais aussi de la nature. Une occasion toute poétique de nous faire partager les petits bonheurs de la campagne.

"Par mimétisme avec le courrier, le potager qui jouxte le bureau a l'air d'une page d'écriture : le A du portillon, les O des choux, les I des poireaux, le E et le T de l'échelle et du râteau appuyés contre le mur, le U du sac de jute accroché à un clou, le K de l'arrosoir, le Y du cerisier, le Q du chat assis entre les salades, le H de la balançoire, le X de l'épouvantail crucifié sur une croix de Saint-André."

Ce court récit énervera ceux qui dénoncent le gâtisme de certains face à leur animal de compagnie. Les amoureux des chats, eux, se laisseront embringuer dans cette histoire anthropomorphique sans rechigner.

"Visiblement vexée par ma question, la chatonne, au lieu de répondre, se lèche avec affectation, passe lentement plusieurs fois sa patte par-dessus son oereille. Cette mégalomane s'imagine provoquer ainsi la pluie, alors que je dois accrocher la lessive sur les fils du jardins tendus du cerisier au cognassier, du cognassier au prunier, réseau par où on imagine les arbres échangeant des messages télégraphiques :
- Mieux vaut entretenir oiseaux (musique) que fournir Bredaine confiture. Messieurs Hâtifs.
- Musique vent suffit. Sommes harpes éoliennes. Montmorency.
- Sol manque potasse. Devrions réclamer purin, poudre d'os. Géant de V.
- Sommes mal émondés. Gourmands. Bredaine peu capable. Messieurs Hâtifs."

C'est joli tout ça, non ?
Merci Madame BECK pour ce beau moment plein d'imagination.

L'Enfant Chat     Béatrice Beck     Editions Arléa

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5 août 2007

O.N.G *

9782070304141*Ouvrage Non Garanti, malgré un Grand Prix de l'humour noir 2003 .
Déjà la couverture n'est pas engageante, mais pourtant j'aurais bien mis ce masque à gaz tant la lecture de ce livre m'a mis mal à l'aise.

Julien, jeune bègue de vingt-cinq ans, vit encore chez pôpa et môman. En recherche d'emploi, il se dégote un stage dans une ONG écolo extrémiste. Engagé sous le quota "handicapés" afin de bénéficier de la subvention, il devra suivre Ulis, le grand gourou qui dirige "La Foulée verte", et noter tous les faits et gestes ainsi que les bonnes paroles du maître.
Tout baigne jusqu'au jour où s'installe dans l'immeuble une autre ONG "Enfance et vaccin". La guerre va éclater sous prétexte de partage de l'espace d'affichage dans l'ascenseur. Et ce sera l'escalade jusqu'à plus soif.
Rien ne nous sera épargné, les clichés sectaires, les opérations coup de poing, les manipulations médiatiques, les magouilles financières, et les dérapages inévitables et incontrôlés.

"Comme j'allais protester, il m'a jeté un regard sans appel.
- Pas la peine de se voiler la face. Mon karma n'est pas des meilleurs en ce moment. Le feng shui est nord-ouest. L'année du cheval est mauvaise pour les Capricornes. Mon inconscient clignote à l'orange. Et avec moi c'est toute la Foulée verte qui est menacée... Ce qu'il nous faudrait pour nous réveiller c'est qu'un millier de baleines viennent mourir sur nos côtes ! Qu'une fuite radioactive contamine l'eau de la ville ! Une grande catastrophe écologique ! O ce serait... Où sont-elles ? Je doute... Parfois j'ai l'impression que les temps glorieux des Exxon Valdez appartiennent au passé... Laisse-moi.
Il s'est mis en position de lotus.
Je suis sorti, un peu sonné, ébloui par la grandeur de cet homme."

Pour m'encourager à poursuivre ma lecture, j'ai dû me répéter sans cesse que c'était une caricature, une satire grossière de ces associations pleines de bons sentiments. Le fond de vérité qui sous-tend tout cela a sans doute participé à ma hâte de refermer ce livre.
Certes le propos est féroce, mais j'ai à peine souri. L'artillerie sortie est trop lourde. A moins que ce soit l'aveuglement sectaire de Julien qui m'ait oppressée...

Katell, je vais me purifier l'esprit avec Christian Bobin. Là, sans hésitation, succès garanti  !

O.N.G !     Iegor Gran     Editions Folio

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31 juillet 2007

Sombre velours

sgJe poursuis ma découverte de Sylvie Germain.
J'ai un peu traîné pour cause de festival et de jardinage intensif.
Et puis aussi parce que ce livre, même s'il est très bien écrit, m'a moins transportée que MAGNUS .

Prokop Poupa et ses amis dissidents, intellectuels comme lui, exercent des petits boulots à Prague. Prof de littérature, Prokop se voit assigné, par le régime communiste et à titre de représailles, à un poste de balayeur.
Divorcé et père de deux enfants, Prokop vit seul et s'accomode de son sort. En fait, il ne vit pas complètement seul, puisqu'il partage son logis et ses lectures avec son dieu Lare*, sous l'égide duquel il médite et s'interroge sur tout et rien, la vie, la nature, les hommes et Dieu.

"Ce fut un choc, une sensation physique; ce qui était écrit avec une si belle densité venait, dans l'instant même de la lecture, de se matérialiser. Chaque mot se faisait grain de pluie, de soleil, de vent, se faisait fleur, fleur de rocaille, lichen et lierre. Et ces mots végétaux, minéraux, granuleux, lui emplissaient la bouche, lui fondaient dans la gorge."

Prokop nous entaîne dans l'immensité de ses territoires intimes, sa mémoire, ses rêves et ses souffrances. Au risque de s'y perdre et de ne pouvoir, ni de vouloir, prendre le train de l'Histoire. Car la Révolution de Velours couve et les rues de Prague bruissent des revendications des manifestants. Prokop assiste aux événements comme dans un état second. Tout engoncé qu'il est dans ses doutes et sa dépression, il ne sait que faire de sa dignité enfin retrouvée et de cette nouvelle liberté pour laquelle y a lutté.
Pour ne pas sombrer définitivement et résister à la vague consumériste qui balaie le pays, il se raccrochera à la banalité des choses, un chemin de terre, des sculptures, un air de saxo ...

"Prokop, planté sur le trottoir, regardait le passager au saxo rouler des épaules derrière la vitre. Il reconnut Viktor. Il ne l'avait pas vu depuis deux ans. Viktor ne le remarqua pas; il jouait les yeux fermés. Les portes du wagon s'ouvrirent. La musique déboula dans la rue, éclaboussant la nuit de sons or et vermeils. Prokop resta un instant ébloui par cette lumière sonore qui jaillissait à profusion du corps ondoyant de Viktor; les notes rebondissaient sur les rails et l'asphalte avec la turbulence d'une giboulée de grêle."

Un roman emprunt de mélancolie et qui colle bien au temps maussade qui plombe nos cieux. C'est donc ma seconde rencontre avec un héros germanien, et je suis encore surprise que celui-ci ne se soit pas suicidé avant la fin du livre ! Mais l'auteur est une désespérée optimiste qui sauve ses personnages grâce à une écriture sensuelle dont elle seule a le secret, comme en témoignent ces deux extraits !

* Pour en savoir plus sur les dieux Lares, c'est .
   

Immensités     Sylvie Germain     Editions Folio

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24 juillet 2007

De fil en aiguille

9782226177025Un premier roman.
Un titre magnifique.
Une couverture évocatrice.
Le récit d'un enchaînement d'événements qui commence en Juin 44 sur une place publique où une femme est tondue et un homme pendu.

"Quand tout fut accompli, elle se laissa emporter, on l'emmenait, quelqu'un ouvrait le coffre d'une voiture, on l'y jetait en boule comme un rat crevé. Des pierres furent jetées sur son passage. Etait-elle morte ou vive, elle ne savait plus. Elle passe une main sur son crâne. Rasé. Morte, se dit-elle.
C'était l'été 44 à Gramont-l'Eventé, un petit coin tranquille de Bretagne."

Vingt cinq ans plus tard, César, le fils de ce couple maudit, subit encore la honte lorsqu'il est accusé d'un viol qu'il n'a pas commis. Il fuit son village breton, abandonnant Vitalie, sa mère, et Jeanne, la femme qu'il aime et qui découvre peu après qu'elle attend un enfant.
Pendant quinze ans César parcourt le monde, ne donnant aucun signe de vie.
Pendant quinze ans une femme l'attend et ne dit  rien à son enfant.
Pendant quinze ans une mère s'étiole et brode, enfermée dans sa honte et son isolement.
Pendant quinze ans une enfant grandit.
Mais quinze ans, c'est long. Et les secrets se fissurent, des non-dits s'échappent.

"Il y a des moments où je me tais, comment pourrait-il en être autrement, je ferme les poings au fond de mes poches, mon regard se voile, je pense alors à toutes ces choses tues, notre histoire à nous, la terreur de l'absence, l'abandon."

Alma, la fille que César ne connait pas, agitera ce petit univers en adoptant le symptôme qui, symboliquement, réunit ces femmes. Elle deviendra mutique. Son silence forcera celui de sa mère et de sa grand-mère, obligeant des petites vérités à émerger, des liens à se renouer. Minces fils qu'elle suivra pour remonter jusqu'à ce père enfin revenu de son périple au bord du monde. A petits pas, César quittera la lisière pour reprendre sa place au coeur de son monde.

Un roman simple, sans pathos, tout en pudeur.
Quatre monologues au cours desquels s'exprime tout ce que l'on ne peut pas formuler à l'autre. Quatre fils qu'une adolescente va réunir pour retisser son histoire et tenter de repriser le gros accroc que de vieux ciseaux ont fait dans sa vie.

L'homme qui marche      Marie-Hélène      Editions
au bord du monde          Westphalen       Albin Michel

 

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9 juillet 2007

Lourd héritage

9782070782406Si elle est toute petite et bien cachée, ses conséquences, elles, sont immenses.
Enfant, cette marque fascinait l'auteur. Et c'est encore sur elle que son regard s'arrêtera, lorsqu'au seuil de la mort, il prendra dans ses bras le corps de son père.

Cette marque indélébile, c'est la lettre O, donneur universel. Tous les soldats de la Waffen SS avaient leur groupe sanguin ainsi tatoué sous le bras. Et il en allait de même pour les hommes de la division Charlemagne, qui accueillit nombre de miliciens français qui s'enrôlèrent pour combattre sur le front de l'Est au côté de l'ennemi, afin d'éviter le peloton d'exécution français.

Ce texte n'est pas un roman mais un récit autobiographique. L'auteur part à la rencontre de son père milicien et analyse comment cette filiation a façonné sa vie, ses relations et son itinéraire littéraire.
Il dit la fascination, l'incompréhension, la provocation, la dissimulation, le silence, la résignation puis enfin l'engagement et la sublimation, toute la palette d'émotions que traverse ce fils, de l'enfance à l'âge adulte.

"Ce mort, c'était mon père, une fois encore, mon père que je ne peux poser nulle part, mon père dont je ne peux me débarrasser, mon père qui n'a pas sa place parmi les morts que l'on commémore, et qui m'empêche d'avoir la mienne parmi ceux qui fraternisent dans la mémoire douloureuseuse de ce qui a eu lieu."

Le hasard n'existant pas, rien d'étonnant à ce que l'auteur soit devenu un compagnon de route d'Armand GATTI, activiste culturel libertaire (dont vous pourrez suivre le parcours ICI.)
Michel Séonnet apporte la preuve qu'accepter ses origines est une condition indispensable pour vivre pleinement. La rupture ou la fuite peuvent être tentantes, surtout si la parole, qu'elle soit conflit ou partage, est absente. Mais quand de tels héritages se transforment en poison virulant, quand les dettes de nos ascendants plombent notre présent, la prise de conscience n'est que l'étape primordiale menant à l'acceptation. Acceptation qui, d'ailleurs, ne signifie pas forcément pardon. Il va sans dire que ce long travail ne se fait pas sans douleur.

"Parvenir à ce point où j'accepterais d'être le petit-fils de ton père et où je pourrais, sans retenue, signer de ce nom qui nous est commun. Dire oui à la réalité. Le maudit n'a pas d'autre choix. Je n'ai pas d'autre issue que de dire oui à ce que tes errances, tes silences ont fait de moi. Oui à mon nom. Oui à ma venue dans cette filiation-là. Oui à la marque et à la malédiction, puisque malédiction il y a. Mais sans aucune complaisance envers ce qui a eu lieu. Un oui qui ne te dédouane de rien."

La marque du père     Michel Séonnet     Editions Gallimard

 

 

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7 juillet 2007

L'une et l'autre

9782878582109Depuis la mort de son mari, célèbre violoniste, Amée vit seule dans une maison à la campagne.
A une époque, elle louait une chambre à une jeune femme, Louise, qui aujourd'hui est devenue danseuse. Le contact n'a jamais été rompu entre les deux femmes. Louise a eu une petite fille, Malou, qu'Amée n'a pas revue depuis ses quatre ans.
Louise s'est séparée du père de Malou. Et cet été, on lui offre l'opportunité de partir en tournée. Elle ne sait que faire de Malou pendant le mois de Juillet et demande à Amée d'accueillir sa fille.

"Je m'assieds sur une chaise devant la maison. J'ai perdu avec les années le besoin de toujours m'occuper. Je regarde, j'écoute, je rêve."

Inutile de vous dire que ces activités ne satisferont pas longtemps Malou. Après avoir accepté de voir son quotidien chamboulé par cette curieuse petite fille, un peu sauvage et solitaire, Amée décide de partir passer une semaine dans une maison en bord de mer.
Ce sera le début d'une drôle et tendre épopée peuplée de rencontres. Et l'occasion pour Amée de reprendre ses pastels, délaissés depuis la mort de son mari. Les souvenirs reviendront effleurer son présent face à la petite fille qu'ils n'ont jamais eue. Malou, elle, découvrira la musique et le polaroïde.

A l'écoute l'une de l'autre, et au delà des années, une belle amitié naîtra entre ces deux solitudes.
L'auteur a su éviter la caricature. Reste la simplicité des émotions et des sentiments.

"Après quelques tâtonnements, j'arrive à repérer l'étoile qu'elle m'indique. C'est une belle étoile, très lumineuse, un peu bleutée. Nous consultons le petit livre. Il s'agit de Véga, de la constellation de la Lyre, qui forme avec Altaïr et Deneb le triangle des belles d'été. "Voilà, c'est notre étoile, Amée", me dit gravement Malou. Je regarde à nouveau Véga, lointaine, si lointaine lumière, puis la petite fille blottie contre moi. Et je murmure doucement: "Oui, le triangle des belles d'été."

Lumière du soir   Brigitte Le Treut   Editions Viviane Hamy

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30 juin 2007

Grain de sel

9782221108208Une fois admis que :
1-des parents peuvent laisser leurs enfants se réveiller chaque nuit, suite aux cauchemars récurrents qui hantent leur sommeil, sans consulter d'urgence;
2- vivre au bord de la mer et interdire aux mêmes enfants de s'en approcher;
3- et surtout que ces gamins n'aient même pas l'idée de transgresser un tel interdit;

on peut se laisser embarquer dans cette histoire fantastique.

Ce livre a été longuement encensé et commenté, donc je n'en rajouterai pas. Comme tout le monde, je me préparais à me laisser embarquer avec plaisir pour cette croisière cauchemardesque et familiale. Seul bémol, étant donné que je planche depuis des mois sur les transmissions générationnelles inconscientes, je n'ai pas réussi à me départir d'un oeil critique et réaliste. J'ai vu venir le dénouement aussi sûrement que la nuit après le coucher du soleil, et ce, dès le début. D'où ma frustration.

Cela dit, l'auteur fait preuve un réel talent romanesque et d'un joli brin de plume.
Et il est toujours agréable de faire une virée en Bretagne et aux confins de ses univers légendaires.

Ce livre trouvera sans conteste sa place dans ma bibliographie, en tant qu'ouvrage librement paradigmatique de mon sujet de prédilection.
J'espère que l'auteur ne m'en voudra pas pour cet article quelque peu mitigé.

L'ancre des rêves     Gaëlle Nohant    Editions Robert Laffont

 

 

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24 juin 2007

PALIMPSESTE

9782070336487" Il est des fois des personnages en errance qui n'en finissent pas de déambuler dans la nuit du réel, et qui transhument d'un récit vers un autre, sans cesse en quête d'un vocable qui enfin les ferait pleinement naître à la vie, fût-ce au prix de leur mort.
Il serait une fois des personnages qui se rencontreraient à la croisée d'histoires en dérive, d'histoires en désir de nouvelles histoires, encore et toujours."

" En chacun la voix d'un souffleur murmure en sourdine, incognoto - voix apocryphe qui peut apporter des nouvelles insoupçonnées du monde, des autres et de soi-même, pour peu qu'on tende l'oreille.
Ecrire, c'est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au coeur des mots."

Ce portrait d'un homme, de l'enfance à la maturité, à la recherche de son identité, me laisse sans voix.
Magnus, son ours en peluche, est la seule permanence de son existence.
Le récit de cette reconstruction est servi par une écriture à la limite du sublime.
Toute critique en paraîtrait ridicule. Alors je me tais.
Lisez-le.

Magnus     Sylvie Germain    Editions Folio

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19 juin 2007

Folles redondances

9782070787364Au domaine de Boringe vit une bien curieuse famille.
Le roman s'ouvre sur la naissance des jumeaux Alexandre et Hélène, sortis du ventre de leur mère Valentine à la fin d'un repas alors que Perpetua allait servir sa spécialité, la compote de pommes tiède à la cannelle.
Valentine décède peu après en confiant l'éducation de ses enfants à ses trois soeurs et à la bonne Perpetua.

Le drame ne perturbe pas trop ce microcosme et surtout pas Perpetua, déjà rodée à ce genre d'événements, puisqu'elle a élevé les six filles de la lignée maternelle après le décès d'Agnès Dubois, la grand-mère des jumeaux. Vous suivez ?
C'est l'occasion pour l'auteur de faire un petit retour en arrière et de nous conter l'adolescence et les frasques des six frangines. On fait aussi plus ample connaissance avec Perpetua qui porte bien son nom puisqu'elle est intemporelle, voire éternelle. Perpetua possède aussi des dons très particuliers dont elle use pour dompter toutes ces jeunettes et le tout venant. Les pets, voilà son arme ! Et ils sont redoutables. Elle en a tout un catalogue, des antidépresseurs, des persuasifs, etc ...

Les jumeaux grandissent entourés de leurs trois tantes, Adélaïde la dévoreuse de livres, Agathe la cavalière déchaînée et Anasthasie la mystique. Ces trois là ont des comptes à régler avec la gente masculine qui déserte Boringe depuis des générations. Sur ce coup là, la Perpetua n'est pas en reste non plus !
Dans un tel contexte, vous pensez bien que les jumeaux ne sont pas loin de virer borderline.

"Agacée, Perpetua se demanda ce qu'elle avait fait au bon dieu pour se retrouver dans cette maison de fous. Elle s'enferma dans le salon avec les jumeaux et les tança vertement. Ce à quoi Hélène répondit Perpetua on s'en fout de toi on s'en fout des trois folles ramollies du cerveau qui te servent de gardes-chiourme on s'en fout de Boringe on s'en fout du passé de nos parents de nos grands parents des abrutis qui ont croupi à Boringe on s'en fout on s'en fout on veut tout casser et on cassera tout ... on veut la révolution et ça ira on veut la bombe atomique sur Boringe mon amour que cette maison s'effondre que tout devienne ruine et cendre que la forêt brûle que le monde s'écroule et qu'enfin l'aurore se lève ! Perpetua en resta bouche bée puis son cerveau fit tic-tac. Elle retroussa ses manches et marcha sur eux. Elle hésita un quart de seconde puis opta pour le pet antidépresseur. Hélène et Alexandre chancelèrent et tombèrent comme dans du caramel mou."

Quand tout le monde découvre qu'ils sont amoureux l'un de l'autre et qu'ils ont même consommé la chose, c'est le branle-bas de combat. Hélène prendra la décision de quitter Boringe, abandonnant Alexandre.
C'est sur ce départ que se termine ce premier chapître époustouflant de drôlerie.
Dans les deux suivants, le feu d'artifice se calme et c'est dommage. Mais nous retrouvons Hélène à Paris entourée de personnages tout aussi déjantés et pittoresques. Allegria qui pratique la lévitation; Anatole Schloupe, l'écrivain prêt à tout pour entrer à l'Académie; Narcisso del Palabras de Karibdo en Syllabas, avocat des causes perdues et de l'avenir bouché 9 rue de l'Illusion, qui sera l'amant d'Hélène et l'aidera à retrouver Achille Tuloeuf, le père des jumeaux; et enfin la compagne d'Achille, Sententia la concierge voyante et carnivore.
Pendant qu'à Boringe, Alexandre, devenu neurasthénique, épouse Asthénie et lui fait six filles, et que les tantines ne s'arrangent pas avec l'âge...
Le dernier chapître voit le retour d'Hélène à Boringe et sa rencontre avec ... sa dernière nièce Hélène. On n'échappe pas à son destin comme ça !!!

"Hélène veilla jusqu'au matin. Lorsque l'enfant s'agitait, elle chantait de vieilles chansons douces, chantait la ville de Mazatanengo, ses rues de sable, ses maisons plus blanches que le coton, chantait les voyages tout autour de la terre ronde et sa voix était grave et belle et endormeuse et l'enfant soupirait d'aise et les rêves, lentement, entrèrent dans la chambre. Elles virent alors le pacha des Zoudaillasses. Très grand, très gros, il portait d'énormes colliers et des bagues à tous les doigts. Ses yeux étaient phosphorescents, sa peau cuivrée, son ventre rond menait la danse autour du lit. Puis elles entendirent la mer qui, dehors, disait vieni vieni, le monde est si beau et les vagues racontaient des histoires qui n'existent pas et le ciel disait les amours perdues et l'air devenait chaud comme le grog et respirer enivrait et les murs noirs de l'enfance tanguaient tanguaient. Hélène écoutait la vie silencieuse, la vie rêvée, la vie qui n'était pas venue et sur sa joue gauche trois larmes amères glissèrent."

Cette fable familiale se déguste avec gourmandise. Sous ses airs loufoques, ce roman ne manque pas de poésie et de truculence. J'ai apprécié cette façon surréaliste de dédramatiser l'inceste. Et il nous en dit beaucoup sur les transmissions générationnelles et la répétition des scénarios de vie.
Lorsqu'on referme ce livre, on regrette que ce soit déjà fini et on n'a qu'une hâte, allez voir de quoi retourne le reste de l'oeuvre de l'auteur.

Les amants de Boringe    Pascale Gautier   Editions Joëlle Losfeld

 

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8 juin 2007

Dérives entre deux rives

9782253119982Schwara est l'homme aux mains de bois. Forestier, charpentier, sa scierie a brûlé dans les tourments de la guerre civile qui a ravagé son pays. En ce premier été de l'après-guerre, il quitte son massif des Londes pour partir à la recherche d'un homme. Schwara l'homme du nord va s'aventurer dans le sud, vers la mer et jusqu'au port de Ran-Mositar, là où se cotoient les refugiés, les opportunistes, les soldats de l'ONU et même les touristes déjà revenus jouir des îles et de leurs sources chaudes.

Schwara va à pied. Il a pour tout bagage sa sacoche contenant quelques outils et la richesse de ses mains. Il se fait vite repérer par son savoir faire et travaille ça et là sur des chantiers. Partout, il interroge et poursuit sa quête. Et partout, il croise les mêmes douleurs, les mêmes haines encore à vif. Celles des femmes violées et îvres de vengeance, celles des hommes qui ont commis ou vécu l'horreur et qui composent avec.

"Chaque camp appliquait sa logique de l'ordre et du désordre."

Lorsqu'enfin il arrive à Ran-Mositar, la vie de la ville tourne autour de la reconstruction du Vieux, le célèbre pont construit au XVIe siècle et qui, jusqu'à ce jour, avait résisté à tout. "Soudain la notion de crime contre un patrimoine de l'humanité s'inscrivait dans le livre de la barbarie. La ville avait retenu son souffle puis, dans un silence pétri d'angoisse, les habitants s'étaient approchés des rives séparées. L'incroyable blessure qui béait devant eux zébrait leur conscience d'une même cicatrise, les rendait responsables d'une inconcevable atteinte aux racines de la vie."

Schwara met son talent à la disposition des équipes chargées des travaux. Il sait que c'est là que prendra fin son voyage. Il croisera Irini, dont le drame personnel rejoindra celui de Schwara, et qui le mènera involontairement jusqu'à l'homme recherché. Chacun se confrontera à son destin.

"Dans un pays que je connais bien, les losanges sont un signe de sagesse. Le rond, tu n'en ressors jamais, le carré est trop parfait, il t'enferme, le rectangle s'étire à l'infini, peu fiable. Tu les rassembles tous, tu obtiens le losange, une figure idéale, assez déséquilibrée pour que ta pensée s'y glisse et pourtant cernée par les quatre côtés qui la guident.
- Il est où ce pays de la sagesse ?
- Là où fleurissent des champs de rhododendrons."

Si cette histoire vous rappelle quelque chose, c'est sans doute celle de la ville de Mostar, en Bosnie-Herzégovine. Le 3 Novembre 1993, malgré la présence des troupes de l'ONU, le pont piéton s'effondre dans la Neretva, séparant la communauté croate catholique orthodoxe et la communauté bosniaque musulmane. Sous l'égide de l'Unesco, la reconstruction commencera en Juin 2001 et le nouveau pont, restauré selon les techniques ancestrales, sera inauguré le 23 Juillet 2004.
Ce livre est son histoire et celle des hommes qu'il tente de relier. L'un et l'autre se parent à la fois d'une simplicité et d'une folie magnifiques.

"Mais qui pouvait parier sur l'avenir d'un pays qui chérissait son pont et laissait sombrer ses enfants ?"

Le pont de Ran-Mositar      Franck Pavloff     Editions Le Livre de Poche

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5 juin 2007

Quelques mots sur un mur

9782268061528Imaginez qu'en 1944 l'armée américaine ait été bloquée dans les Ardennes et que les Russes aient poursuivi les nazis jusqu'au nord-ouest de la France. Imaginez "une diagonale rouge, de la Manche au Loiret, du Morvan au Jura", en passant par le centre de Paris, et que cette zone soit toujours sous contrôle soviétique. Imaginez que la capitale soit partagée par un Mur qui longe la Seine, que les ponts de Paris soient tous fermés, sauf un. Imaginez que l'île de la Cité soit un no man's land miné. Imaginez qu'il y ait un Est et un Ouest. Un Paris et un Parij.

"J'aime le son que produit cette corde en travers de la ville tendue quand le vent la fait vibrer..."

Ce sont les mots de Romain Morvan, écrivain et prix Nobel, qui vient d'être expulsé à l'Ouest par une nuit pluvieuse. Ces mots sont adressés à Clara Banine, une violoniste restée à l'Est et qui fut sa maîtresse pendant quatre ans.
Une étrange correspondance va s'instaurer entre eux. Etrange, car sous la surveillance d'un curieux personnage, Bernard Neuvil, directeur de la cellule politique des Postes, c'est à dire de la censure épistolaire.
Neuvil est un être solitaire, parano à souhait, et qui rêvait dans sa jeunesse d'être écrivain. Sous prétexte de pister l'existence d'un manuscrit compromettant resté à l'Est et que Morvan chercherait à récupérer par l'intermédiaire de la belle Clara, Neuvil va s'inviter dans leur correspondance à coup d'écriture falsifiée et de fausses informations. Cette mission va devenir le centre de sa vie. Mais à manipuler et instrumentaliser les autres, ne risque-t-il pas de se perdre lui-même ? A moins qu'il ne se retrouve...

Ce roman m'a rappelé un film récent "La vie des autres" de Florian Henckel. L'intensité dramatique en moins. Le portrait du censeur et sa lente transformation sont une réussite. Mais le récit hésite entre caricature et dérision, ainsi le projet pharaonique de reconstituer à l'identique la ville réunifiée quelque part dans l'Oise. Ni vraiment roman d'espionnage ou d'aventure, on prend cependant plaisir à parcourir ce Parij occupé, subissant les pénuries et les délabrements. On assiste à la désillusion du transfuge passé à l'Ouest et au manque d'inspiration qui en résulte.

Heu... moi aussi je suis un peu en panne ! Bref, selon l'axe du mur où l'on se situe, cela manque un peu de profondeur, ou de hauteur...

Un rappel pour terminer.
9 Novembre 1989, celui de Berlin tombait.
Juillet 2002, Israël commençait la construction d'un mur de 600 km qui isolera les Territoires Palestiniens.
Septembre 2006, le Congrès américain autorisait la construction d'un mur de 1200 km entre le Mexique et les Etats-Unis.
Avril 2007, les américains commencent la construction d'un mur de 5 km à Bagdad entre l'enclave sunnite d'Adhamiyah  et les quartiers chiites.
Sans compter les murailles de barbelés électrifiés du côté de Ceuta et Melilla, etc, etc...

Parij     Eric Faye     Editions Le Serpent à Plumes

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1 juin 2007

Petit rafistolage (pé)père...

9782020403382Rafael, vingt cinq ans, traverse la frontière en direction de l'Espagne pour retrouver Goyo Lasagual. Le père qu'il n'a pas connu et qui est en train de mourir. Il voyage avec sa tante qu'il rencontre aussi pour la première fois. Arrivé trop tard, il ne peut que constater les dégâts. Personne ne veut lui dire de quoi est mort son père. Il hérite d'une maison incendiée. Le lieu a été fouillé en bonne et due forme, mais il retrouve des photos et des lettres, et surtout une lettre que lui-même, enfant, a envoyée à Goyo. L' accueil des villageois à l'égard de Rafael est franchement hostile, à l'exception de Marco, un jeune gitan. Goyo l'avait pris d'amitié et protégé de la vindicte populaire. Une étrange relation va se nouer entre les deux jeunes hommes.
En toile de fond, un petit village moribond plombé par la chaleur estivale. L'unique entreprise va fermer, la verrerie qui permettait encore un semblant de vie aux habitants. Comme des fantômes, ils quitteront les uns après les autres ce lieu hanté par les souvenirs et les rancoeurs de la Guerre Civile. La mort de Goya et l'arrivée de Rafael vont faire remonter les boues de ce passé.

"Je vais vous dire ce qui vous retient ici. Vous attendez le moment où vous serez prêt. Prêt à tout entendre, à tout voir. Car le plus inacceptable, lorsqu'on a fermé les yeux si longtemps, n'est pas de regarder la vérité en face, mais de se soumettre à son regard. Oui, voilà ce à quoi on ne peut se résoudre aussi facilement: ouvrir les yeux et constater que la vérité n'a pas cessé un instant de vous scruter quand bien même vous refusez de vous tourner vers elle."

Car ce récit est aussi celui de toute l'ambivalence d'un fils à connaître et à accepter la vérité de ses origines. C'est ce qui le pousse à réinventer l'histoire paternelle, à falsifier aux yeux de sa mère, l'épouse abandonnée, les retrouvailles avec un père malade mais toujours vivant. Comme le dit Rafael, "Moi, je compte sur l'imagination pour me sauver."

Mais la vérité s'imposera coûte que coûte. Après, et seulement après, Rafael pourra s'enfoncer plus avant en cette terre ibérique et paternelle. Voyage qui n'aura sans doute pour seul but que celui de lui permettre de s'approprier la part manquante de l'histoire de ce père inconnu.

" - Vous n'avez rien oublié, Rafael ?
  - Non, je ne crois pas. Je dois juste oublier ici un peu de moi-même..."

Un bel exemple de la difficulté à être le fils de son père. Et un beau texte qui hésite entre violence et regret, affabulation et vérité, rejet et acceptation. Pour toujours et encore, pouvoir grandir et vivre.

L'invention du père     Arnaud Cathrine     Editions Points Seuil

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28 mai 2007

Bouillabaisse tchétchène

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De l'Ukraine (cf ci-dessous) à la Tchétchènie, il n'y a qu'un pas, même s'il faut passer par Marseille. Je n'ai pas hésité à faire le détour car j'avais besoin d'une petite lecture légère. Bon, soyons franche, ce plat n'est pas du tout indigeste, mais de là à me relever la nuit pour en reprendre... En voici la recette, si ça vous tente.

Dans une cité marseillaise, Le Frais Vallon, mélangez les ingrédients suivants :
- Un sage, Dachi El Ahmed, mi médiateur-mi grand frère-mi prof de philo, amoureux de Brassens, de Lao tseu et du poête persan Khayyâm, "Il peut passer des heures assis en tailleur sur son tapis volant." (forcément, un tel homme ne peut que me plaire!)
- Un ancien truand corse, Nuage d'Acier, car reconverti en Apache et vivant dans un tipi sur le toît d'une tour du Frais Vallon.
- Un ébéniste grec retraité, Nestor Patipoulos, père de Léda, bombe rousse infirmière et qui ne laisse pas insensible le sage Dachi El Ahmed.
- Un journaleux alcoolo, Grook, et son acolyte Casimir l'Oblique, rapport à son profil.
- Un petit caïd de cité, Hocine, et sa bande.
- Deux barbouzes russes dignes des Pieds Nicklés, Igor et Vassiliev.
- Un colonel tchétchène, Khazman Idigov, en mission spéciale au Frais Vallon chez
- Feue Mémé Oumaraq, mère de son général de fils, chef de la résistance tchétchène, lui-même propriétaire de
- Hassan, chien beagle mascotte de la Tchétchènie, confié à feue sa môman.
- Et enfin Roberta Vadim-Angouste, autre bombe, mais blonde celle-ci, et membre actif de la SPA.

Faites courir tout ce petit monde après le très convoité canidé Hassan, pendant 243 pages, en passant par les quartiers, les caves, les villas. Ajoutez qu'il faut zigzaguer entre les flèches, les balles, les coups d'aspirateur et autres armes. Laissez reposer tout cela entre deux poursuites en BM, 106, 4L, scooter, à pied ou à quatre pattes.

"Dachi savait très bien ce qu'il aurait dû faire. L'aéropage de sages nichés dans son cerveau le lui soufflaient: Maintiens-toi en quiétude face à l'agitation fourmillante des choses, lâche négligemment Lao Tseu, Bois du vin, soupire Khayyâm, le nez dans les fleurs, Bande à part sacrebleu, c'est ma règle et j'y tiens, fredonne Brassens en grattant sa guitare. Tout envoyer valdinguer et rentrer au Frais Vallon, tel est le chemin de la sérénité."

En refermant ce livre, vous aurez passé un moment divertissant. Vous vous direz comme moi, que cela finira sans doute sur un écran de cinéma, avec des acteurs survoltés.
Alors à vous de voir où vous préférez investir 7€.
Peut-être ailleurs !

Le chien tchétchène     Michel Maisonnneuve     Babel Noir

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25 mai 2007

UN COCO DANS LE METRO

9782253115687_VC'est bien évidemment ce magnifique cliché noir et blanc qui dans un premier temps m'a fait flasher. Que d'érotisme et de sensualité dans cette jolie paire de gambettes ! Ah, les talons aiguilles, y a pas à dire, ça avait de la gueule, et quelle parfaite fluidité entre la ligne du tissus et l'imperceptible cassure de la cheville. Je comprends les fétichistes !!!
Bon, revenons aux choses sérieuses.
L'autre jour, chez Nanne, j'ai piqué cette idée de lecture.

Le cadre, la ligne de métro N°9, Mairie de Montreuil-Pont de Sèvres. Pour les habitués, elle balaie large, cette ligne, des quartiers les plus chicos à l'ouest, aux plus populaires à l'est.
L'époque, 14 Juillet 1983; deux ans que la Gauche socialiste est au pouvoir. Les années fric n'en sont qu'à leurs débuts, le FN et la désillusion aussi...
Le héros, Jo Kaplan, 38 ans d'une histoire métissée juif-polac-parigot-rouge. Ultra rouge même car il a fait un parcours sans faute depuis sa tendre enfance. Elévé dans les drapeaux faucillisés, les poings lévés et les Internationales, il gravit un à un les échelons du PC. Conseillé municipal et journaliste à l'Huma, tout baigne pour lui, jusqu'au jour où le camarade Marchais prend la tête du Parti. Refusant les compromissions, Jo n'a pas envie d'être copain avec ce mec là. Il est exclu du PC.

"Traîner, marcher,draguer dans les rues et les cafés. Demeurer solitaire, plutôt que de plonger dans ce monde qu'il refusait, pour d'obscures raisons. Faire l'anar, persister à faire l'anar, en fredonnant une vieille chanson de Béranger, A mes amis devenus ministres ..."

Retrouvant sa liberté, vont suivre quelques années de dandysme libertaire, libertin et littéraire, au cours desquelles Jo va pouvoir se consacrer à une de ses passions, l'Histoire. Son autre passion c'est marcher, arpenter son territoire tout le long de cette ligne 9. Et c'est en métro, mettant toujours un point d'honneur à ne pas user des correspondances, qu'il se rendra à la garden party de l'Elysée, en cette journée de fête nationale. Mais que diable va-t-il faire dans cette galère ? Chercher la femme et vous aurez la réponse. Et comme d'une femme à l'autre, il n'y a qu'un pas, forcément ce beau mâle le saute (pour ne pas dire la !).

Vous me voyez sans doute venir.
Il a commencé par m'irriter Jo le rouge, l'intègre, quand lentement mais sûrement il vire au rose, pour les beaux yeux d'une Marie-Sébastienne, pseudo socialo, bourgeoise charentaise-maritime de surcroît et reine du boursicotage pas toujours très clean. Puis il m'a franchement fait bondir quand, sous les hospices d'anciens compagnons recyclés gauche caviar, il se laisse séduire par les sirènes de cette fin de siècle, je veux bien sûr parler de cette lèpre immonde qui nous contamine encore et toujours plus, la communication, ou plus vulgairement la pub. Et je l'ai carrément détesté quand il se roule dans les crachats qu'il a lui-même lancés dans ses années de lutte. "C'était un boulot de pute, comme tous ceux que Croissac lui commandait. La grande histoire mise au service de la communication d'entreprise ! Mais c'était tout de même l'histoire et Jo pouvait donc,, selon le mot de Croissac, qui n'en percevait d'ailleurs pas le cynisme, rentabiliser sa passion."

Mais comme un homme n'est jamais complètement mauvais, je l'aime, Jo, quand chaque station devient prétexte à raconter l'histoire des figures de la Révolution et de la Gauche, les célèbres et les anonymes. Je l'aime quand il raconte République, Charonne, Nation et la rue de Montreuil où j'ai tant de souvenirs. Je l'aime quand il parcourt les cours intérieures du faubourg Saint-Antoine et qu'il parle des ouvriers du bois. Mais je le déteste à nouveau quand il oublie de dire que c'est grâce à Tonton et à son opéra, qu'ils ont vendu leurs ateliers aux futurs lofteurs (non, monsieur Konopnicki, ce n'est pas seulement Ikéa qui les a fait couler. Ce sont les vôtres et la clique de flamands roses, tout émoustillés par les paillettes du pouvoir et de l'argent facile, qui sont venus s'encanailler rue de Lappe et spéculer rue de la Roquette). Et cet homme joue avec mes nerfs, quand je l'aime encore, le Jo qui fait son caractériel et refuse "de perdre mon temps à essayer de prolonger ma vie. C'est mathématiquement absurde."

Voilà comment la vie change sous le prisme rose de l'amour et de la politique. Voilà comment en quelques mois, on oublie ses  idéaux, on s'arrange avec ses contradictions, on justifie ses renoncements, on compose, ce qui permet d'avoir encore quelques sursauts de fidélité. On grandit, on vieillit, quoi.
Le livre se referme le 14 Juillet 1984. Un an de passé si vite, un an à se trimballer dans de la bien belle histoire, la nôtre. Et où l'on comprend aussi comment les mao-troskistes finissent socialos, quand ce n'est pas pour virer carrément umpistes-fumistes (mais j'anticipe ! )

N'oubliez pas de lire l'avis deNANNE.
Il est moins amer que le mien, mais j'ai une excuse. Je déteste l'année 1984.
C'est celle où j'ai décidé d'arrêter de grandir ...

Ligne 9      Guy Konopnicki     Le Livre de Poche

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23 mai 2007

Les arpenteurs du ciel

9782070344635Il est enfin sorti en poche.
Je l'ai lu en 2005, lors de sa parution. Un ami me l'avait prêté, et j'attendais avec impatience l'édition de poche, car je déteste ne pas avoir près de moi un livre que j'ai adoré.
Celui-ci m'a embarquée pour un voyage extraordinaire au coeur des nuages, là où ma tête est le mieux à sa place, loin de ce bas monde.

Akira Kumo est un célèbre couturier japonais installé en France au début des années 60. Sur ces vieux jours, il décide d'engager une jeune bibliothécaire afin qu'elle l'aide à classer tous les ouvrages qui s'amoncellent sur les étagères de son hôtel particulier. Akira Kumo est aussi un riche collectionneur original. C'est, entre autre, un passionné de nuages et des hommes qui un jour ont décidé de les nommer, de les classer, de les étudier, ceux qu'on appelle les chasseurs de nuages. Et c'est leur histoire que le vieil homme va narrer à Virginie Latour, tout en rangeant les livres.

Ce sera l'occasion de remonter le temps et d'aller à la rencontre de Luke Howard, apothicaire Quaker londonien, qui le premier en 1802 "en parlera comme jamais personne avant lui. Avant lui, les nuages n'existent pas en tant que tels. Ce ne sont que des signes. Signes de colère ou de la félicité des dieux. Signes des caprices du Temps. De simples augures, bons ou mauvais. Mais signes seulement, sans existence propre. Or on ne peut pas comprendre ainsi les nuages. Pour les comprendre, prétend Luke Howard, il faut à un moment les considérer en eux-mêmes, pour eux-mêmes. Bref, il faut les aimer, et il est en réalité le premier à le faire, depuis l'Antiquité."
Nous croiserons aussi à la même époque, l'anglais Carmichael, guetteur de temps dans sa jeunesse et qui ne peindra que des nuages.

Mais ces doux rêveurs ouvriront la voie à des scientifiques tout ce qu'il y a de plus sérieux. Et heureusement pour le lecteur, les ancêtres de nos messieurs Météo actuels avaient une vie bien plus passionnante et plus risquée. C'est le cas du mathématicien Lewis Fry Richardson, du suédois Williamsson et surtout de Richard Abercrombie.
C'est ce dernier qui fascine Akira Kumo, et surtout son mystérieux Protocole, "serpent de mer météo-bibliographique" que personne n'a jamais vu, ni lu. Apprenant que la fille d'Abercrombie est mourante, le couturier lance la jeune bibliothécaire sur la piste du célèbre ouvrage car "Il semble que toute collection gravite autour d'une pièce manquante, sorte de moyeu autour duquel peut tourner, indéfiniment, la folie collectionnante de son propriétaire."

Mais ce livre ne se résume pas à cet aspect historique ni à cette chasse au trésor. C'est aussi la rencontre de deux êtres qui sauront l'un écouter, l'autre se livrer. Car la vie d'Akira Kumo est un roman dans le roman. Tout au long de ces séances de rangement, le vieil homme replonge dans les méandres de son histoire, et des brumes de sa mémoire émergent les souvenirs. Un autre nuage se dessine à l'horizon. Paradoxalement, il nous éclairera sur l'étrange fascination pour ces formes toujours mouvantes qui incitent tant à la rêverie.

"Comme toute chose et trop simple et trop belle, les nuages sont un danger pour l'homme (...) Certains hommes aiment à se pencher au-dessus de tels gouffres; les plus fragiles de ces hommes y tombent en tournoyant, dans la nuit éternelle du vertige."

Ce roman s'inscrit dans la lignée de "Les arpenteurs du monde", une pointe de modernité et de poésie en plus.
C'est le genre de livre qui laisse son lecteur orphelin... 

La théorie des nuages     Stéphane Audeguy     Editions Folio

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15 mai 2007

Chut ....

9782070315284Par une chaude journée d'été, une femme revient trente ans après dans la maison où elle passait ses vacances. Le village est désert, la maison abandonnée et le jardin en friche.
Autrefois, en ces lieux et autour de cette enfant évoluait un quintet infernal. Solitaire, bougonne et imprévisible, elle observe les adultes et pressent leurs incohérences; jusqu'au jour où survient un drame.

A tour de rôle, chaque personnage nous conte un fragment de l'histoire familiale.
A tour de voix, chacun s'explique les raisons qui ont conduit au triste dénouement.
En 158 pages, on nous livre un parfait petit manuel de manipulation, ou comment faire germer une idée dans la tête de quelqu'un, tout en lui laissant croire qu'il en est l'auteur. Gisèle Fournier dissèque à la perfection les vengeances et les engrenages, les fausses interprétations et les impressions tronquées,  les explications ratées et les retours de manivelle. Tout ce qui fait que l'on s'enferme dans le non-dit.

Le tout est relaté sur un ton juste, simple, presque désaffecté, comme pour tenir encore à distance les culpabilités et les émotions si longtemps étouffées.
Une personne détient la clef. Un indice est abandonné dans la maison vide. La narratrice le trouve et peut enfin savoir. Mais s'en saisira-t-elle ? Ou préfèrera-t-elle continuer à subir le poids du mensonge et de l'incertitude ?
Un beau texte, court mais vrai.

" A travers les feuilles, une balançoire de fortune.(...) Une petite fille. Elle se balance. Avec application. Le bas de sa robe se relève par intermittence. Et découvre ses jambes, à peine brunies au-dessous de la marque blanche laissée par le short. Je l'appelle. Elle tourne la tête. Elle a le visage fermé. J'ai douze ans. Ou treize ans."

Non-dits     Gisèle Fournier     Editions Folio

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9 mai 2007

La culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié

9782842631260Si vous avez envie ou besoin de vous remonter le moral, lisez ce bouquin.
Vous rigolerez du début à la fin, en suivant les aventures de celui qui rêvait de devenir Jimi Hendrix.

Mais en attendant ce jour de gloire, notre héros doit bien vivre, et c'est sur un coup de bol qu'il réussit le concours de la fonction publique lui permettant de devenir "agent de contact". Quézaco ? Un mot nouveau pour dire gardien de musée, quoi !
Et commence alors une vie professionnelle passsionnante. " Il y a des fois où s'emmerder vaut de l'or."
C'est sûr que ce n'est pas un boulot physique, mais ne vous y fiez pas. Car outre les collègues déjantés, il s'en passe de belles dans ces hauts lieux de la culture !

L'auteur croque des portraits succulents de ces fonctionnaires qui regorgent d'activités annexes sur le lieu même de leur travail. Et en plus, ils osent se mettre en grève, prennent des touristes en otage et carburent à toutes sortes de substances.
Ah, quel dur métier que celui de "Casques bleus de la culture" !
Tout le monde y passe, le service du personnel, les syndicats, les visiteurs, les touristes, etc...

" Le contact se décompose en deux entités distinctes, quoique complémentaires: l'accueil et la sécurité.(...) La sécurité, c'était une autre paire de manches. On ne dirait pas comme ça, mais les visiteurs risquent gros dans un musée. Incendie, attentat, mouvement de panique, folie collective, geste désespéré d'un tireur fou..."

Ce livre a le ton de la bonne virée entre copains, sur fond de Doors et d'Hendrix.
Vous regarderez les oeuvres d'art sous un autre jour et vous ne vous adresserez plus à un gardien de musée de la même façon, la prochaine fois que vous pénétrerez dans l'antre du patrimoine de l'humanité.

Le Patrimoine de l'humanité     Nicolas Beaujon     Le Dilettante    

Et ça tombe bien, j'y vais demain. Je testerai et je vous raconterai les beautés que je verrai là

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3 mai 2007

LA REINE NUE

9782742766604Le clan Padovani est en émoi. Guilietta la reine mère, écrivain de renom, commence à perdre la boule !
Femme excentrique et indépendante, celle-ci a mené tambour battant sa vie, aussi bien privée que professionnelle. De ses trois maris, elle n'a gardé que ses septs enfants. Le succès de ses livres lui a permis de se faire construire La Villa sur la Riviera et d'y offrir une vie luxueuse à ses rejetons, puis plus tard à ses petits-enfants.

" D'une famille si peu orthodoxe, Guilietta avait réussi à faire une tribu qu'unissaient des liens étroits et au sein de laquelle régnait une parfaite concorde. Les frères et les soeurs vivaient dans un rayon de trente kilomètres autour d'un centre que figurait La Villa de leur mère. Ils ne s'étaient jamais quittés, se voyaient très souvent et se verraient plus souvent encore quand deviendrait manifestes les troubles mentaux de Guilietta. "

Aussi quand Guilietta annonce qu'il faudra la payer pour l'entendre raconter ses souvenirs, ses enfants ne doutent plus qu'elle s'enfonce doucement mais sûrement dans la démence. Ces septs-là n'hésitent pas un instant. Ils commencent par rentrer dans le jeu de leur mère, mais s'aperçoivent très vite que la situation ne pourra qu'empirer. Alors chacun se relaie un jour par semaine auprès de la vieille femme, n'hésitant pas à délaisser conjoints et enfants, voire même activité professionnelle.
Au cours des trois années que durera la déchéance de la mère tant aimée, chacun se retrouvera face à lui-même. Et se révèleront alors les vrais caractères des uns et des autres, ainsi que quelques pans cachés de la vie maternelle. Et certains ne s'en remettront pas.

"La vie de Loretta s'est mise à filer. Comme un bas qu'un ongle, malencontreusement, vient d'accrocher: plusieurs mailles sautent, une échelle se met à courir, descend le long de la jambe, rien ne peut la stopper, le dégât est irréparable."

Tout au long de courts chapitres, l'auteur nous promène d'un personnage à l'autre, sautant de l'esprit embrouillé de la mère aux périgrinations et déconvenues de ses enfants, en passant par les fragments du journal intime de  Guiellieta. Fidèle à son style, Anne Bragance réussit sur un ton léger, délicat et non dénué d'humour, à nous faire avaler une pilule qui aurait pu, n'en doutons pas, s'avérer bien plus amère.

La reine nue     Anne Bragance     Editions  Actes Sud

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1 mai 2007

UNE COQUINE ...

9782876734470de 91 ans, voilà ce qu'est Geneviève Briand-Lemercier !
Et elle lutte vaillemment contre le vieillissement sous la férule de l'odieuse Mme Bertrand, prof d'astrologie transcendantale, dont elle suit l'enseignement depuis douze ans et qui, non contente de la dépouiller financièrement, veut aussi la déposséder de ses écrits. Sa théorie est simple; le thème astral de Geneviève se rapprochant dangeureusement de ceux de certains écrivains morts prématurément, il devient impérieux de se débarrasser de tous ces mots qui encombrent les placards de notre héroïne.

Car Geneviève suit depuis toujours les conseils de son père : tenir chaque jour son journal et noter ses rêves. S'attelant à ce travail de désécriture, c'est l'occasion pour Geneviève de relire ses anciens cahiers et de nous faire partager l'histoire de sa vie. Elle en profite aussi pour nous faire partager ses autres marottes. Toujours dans un but profilactique et scientifique, elle tient à jour deux sortes de chroniques nécrologiques dans des grands répertoires. Quand elle n'écrit pas, Geneviève est une adepte forcenée des achats par correspondance et de petits calculs en tout genre, pour bénéficier de super cadeaux et autres chèques de gros lots.
Mais comme vous vous en doutez, loin de l'enrichir, cette activité n'est guère lucrative. Alors, avec la complicité de son concierge, elle devient la championne du trafic de friteuse, d'appareil à fondue et autres ustensiles dont elle ne se sert pas et qu'elle entasse dans son appartement. Elle est aussi la reine des emprunts auprès des membres de sa famille, pour lesquels elle ne nourrit pas le même amour qu'elle a pour les mots !

Sur la pointe des pieds, je me suis introduite dans l'entrée de Geneviève et j'ai fureté dans "son placard aux écritures". Voici ce que j'ai trouvé :
"Dans la partie supérieure, des cahiers d'écolières. Leur apparence varie un peu selon les époques et les modes. Certains sont décorés sur la page de couverture.(...) Sur la dernière page, il y a presque toujours les tables de multiplication.(...) Sur l'étagère du milieu, il y a les dix sept cahiers de quatre cents pages plus récents.(...) Au dessus des cahiers récents, il y a les dossiers des rêves."

Et là, perdue dans ses récits oniriques, je me suis faite piquer par Geneviève. Mais peu perméable aux discours sécuritaires, elle ne s'est pas précipitée sur son téléphone pour composer le 17 ! Au contraire, elle m'a proposé de poursuivre ma visite en sa compagnie ...
" Sur l'étagère au-dessus des rêves, c'est la documentation que j'accumule sur les cas de très grande longévité. Il y a un peu de tout là-dedans : des coupures de presse, des photos, des notes recopiées, et même des lettres.(...) Les deux derniers éléments à inscrire à l'inventaire de mes écritures sont le Grand Répertoire Rouge et le Grand Répertoire Noir. Ils sont rangés dans le tiroir du placard, toujours fermé à clef."

L'heure passant, j'ai refusé le goûter qu'elle me proposait (vous comprendrez pourquoi, si vous lisez ce livre) et après lui avoir souhaité longue vie, je suis rentrée chez moi pour écrire cette critique. J'ai passé un agréable après-midi en compagnie de cette espiègle petite vieille, craquante de naïveté et qui a plus d'un tour dans son sac ...
Mais est-elle si naïve qu'elle en a l'air ?

Pour une critique à un degré supérieur, voir la critique d'Oedipe. Car l'auteur est un linguiste émérite, qui ne pouvait que faire des ponts avec la discipline psychanalytique. Et ce sera aussi l'occasion de découvrir un autre de ses romans, plus ancien celui-ci.

Une très vieille petite fille     Michel Arrivé     Editions Champ Vallon

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