Un peu de Parmesan ?
Si vous aimez les polars sanglants et trépidants, passez votre chemin. Celles et ceux qui ont déjà fait connaissance avec le commissaire Soneri dans le précédent roman, "Le fleuve des brumes", savent que ce n'est pas un agité. Il serait plutôt de la trempe d'un Adamsberg ou d'un Wallender, un être un peu rêveur et nostalgique, amateur de bonne cuisine et de cigares, à la réflexion éthérée qui lui permet cependant d'élucider des affaires criminelles qui ont la bonne idée de se dérouler en bord de Pô, dans la belle ville de Parme. Il n'aime rien tant que flâner dans ses ruelles, surtout la nuit, quand le brouillard, personnage quasi à part entière, permet de filocher en catimini tout en cogitant.
"A cette heure, tout était privé de géométrie. La ville dans le brouillard, surtout. La ville sans aucune dimension certaine, au coeur sinué de ruelles, là où un voile d'eau déforme les distances comme un verre mal poli et les transforme en perspectives trompeuses. Là où les pas qui résonnent semblent attirés par un gouffre tout proche où le chemin s'enfonce. Où les hommes seuls se sentent encore plus seuls."
Et du brouillard, il y en a en cette semaine de Noël. La période s'annonce calme jusqu'à ce qu'on découvre la vieille Ghitta Tagliavini assassinée dans sa demeure, une ancienne pension pour étudiants devenue un lieu de rendez-vous pour des cinq à sept discrets. Car Ghitta avait de la ressource et le sens des affaires. Soneri connaît bien les lieux puisqu'il les a lui-même fréquentés dans sa jeunesse. C'est là que logeait celle qui allait devenir sa femme, épouse qui le resta peu de temps puisqu'elle mourut en donnant naissance à leur enfant mort-né.
"Puis, en proie à l'angoisse, il descendit l'escalier et une fois dehors, un flot de tristesse lui serra la gorge. Il regarda longtemps la rue : le brouillard épais élevait une muraille moelleuse tout autour. Et comme toujours, c'était ce qui représentait le mieux ce qu'il avait dans la tête."
Voilà donc Soneri se prenant le passé en pleine figure, obligé d'arpenter ce quartier de la vieille ville, où il n'a pas souvent remis les pieds, et de remonter le temps pour comprendre qui pouvait bien en vouloir à une vieille apparemment sans histoire. En repoussant la porte de la via Saffi, Soneri subodore qu'il va sans doute affronter des fantômes qu'il aurait préféré laisser dans un placard. D'autant plus que des ramifications politiques pointent le bout de leur nez entrant en résonance avec les difficultés du commissaire à s'accomoder des changements et des désillusions du XXIe siècle.
Un roman où on se glisse à pas feutrés. On baigne dans une atmosphère nébuleuse dans laquelle on se laisse porter comme en apesanteur. Les personnages vous prennent par la main et vous guident dans le vieux Parme au charme un peu désuet, comme si le brouillard déposait une couleur sépia sur la modernité pour mieux en atténuer ses travers.
"Après tout, la vie ne ressemblait-elle pas à un homicide ? Ne s'achevait-elle pas toujours avec un mort ? Ne tuait-elle pas le temps en le minant chaque jour de ses petits affronts jusqu'à l'effondrement ? Et puis le temps n'a pas besoin d'alibi, il est comme le bourreau, il accomplit son oeuvre. Ce sont leurs victimes qui doivent trouver une motivation capable de soutenir leur chemin quotidien."
Un auteur qui compte désormais dans la littérature policière italienne et un commissaire qu'on ne demande qu'à retrouver, laissez-vous interpeller !
Un roman pour ouvrir le Défi littéraire de Madame lit d'un Septembre italien.
La pension de la via Saffi Valerio Varesi (traduction Florence Rigollet) Editions Points