CVT_Albergo-Italia_3572Changement radical pour ce second polar italien, exit le brouillard et les années 2000. Un bond en arrière de plus d'un siècle nous amène sous le climat torride de l'Erythrée en 1899. Depuis 1869 l'Italie ne cesse d'étendre sa présence dans l'ancien royaume de Saba, il faudra attendre 1941 pour que les Britanniques délogent les Italiens, qui s'en sont retournés chez eux avec le goût et le savoir faire du bon café (raccourci qui vaut ce qu'il vaut).

"Pendant ce temps, Manna avait jeté une poignée de grains verts dans une petite poêle de fer-blanc et les secouait sur le feu pour les faire griller. Une odeur amère et forte de café tout juste brûlé remplit la pièce (...) Manna versa les grains grillés dans un mortier de bois et Lettebrahàn les écrasa avec un pillon. L'odeur de café devint plus fine et plus intense (...) Puis arriva l'odeur du café que Manna avait fait bouillir sur le charbon dans une carafe allongée de terre cuite noire, et Caloprico oublia vraiment tout, affaire et Margherita, et aussi qu'il était un feringi, un t'liàn carabinier."

La méthode est un peu désuète, je vous l'accorde, tout comme ce polar qui ne brille pas par son intrigue mais dont tout le charme réside dans l'atmosphère étouffante où se mêlent, aux odeurs poisseuses et poussiéreuses des villes, les sonorités des langues et des dialectes divers. Autre charme, et non des moindres, la personnalité des personnages, notamment le très perspicace abyssin Ogbà, carabinier indigène et assistant du capitaine Caloprico, lequel se voit confier la mission d'élucider le vol d'un coffre fort dans un dépôt de munitions et la mort du discret Farandola lors de l'inauguration de l'hôtel Albergo Italia.

Une délicieuse brochette de suspects s'offre à ce duo d'enquêteurs, proche de Holmes et Watson, qui s'en vont à la recherche d'indices entre Massaoua, sur la mer Rouge, et Asmara la montagneuse à 2400 m d'altitude, offrant au lecteur une virée sympathique dans les paysages tour à tour riches ou arides, virée agrémentée d'un aperçu de la cohabitation qui s'instaura et dut composer pendant plus d'un demi-siècle.

" - Parce que ce pays ne me plaît pas. Pire, je ne le supporte pas. Il n'y a rien et il n'y aura jamais rien. Même les femmes ne me plaisent pas, et je vous jure que je suis un homme fait de chair et de sang. Si vous voulez mon avis, nous n'aurions jamais dû y venir, et après Adoua nous aurions mieux fait de l'abandonner et de rentrer chez nous. Nous l'avons déjà en Italie notre Afrique. Et puis, putain, ici, on n'arrive pas à respirer."

Un roman dépaysant, léger, coloré, parfumé, chantant, qui donne envie de découvrir le premier titre de ce triptyque sur le colonialisme qui débute avec "La huitième vibration" (qui relate la bataille d'Adoua en 1896 qui vit s'affronter les hommes du Négus et les troupes italiennes) et s'achève par "Le temps des hyènes".

"Il pensait qu'en effet, à Massaoua, on respire et à un certain point on s'habitue tellement à la chaleur que, s'il n'y en a pas, elle manque. Mais à Asmara, dès qu'il arrêtait de pleuvoir et que le soleil sortait, c'était comme si tout fleurissait à l'instant. Des couleurs brillantes au point de sembler artificielles. Si pleines. A Massaoua lumières blanches et ombres noires, ici au contraire ce sont les yeux qui brillent."

Keisha également vient de le lire.

Lu dans le cadre du Défi littéraire de Madame lit.

Albergo Italia     Carlo Lucarelli  (traduction S. Quadruppani)    Editions Métaillié

 Un peu de propagande !

"Depuis qu'il était entré, Colaprico était resté le nez en l'air à admirer les stucs d'Angleo Polisco"

 

 Inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco en 2017 pour son patrimoine architectural colonial et Art déco, ses rues à la propreté irréprochable, sans l'ombre d'un uniforme, et sa douceur de vivre grâce à son climat tempéré... Cependant, n'oublions pas que la ville, "la piccola Roma", est la capitale de "la petite Corée du nord africaine", un régime dictatorial à la liberté d'expression et de circulation inexistante, aux prisons souterraines ou à ciel ouvert et à la multitude de flics en civil, au service militaire à durée indéterminé apparenté à du travail forcé, au choix d'études et de métier impossible etc, etc... Alors, oui, Asmara est une jolie vitrine.

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La route entre Asmara et Massaoua (© Nicolas Germain)

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La vieille ville de Massaoua (© Charlotte Ficheux)