Dérives entre deux rives
Schwara est l'homme aux mains de bois. Forestier, charpentier, sa scierie a brûlé dans les tourments de la guerre civile qui a ravagé son pays. En ce premier été de l'après-guerre, il quitte son massif des Londes pour partir à la recherche d'un homme. Schwara l'homme du nord va s'aventurer dans le sud, vers la mer et jusqu'au port de Ran-Mositar, là où se cotoient les refugiés, les opportunistes, les soldats de l'ONU et même les touristes déjà revenus jouir des îles et de leurs sources chaudes.
Schwara va à pied. Il a pour tout bagage sa sacoche contenant quelques outils et la richesse de ses mains. Il se fait vite repérer par son savoir faire et travaille ça et là sur des chantiers. Partout, il interroge et poursuit sa quête. Et partout, il croise les mêmes douleurs, les mêmes haines encore à vif. Celles des femmes violées et îvres de vengeance, celles des hommes qui ont commis ou vécu l'horreur et qui composent avec.
"Chaque camp appliquait sa logique de l'ordre et du désordre."
Lorsqu'enfin il arrive à Ran-Mositar, la vie de la ville tourne autour de la reconstruction du Vieux, le célèbre pont construit au XVIe siècle et qui, jusqu'à ce jour, avait résisté à tout. "Soudain la notion de crime contre un patrimoine de l'humanité s'inscrivait dans le livre de la barbarie. La ville avait retenu son souffle puis, dans un silence pétri d'angoisse, les habitants s'étaient approchés des rives séparées. L'incroyable blessure qui béait devant eux zébrait leur conscience d'une même cicatrise, les rendait responsables d'une inconcevable atteinte aux racines de la vie."
Schwara met son talent à la disposition des équipes chargées des travaux. Il sait que c'est là que prendra fin son voyage. Il croisera Irini, dont le drame personnel rejoindra celui de Schwara, et qui le mènera involontairement jusqu'à l'homme recherché. Chacun se confrontera à son destin.
"Dans un pays que je connais bien, les losanges sont un signe de sagesse. Le rond, tu n'en ressors jamais, le carré est trop parfait, il t'enferme, le rectangle s'étire à l'infini, peu fiable. Tu les rassembles tous, tu obtiens le losange, une figure idéale, assez déséquilibrée pour que ta pensée s'y glisse et pourtant cernée par les quatre côtés qui la guident.
- Il est où ce pays de la sagesse ?
- Là où fleurissent des champs de rhododendrons."
Si cette histoire vous rappelle quelque chose, c'est sans doute celle de la ville de Mostar, en Bosnie-Herzégovine. Le 3 Novembre 1993, malgré la présence des troupes de l'ONU, le pont piéton s'effondre dans la Neretva, séparant la communauté croate catholique orthodoxe et la communauté bosniaque musulmane. Sous l'égide de l'Unesco, la reconstruction commencera en Juin 2001 et le nouveau pont, restauré selon les techniques ancestrales, sera inauguré le 23 Juillet 2004.
Ce livre est son histoire et celle des hommes qu'il tente de relier. L'un et l'autre se parent à la fois d'une simplicité et d'une folie magnifiques.
"Mais qui pouvait parier sur l'avenir d'un pays qui chérissait son pont et laissait sombrer ses enfants ?"
Le pont de Ran-Mositar Franck Pavloff Editions Le Livre de Poche