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Le Souk de Moustafette
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22 mai 2008

Les Abori-gênent...

978207034157370 000 av. JC, les continents sont en mouvement et l'homo sapiens aussi.
Suite à l'éruption gigantesque du Mont Toba, les péninsules de Sunda et de Sahul se sépareront à jamais pour, petit à petit, donner naissance à l'Océanie actuelle.
Le livre s'ouvre sur la longue marche d'une peuplade qui, poussée par la faim, quitte Sunda et brave les flots pour s'échouer sur une terre inconnue, Sahul. Pendant des millénaires, ces hommes peupleront Sahul, la parcourant de fond en comble, y puisant leurs mythes et leurs croyances, affrontant les changements climatiques, s'adpatant et survivant grâce à la faune et la flore dont ils tireront subsistance, remèdes et protections.
Cette odysée mènera les descendants de Yoolore, de Tjonambu et de Namoora, à l'aube du troisième millénaire dans l'Australie moderne dont ils ont été spoliés.

"8 000 ans av. JC.
Wirakee ramena le bras en arrière. D'un mouvement de poignet, il fit siffler le boomrang. Une étroite fraction de temps et, comme à chaque fois qu'il lançait le morceau de bois, il eut la vision de Tjoonake, l'enfant-ancêtre, issu de la lignée de Pinanga, de la rencontre entre ceux du monde-sur-la-terre et ceux du monde-sous-la-la-terre. Selon la légende, Tjoonake avait repoussé le ciel loin du sol avec un bâton, permettant aux hommes et aux animaux de ne plus ramper. Puis, sous l'effort, ce bâton s'était courbé. Alors, le croyant devenu inutile, Tjoonake l'avait jeté au loin. Mais le bâton était revenu à lui : le boomrang était né."

Parallèlement, en 2004 à Sydney, Liz enrage dans le Tribunal des Réfugiés où elle travaille. La défenestration d'une jeune Bangladaise et les méthodes humiliantes de la directrice lui sont devenues insupportables.
D'ascendance française, Liz largue tout et s'installe en Provence, là même où sa mère et sa grand mère ont séjourné pendant la guerre avant de s'embarquer pour l'Australie.
Bien décidée à découvrir l'histoire de cette mère qu'elle a si peu connue, et dont elle ne garde aucun souvenir,  elle mène l'enquête et finira par éclaircir les zones d'ombre que son père lui a toujours dissimulées.

Et bien évidemment, l'épopée des Aborigènes rejoindra l'histoire de Liz.

C'est un voyage passionnant et fort bien documenté au coeur de l'histoire de ce peuple (cartes, planches, généalogie, lexique et explications supplémentaires en fin de livre).
J'ai été réellement enchantée par leur cosmogonie, et j'aurais aimé que l'on traverse le Temps plus lentement encore, afin d'en découvrir davantage sur cette culture. Le récit faisant référence au XXe siècle est, lui aussi, riche d'enseignement sur le sort échu à ce peuple qui fut dépouillé, exploité, décimé et auquel les blancs ont volé ses enfants.

L'histoire de Liz permet un sympathique séjour provençal, bien qu'un peu trop simpliste à mon goût.
On aurait pu se passer des quelques cadavres, dont on ne sait qu'à la fin s'ils ont un lien avec l'histoire maternelle, une éventuelle magie aborigène, ou tout autre chose.
De même, jusqu'à la fin, on se demande bien par quelle pirouette l'auteur va s'en tirer pour conjuguer ces 70 000 ans d'histoire avec le chant des cigales et les parfums de la lavande.
Mais, tant bien que mal, elle y réussit...

Au total, un livre qui lie le romanesque et les références anthropologiques, et qui m'a permis de retrouver le même plaisir que j'avais déjà rencontré à la lecture de "Requiem pour un poisson" (Folio).

Noir austral    Christine Adamo    Folio policier

 

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19 mai 2008

Le poids des hommes

9782070355570L'histoire débute en 1952 alors que la mère du narrateur (Pavel), médecin urologue, est appelée auprès de Staline afin de soulager les douleurs du Vodj par des techniques peu orthodoxes dont elle a le secret. Evidemment, ce qui devient une protection certaine exige quelques concessions, comme par exemple celle de quitter son mari...une broutille !
Heureusement, le petit père des peuples a la bonne idée de mourir l'année suivante, ce qui permet à la mère de Pavel de retrouver son mari, mais de perdre aussi son poste dans la capitale soviétique.

"Elle ne m'a jamais parlé de ses retrouvailles avec mon père. L'un et l'autre sont restés de bons communistes. Le retour à une vie ordinaire après avoir été supplicié était normal pour l'époque. Comme il l'était de ne pas tenir rigueur au régime. La dérive de certains n'assombrissait en rien le projet révolutionnaire et la foi qu'on avait en lui. Peu d'homme étaient alors capables d'ajouter à la souffrance de la torture celle de la désillusion.
Alors que les premiers sous-marins nucléaires appareillaient, mon père a été muté dans une base de la mer de Barens pour assurer le suivi technique de la flotte nucléaire. C'est là que je naquis en 1957."

Et l'histoire se termine quelques quarante ans plus tard, sur le destin tragique d'un sous-marin nucléaire, sur lequel Vania, le fils de Pavel, effectue sa première plongée lors de grandes manoeuvres de la Flotte du Nord.
Entre les deux, nous suivons le destin de deux hommes.

D'abord celui de Pavel, qui se débat entre sa femme diminuée suite à un traumatisme cranien, sa fille prise dans la nouvelle frénésie médiatique, ses vieux copains convertis au libéralisme de façon parfois radicale, les tractations avec le représentant de l'état suite au décès de Vania, son deuil et ses propres répères qui se brouillent. A quarante quatre ans Pavel change de vie. Il négocie sa mise en retraite anticipée, investit l'argent donné par l'état, prend une maîtresse mais s'accroche à ce bout de terre sibérienne où la dureté de la vie forge le carctère des hommes.

"Il nous arrivait de dormir à l'isba ou de nous improviser un campement de fortune dans des lieux plus reculés où nous ne rencontrions jamais personne. Il n'est pas rare qu'un couple se dise seul au monde, mais là nous l'étions pour de bon dans ces étendues sans fin où la nature paraît à son avantage, cachant sa maladie comme une vieille femme autrefois coquette le fait de son déclin."   

Parallèlement, nous suivons l'ascension d'un petit agent du KGB qui finira à la tête du pays et qui, comme tous ses prédécesseurs, aura peu d'états d'âme lorsqu'il s'agit de choisir entre le pays et les hommes. Patrie, empire ou fédération, selon les époques, peu importe, la règle du jeu est toujours identique, la valeur humaine est quasi nulle et seuls importent le pouvoir et la force lancés à la face du monde occidental.

Des petites histoires "sans importance" sur trois générations pour nous brosser la grande Histoire.
Un découpage en règle du fonctionnement paranoïaque d'un régime et les conséquences inéluctables sur les hommes qui y sont soumis.
Un mélange habile de fiction et de réalité.
Une construction originale et des personnages attachants de fragilité.
Conclusion, un livre à recommander sans hésitation.

Si vous avez du temps, cette vidéo , un très bon documentaire pour compléter la lecture, avec la voix de Bernard Giraudeau en prime.
Et l'avis de GAMBADOU.

Une exécution ordinaire     Marc Dugain     Editions Folio

 

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17 mai 2008

Anne, ne lis pas ce billet...

9782253124719Je m'y suis reprise à trois fois pour lire ce petit roman de 189 pages, c'est dire si j'étais passionnée...
L'article d' INSATIABLE LECTRICE , concernant le film m'avait pourtant conquise. Albert Dupontel aidant, j'ai donc commencé ma lecture pour me retrouver en pleine crise conjugale, moi qui fuis ce genre de scénario comme la peste. Premier abandon.

Voilà que SYLIRE , qui vient aussi de voir le film, enfonce le clou et qu'un commentaire d'Anne m'encourage à poursuivre ma lecture. Consciencieuse, je reprends le livre et me retrouve là où j'avais laissé ce petit monde. A la crise conjugale, s'ajoute un anniversaire surprise, événement par moi honni entre tous. Décidément, j'ai pas de bol. Je poursuis cependant ma lecture, en diagonale je l'avoue, toujours aidée en cela par le cynique Albert Dupontel qui trotte dans ma tête. Le jeu de massacre me lasse à nouveau et la femme d'Albert m'énerve au plus haut point, sans doute la jalousie ! Deuxième abandon.

Hier, CATHULU , oh joie, émet un avis qui aurait tendance à se rapprocher du mien. Ouf, je me sens moins seule ! Je replonge donc dans le chapitre neuf, bien décidée à régler leur compte aux quelques soixante-dix pages restantes, avec le secret espoir que la fin saura enfin me faire apprécier ce pétage de plomb abracadabrantesque.
Et alors là, c'est tellement énorme que je suis morte de rire.
Pour garder l'effet de surprise, je ne peux guère en dire plus, si ce n'est que dans le genre pas crédible pour deux sous, on ne fait pas mieux. Franchement, la chute est à la hauteur du reste. Du grand n'importe quoi.
Contrairement à Cathulu, je n'ai pas réussi à entrer dans l'intensité dramatique de ce déchaînement qui va pourtant crescendo, tout simplement parce qu'on n'y croit pas. Cet homme aux abois, ce couple parfait, cette petite société de quadras embourgeoisés n'ont pas réussi à me faire compatir à leur triste sort. Mais SURTOUT, la logique des bons sentiments qui motive le héros à s'embarquer dans ce jeu de massacre, laisse plutôt à désirer côté crédibilité et véracité.

Je ne doute pas que le film soit d'un autre niveau, Jean Becker et Albert Dupontel réunis ne pouvant donner naissance à un navet. Et Dupontel est ABSOLUMENT taillé pour ce genre de tableau. Mais que fait-il, sur la couverture du livre, au bord de ce magnifique rivage, alors que le roman navigue entre Yvelines et Paris ?
Je ne le saurai jamais car j'ai perdu l'envie de voir ce film.

A lire vraiment si vous avez deux heures à tuer et rien d'autre sous la main...

Deux jours à tuer     François d'Epenoux     Editions Le Livre de Poche

 

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2 mai 2008

Si la photo est bonne...

9782742774340Des photos prises au début du siècle par le jeune Romain à la veille de son départ pour la guerre, et décédé avant même d'avoir combattu, vont permettre à Miléna, elle-même photographe, de faire un retour en arrière sur sa propre histoire, alors que le défunt n'appartient pourtant pas à sa famille.

En effet, c'est dans une chambre de la maison familiale de Jorge, son compagnon, où vit encore Madeleine, la soeur de Romain, qu'elle découvre des plaques de verre où sont inscrits quelques instants figés de la vie des Maréchal.
Non seulement Madeleine est le dernier témoin des nombreux tourments qui ont frappé cette famille bourgeoise de Blois au début du siècle, mais c'est aussi celle qui a élevé et recueilli Jorge à la disparition de ses parents à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jorge a six ans, il grandira chez ses grands-parents où la chambre qu'il choisit d'occuper n'est autre que celle de Romain.

Pendant que Miléna est à Blois, Jorge est à Lisbonne pour son travail. Une curieuse apparition le fait se repencher sur son enfance et le peu de temps qu'il a vécu avec sa mère dans le quartier de la Butte aux Cailles.

Leurs deux récits vont se répondre comme en écho.
Récits de deux déracinés, deux enfants ayant subi, chacun à leur façon la guerre des hommes, auprès de parents tout aussi impuissants qu'eux et pris dans leurs propres douleurs. Les traumatismes de ces années décideront de leur futur, de leur rencontre, de leur métier.
Récits du passé qui répondent au présent, jouant des filtres et des couleurs, l'assombrissant pour mieux l'éclaircir, et saisissant, juste avant qu'il bascule dans un trop tard, l'instant opportun afin de dévoiler les émotions.

"Je veux dans les regards le souvenir des guerres et des voyages, des images d'enfants perdus, la neige de l'hiver, une tombe en Mauritanie, le dernier baiser d'une mère et l'odeur de sa poudre, je veux le mensonge, la peur, l'illumination d'une rencontre sur le bord d'une allée, et que personne ne sache rien du souvenir que chacun garde dans les yeux. Cela regarde le photographe. Je veux faire une photographie de famille en noir et blanc. Négative, positive, où je ne serai pas. Tu me regarderas. Tu regarderas le point d'où je te vois, comme cela je serai tout entière dans la photographie, dans ton regard qui me rejoint par-dessus le damier en noir et blanc. Moi, je suis de l'autre côté. J'arrive juste. Je viens de loin, d'une île avant les souvenirs, d'une image d'hiver inversé. Il est grand temps de prendre la photographie, il faut se dépêcher. Avant que le nuage éblouissant d'absence, dans un grand éclair sidérant, efface le paysage de son silence."

Aux histoires de Miléna et de Jorge, qui s'emboîtent et forment la trame narrative, s'intercale par petites touches successives une voix du passé.
Publié en 1990, ce livre laisse déjà deviner le très beau "Dans la main du diable" (dont la suite, "L'Enfant des ténèbres" vient de sortir chez Actes Sud), puisqu'on y retrouve le début du XXe siècle, la guerre, la photographie, la chimie, les voyages, les exils, les secrets.

Mais la réussite de ce livre-ci tient surtout à la dextérité de l'auteur à jouer des mots comme de couleurs. Ne cherchez pas une palette à large spectre. Non, il faudra vous contenter de la gamme qui s'étend du noir au blanc avec, entre les deux, des camaïeux de gris et d'émotions qui se mêlent l'un à l'autre, imprégnant les corps et les esprits en silence et en souffrance.
L'oeil est le témoin et imprime des images, les mots en seront les révélateurs, mais le temps d'exposition est parfois plus long qu'on ne croit. Ou comment transformer les sensations en émotions, tout en fouillant les négatifs de l'inconscient.
Au final, outre une excellente réflexion sur l'acte et la fonction psychique de photographier, la pénombre de la chambre noire donne naissance à un très beau cliché sépia.

Alors, oui, la photo est bonne !
Dans mon panthéon personnel et littéraire, je ne suis pas loin de placer son auteur aux côtés de Sylvie Germain. Bien que dans un style différent, ces deux dames trempent leur plume dans de bien jolis mots et laissent traîner derrière elles des atmosphères uniques.

Chambre noire     Anne-Marie Garat     Editions Actes Sud Babel

 

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29 avril 2008

Carpe diem

9782253123910En 1803, Vassili Evangelisto, moine orthodoxe, est envoyé en terre d'Arabie par le tsar Alexandre Ier, avec pour mission d'évangéliser les populations. Vassili n'arrivera jamais à destination, son navire faisant naufrage sur une île grecque non répertoriée, l'île de Labyrinthe, entourée d'un courant mystérieux précipitant les bateaux sur ses côtes, mais empêchant aussi à l'inverse de s'en éloigner.
Viendront ainsi s'échouer le Général Mendoza et le capitaine Spyros Parga.
Bloqués à jamais, ces trois hommes prendront en main le destin de l'île et de ses habitants, tout en essayant de découvrir le secret des coffrets de Tahar le Sage afin de détenir le trésor de vérité.

"(...) il se mit à neiger des papillons bleus. Les mêmes papillons, le même signe divin, la même neige insolite et colorée qui était tombée pour annoncer chacun des moments importants qu'avait connus l'île de Labyrinthe. Un nuage bleuté, aérien, obscurcit le ciel avant de s'abattre sur le village comme un ouragan. Il y eut des papillons bleus jusque dans les puits, les citernes, sur les toits et les terrasses, dans les cours et les ruelles. Tout était merveilleusement bleu, comme un ciel renversé et posé à terre sur lequel on n'osait marcher, de peur d'en blesser la beauté."

C'est avec toujours autant de sensualité et de poésie que l'auteur d'Opium, de L'Apiculteur et autres contes philosophiques, nous livre une réflexion sur le temps et toutes ses déclinaisons.
Cela dit, rien de renversant. Bien que j'aie trouvé l'histoire moins surprenante, elle n'en reste pas moins sympathique, et le charme opère une fois de plus.
Et pourquoi se refuser un petit moment de lecture colorée au milieu de cette grise et pluvieuse semaine ?

Le Labyrinthe du temps     Maxence Fermine     Editions Le Livre de Poche

 

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25 avril 2008

Dernière Manche

9782070336630Une première partie composée de portraits. Quelques uns des personnages qui ont vécu, aimé, souffert, pris du plaisir dans quatre maisons. Les Mouettes, Bellevue, Les Huguenans, Saint-Désir, quatre maisons posées à Saint-Contest, dans un décor de rêve, face à la Manche, sur une falaise inéxorablement grignotée par la mer, le vent, les tempêtes et la montée des eaux. Trois maisons dont il ne reste quasiment rien, et une dernière qui résiste, tout comme Eliane, sa propriétaire.

Une deuxième partie, où l'on retrouve Eliane venue pour un dernier séjour. Eliane, à qui Brigitte, qui était enfant à l'heure de gloire de Saint-Contest, rend visite et va recueillir, et devenir, la mémoire de ce microcosme, ses joies et ses drames, ses apparences et ses zones d'ombre, ses espoirs et ses déceptions.

Entre vérités et mensonges, Eliane farfouille au fond de sa mémoire, parfois vacillante, afin de déposer une page de vie auprès de la dernière survivante. Eliane et Brigitte, qu'un événement a liées à jamais. Pour que tout cela ne soit pas vain, effacé, balayé par le temps qui ronge les êtres et les choses. Et il y a urgence, la nature reprend toujours ses droits.

"J'ai défait mes valises sans me presser, la fenêtre grande ouverte sur la mer qui montait, l'été se présentait comme avant, plage de temps et de sable également uniformes, les jours de la semaine perdant leur couleur propre, celles qu'ils ont toujours eues pour moi - j'ai encore du mal aujourd'hui à admettre l'ignorance des autres, même si j'ai fini par découvrir que pour moi seule le lundi est bleu-gris, le mardi vert-bouteille, le mercredi rose, vieux rose, le jeudi rouge, le vendredi bleu vif, le samedi doré et le dimanche tout blanc. (...) Sans doute, à l'origine de ces associations, y a-t-il mon premier cahier de textes, ses languettes détachables aux tons tranchés, mais plus que la teinte, c'est l'intensité qui compte et détermine ma perception : le lundi, transitoire, conserve la faible luminosité du dimanche, vide, éteint; le mardi s'assombrit, le mercredi forme une bulle gaie, irisée, le jeudi déjà la chaleur du samedi le réchauffe, le vendredi n'a pas du tout la même couleur mais reste aussi soutenu, préparant les éclats du samedi. Sauf pendant les vacances."

Un titre trompeur, les finitudes ne sont jamais joyeuses.
L'auteur du "Colloque sentimental ", réveille à merveille les ambiances de vacances des bords de mer, laissant son lecteur s'envelopper dans le drapé nostalgique et poisseux du passé, porté par le vent du large et corrodé par l'air salin.

Happy End     Julie Wolkenstein    Editions Folio

 

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17 avril 2008

Il l'a rêvé, il l'a fait

9782864246350Et il a bien eu raison, y'a pas d'âge pour se faire la belle !
C'est ce que pense Sébastien Lesquettes, dit "Einstein", qui en a assez de végéter aux "Cannabis" comme il a baptisé la maison de retraite où ses enfants l'ont laissé pour un mois et qui, trois ans plus tard, ne sont toujours pas revenus le chercher.

C'est accompagné de Laurent, chauffeur de taxi sénégalais qui le véhicule dès ses premières heures de liberté retrouvée, qu'Einstein nous balade parmi ses souvenirs, entre jours heureux et drames de sa jeunesse pendant la guerre et dans la Résistance, événements qui le mèneront à l'âge d'homme, mari et père de famille, mais aussi amant comblé de Paula.

Paula, désormais seul but de la vie d'Einstein.
Et nous voilà embarqués dans un road-movie entre Paris et province d'aujourd'hui, zone occupée et zone libre d'hier, à la recherche de Paula, jeune résistante croisée et aimée à la vitesse de la lumière, disparue dans la tourmente, retrouvée des années plus tard, aimée encore et à nouveau envolée.

"J'aime les femmes et les livres, Laurent, je les adorais, je les adore. Lire...aimer...les seules vérités qui restent accessibles et acceptables pour tous quand les utopies s'écroulent. Le reste... idéologies, blablas, révolutions, rêves, tout n'est qu'avortements, fausses couches, morts et résurections, spectacle permanent. (...) On tue pour rien, on ressuscite pour débouler sur le même néant. Vanité des vanités... Sauf... Sauf lire et aimer ! Ouvrir un bouquin, une femme, laisser courir le regard, accrocher une phrase sur l'écran de papier blanc, tourner une page, découvrir qu'une peau couleur d'ivoire contient mille palindromes que tu peux déchiffrer avec tes lèvres et tes doigts dans tous les sens de la volupté, ânonner l'alphabet de l'amour, une fois, puis une deuxième, une troisième... et entrer, en invité, dans une histoire qui n'a été écrite que pour toi. Ce jour-là, Paula était son histoire, la mienne, une folle envie de vivre que je lisais à voix basse pour elle et moi."

On se demande bien pourquoi un tel homme devrait finir ses jours enfermé dans un mouroir doré, entouré de mémères gâteuses en charentaises sucrant les fraises ou claquant du dentier à longueur de journée !

Prendre la poudre d'escampette n'est pas seulement une dernière bouffée d'air pur. C'est aussi l'occasion de revisiter l'Histoire, celle d'une génération, écloppée de la guerre et de ses souffrances.
Opportunité aussi de revisiter Paris et d'alpaguer, sur un ton gouailleur digne d'Audouard, notre société moderne.
Et enfin, ultime possibilité de partager deux jours de liberté avec un autre exclu, un autre déraciné, Laurent, personnage en exil, amoureux de la vie et pour qui la solidarité a encore un sens. Peut-être est-il le fils auquel Einstein aurait pu confier sa part d'ombre et de lumière, le fils qui aurait dû pouvoir témoigner pour son père ; mais on ne choisit pas sa famille...

Une très belle leçon de vie et de mort donnée par un vieux rebelle non dépourvu d'humour !
Un rôle en or pour Gabin. Comment ça, il est mort ? N'importe quoi !!!!!

Le Jour où Albert Einstein s'est échappé   Joseph Bialot   Editions Métailié

 

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"l'imagination est plus importante que le savoir" A.E

 

2 mars 2008

Viennoiseries

caf__viennoisSi vous souhaitez découvrir comment s'est construite la légende des fameux cafés viennois...
Si vous voulez savoir d'où vient votre croissant, qui a peut-être accompagné votre café en ce dimanche, et qui fut créé à Vienne par les boulangers pour immortaliser la victoire de l'Empire sur les Turcs en 1683...
Si vous ne savez pas ce qui différencie un café Shwarzer, d'un Kleiner, d'un Verkehrt, ou encore d'un Einspänner, et j'en passe car il y en a une sacrée collection et ce n'est pas simple de commander juste "kaffee bitte" (moi, j'avoue avoir une préférence pour le Maria Theresa !)...
Si vous rêver de déguster la seule et unique Sachertorte, et non pas ses avatars que l'on trouve sous la même appelation mais avec une minuscule différence d'importance, Sacher torte...
Et enfin, si vous êtes une nostalgique de Sissi et du style rococo...
Ce livre est pour vous !

"Pour qui hésite entre la solitude et la compagnie, pour qui n'aime ni rester chez soi ni traîner dehors, pour qui alterne entre l'ennui, la paresse et la mélancolie, il suffit de pousser la porte du Prückel, du Sperl, du Central ou d'un autre pour se sentir apaisé et bienvenu.
Les cafés viennois sont les havres des états d'âmes.(...) On peut grignoter salé, sucré, ou boire un seul café et traîner des heures sans jamais subir le moindre regard désobligeant de la part du garçon. Les tables sont en marbre et les patères en cuivre. Les journaux sont du jour, les gâteaux sont frais et les clients discrets."

Si de plus, vous n'êtes pas contre un petit saut dans l'Histoire, alors laissez-vous entraîner par Frieda qui revient dans sa ville natale cinquante-quatre ans après l'avoir quittée lors de l'Anschluss. Elle est accompagnée de sa fille Clara. Ce pélerinage est l'occasion pour Frieda de régler ses comptes avec ce pays qui en 1938 a ouvert tout grand ses bras à un autre enfant du pays prénommé Adolf, a pactisé avec le diable et qui, depuis la défaite, n'a pas fait preuve de trop de repentir.

"Les Allemands étaient de très bons nazis, et de mauvais antisémites. Les Autrichiens furent de mauvais nazis, mais des antisémites hors pair !"

Donc, une très sympathique et instructive balade, une douce relation mère-fille et une réflexion sur l'identité et le sentiment d'appartenance.
Pour une vision plus violente de la difficulté de vivre avec le poids du passé et de la honte, voir les romans de l'auteure autrichienne Elfriede Jelinek, notamment "Les exclus" et "Enfants des morts", beaucoup plus hard, j'avoue que je n'ai pas encore trouvé le courage de m'y plonger.

Café viennois     Michèle Halberstadt     Editions Le Livre de Poche

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29 février 2008

Marthe à l'ombre !

9782742771639Un beau matin, alors qu'elle cogite assise sur son poste de télévision, Marthe décide de changer de vie.
Ni une ni deux, elle saute dans un TGV afin d'aller annoncer la bonne nouvelle à son père.
Outre la décision de tout larguer (travail, appart, amant), Marthe décrète que dorénavant elle ne fera plus que ce qu'elle veut.
Jusque là donc, presque rien d'anormal...
Si ce n'est que Marthe a un curieux rapport à son corps et au monde.

Alors, quoi de mieux qu'un train bloqué des heures au milieu de nulle part pour commencer à mettre en pratique ses nouveaux principes. Tel une entomologiste, Marthe peut alors observer à la loupe le microcosme voyageur. D'accord, sa focale est un brin originale et la demoiselle, d'emblée, ne passe pas inaperçue. Non seulement elle devient la bête noire du contrôleur, mais ses façons d'être vont aussi en surprendre plus d'un.
Quand l'événement est médiatisé, Marthe n'est pas loin d'atteindre son heure de gloire, et lorsqu'on on sait que le nul part en question s'appelle Mourron... il y a vraiment de quoi s'en faire !
Hélas, les trains qui arrivent en retard chamboulent parfois l'ordre des choses. Marthe en fera l'expérience.

"Je nous regarde; nous formons un liseré de vie, une couture humaine surfilée à grands points sur le pont détruit. Devant une mer évaporée, nous composons une broderie de bestioles échouées, déposées en serpentin sur une digue abandonnée; la marée s'est définitivement retirée."

Voilà quelques semaines que je tournais autour de ce livre à la couverture loufoque et poétique. Les pages qu'elle protège le sont tout autant, et il en va de même pour l'esprit de Marthe.
On comprend vite qu'elle appartient à ces têtes étoilées qui peinent à trouver leur place dans notre réalité.
Si Marthe est à la fois, agaçante, rigolote, futile, pathétique, elle est surtout touchante et émouvante. Touchante dans ses tentatives maladroites d'échanges avec ce genre humain que l'on qualifie de normal, et émouvante face à cette liberté nouvellement acquise qui l'emporte avec îvresse vers les autres.
Comme tout le monde, Marthe ne demande qu'une chose, un peu d'amour et de reconnaissance.

J'ai une tendresse particulière pour ces être fragiles qui arpentent la vie en funambules et conjuguent le monde comme un jeu dont les règles oscillent entre logique des rêves et cruauté des cauchemars. Marthe fait partie de ces gens.
Un premier roman hors des sentiers battus pour nous conter la difficulté du papillon à s'extraire de sa chrysalide.

Chanson pour bestioles     Cécile Reyboz     Editions Actes Sud

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26 février 2008

L'effet Breizh

9782266156851Le livre de Sylire est venu apporter chez moi ses odeurs de varech et de sarrazin mêlés.
Et pour que je sois bien dans l'ambiance, il pleut et vente...
Mais je m'en fiche car je suis au coin du feu, à relire quelques pages avant d'écrire ce billet et à rêvasser qu'un jour, peut-être, j'habiterai en Bretagne.

En attendant, ce recueil met en appétit.
Une quinzaine de nouvelles qui nous plonge dans les aspects divers et variés de cette terre et de ses habitants.
J'ai été particulièrement séduite par "Les bonnes" et "Comment ne pas perdre la tête".
La première nous conte l'histoire de trois soeurs qui, chacune à leur tour, iront faire la bonne chez les bourgeois. Un texte simple pour dire la réalité d'une époque et de femmes résignées.
La seconde est l'histoire d'un rendez-vous manqué à Notre-Dame de Grainfollet au début du siècle dernier. Mais la Bretagne semble pouvoir faire des miracles, Madelon en fera l'expérience quelques soixante ans après. Un récit plein de nostalgie sur l'air de la chanson de Lucienne Delyle "Mon amant de Saint-Jean".

"Et, pareils à des cordes volantes, des sentiments dont ils ne soupçonnaient pas l'existence ont débordé de leur corps pour aller s'emmêler, faire des boucles, faire des noeuds, se nouer et se dénouer dans le coeur bouillant du feu de la Saint-Jean."

KATELL et  LE BIBLIOMANE l'ont lu, ainsi que bien d'autres.
ELFE également, et en plus elle nous offre une belle surprise.
Et merci à SYLIRE pour ce prêt et les photos de son Finistère.

Elle fait des galettes, c'est toute sa vie    Karine Fougeray    Editions Pocket

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19 février 2008

Bas les masques !

9782221109625Dans la famille "Tout dans l'apparence", je voudrais... Personne !
C'est la première idée qui me vient en refermant ce livre.
En ce jour anniversaire du patriarche, on a droit à une belle brochette de personnages, puisque toute la tribu est réunie avec femmes et enfants, masques et colifichets Prada, complexes et vanités, rancoeurs et regrets.

Un ange trublion passe, Gabriel, très vieil ami de la famille, et dépose son cadeau enrubanné de mauvais augure.

On prend les mêmes moins un, le patriarche, et on recommence une semaine plus tard pour la grande comédie des funérailles. Les masques tombent, les complexes s'exposent, les vanités se ravalent, les rancoeurs se dévoilent mais les regrets restent.
Mais point de jeu de massacre, non, car chez ces gens-là on cause pas, on compte, et chacun de se confesser dans son coin, avare de partager ses émotions, de protéger ses vérités. C'est moins dangeureux de parler au mort, plutôt qu'aux vivants...

"Puis, gravissant le perron, traversant le hall, je suis entré dans le salon, comme quelques jours auparavant, où je les ai tous retrouvés, mais dans une configuration différente, comme une cellule dont les atomes auraient été mélangés, dans une répartition anarchique des plus et des moins, des noirs et des blancs.
Oui, c'est exactement cela que j'ai ressenti en les voyant, l'anarchie, le désordre, le renversement des valeurs, comme si l'unité et l'harmonie de ta famille avaient disparu en même temps que toi, parce que tu en étais le garant."

Un récit polyphonique, à huit voix, qui apportent chacune leur tour une pièce supplémentaire à ce puzzle double-face. Celui qui inaugure le jeu, en posant la première pierre, détient aussi le pouvoir de faire voler le tout en éclats en tirant prématurément sa révérence.
Bref, une famille pas très sympathique, mais à laquelle, grâce aux dernières pages, j'abandonne tout de même un peu de compassion, et tous mes respects au patriarche...
Roman de la maîtrise, il en va de même pour le style et l'écriture de l'auteur, masculine, concise et pragmatique, sans bavure.

Un grand merci à SOPHIE qui n'a pas craint de faire traverser les mers à ce livre, afin de me faire découvrir son auteur. Je lorgne déjà sur son précédent !
L'avis de TAMARA et de  FLO
Le blog du livre  ICI

De manière à connaître le jour et l'heure   Nicolas Cauchy   Editions R. Laffont

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16 février 2008

Diablement romanesque !

9782742769315Gabrielle Demachy, orpheline d'origine hongroise, est élevée par sa tante Agota dans le Paris du début du XXe siècle. A l'automne 1913, à l'aube de ses vingt ans, elle s'engage dans une course poursuite afin éclaircir la mort de son cousin bien-aimé, Endre Luckacz, disparu en Birmanie cinq ans plus tôt.

Grâce au mystérieux Terrieux, employé au ministère de la Guerre, elle se fait embaucher comme institutrice chez les Bertin-Galay, famille bourgeoise dirigée de main de maître par Mme Mathilde, l'héritière de l'usine de biscuits Bertin.
Mme Mathilde a quatre enfants, dont Pierre, médecin, qui a lui aussi voyagé et travaillé pour l'armée en Birmanie, et qui a vraisemblablement cotoyé Endre, le cousin de Gabrielle. Il est veuf et père d'une petite Millie; c'est pour s'occuper de cette enfant triste et sauvage que Gabrielle est engagée. Elle part vivre avec Millie dans la maison familiale du Mesnil, alors la campagne parisienne, où passe et se retrouve régulièrement toute la lignée Bertin-Galay.
Tout en dissimulant les véritables raisons qui l'animent, Gabrielle, qui ne manque ni de charme ni d'aplomb, va mener son enquête et traverser cette dernière année de paix avant la Grande Guerre.

Anne-Marie Garat entraîne le lecteur dans un véritable tourbillon romanesque. De la bourgeoisie au petit monde des gens de maison, de la réalité ouvrière à l'univers balbutiant du cinématographe en passant par les coulisses du journalisme, des intrigues militaires aux événements qui nous parlent à tous, nous croisons une multitude de personnages qui tentent de s'adapter, pour le pire et le meilleur, à ce monde qui bascule dans la modernité.

Dans la tradition des romans-feuilletons du XIXe siècle, l'auteur sait faire rebondir son récit avec brio, le tout servi par une écriture tour à tour réaliste et poétique, voire parfois lyrique.
Contrairement à ce que peut laisser penser la 4ème de couv, l'action se situe essentiellement dans le Paris grouillant et riche de son peuple à jamais disparu, ce qui participe grandement au charme de ce roman.
Mais vous aurez quand même droit à une escapade dans la magnifique Venise, avec en prime une belle histoire d'amour sur fond de rebellion anarchiste...

"Dans le miroitement fastueux des toilettes, l'agitation des grands chapeaux d'été bouillonnants de tulle et de mousseline, cette société de toute l'Europe qu'attiraient Venise et son art, ses plages, la saison, le plaisir des bains, constituait un étrange mélange de corps et de physionomies dont, sous leur richesse et leur beauté, le raffinement de leur vêture et de leurs moeurs, émanait une mélancolie factice d'exil, une paresse compassée qu'en la traversant Gabrielle sentit, comme on devine, dans le parterre des fleurs et la senteur mariée de leurs essences flottant dans l'air, celle dont l'unique parfum à la fois exalte et dénonce leur instable et fortuite harmonie, trahit quel poison délectable les unit toutes."

1288 pages qui m'ont charmée et ont réussi à me faire oublier ma propre difficulté à m'adapter à un autre nouveau monde...
En attendant la suite, je laisse le mot de la fin à l'auteur qui, dans ses remerciements, a cette jolie formule que je lui retourne pour m'avoir entraînée si loin de mon quotidien (bien que l'Histoire soit un éternel recommencement) :

"Merci à celle, dont le nom m'est perdu, qui, en tamponnant les fiches de prêt d'une bibliothèque de mon enfance, bobinette et chevillette, m'ouvrait la porte des fictions."

Les avis de GACHUCHA et de SOLE

Dans la main du diable    Anne-Marie Garat    Editions Actes Sud Babel   

 

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1 février 2008

Histoire de ouf !

9782070339341L'autre jour chez le Serial Lecteur, je lisais cette phrase qui rassérénerait de nombreux héros de polars, flics ou malfrats : "La réalité n'est qu'une hallucination provoquée par le manque d'alcool" (O'Mulligan).
Le personnage du livre de Franz Bartelt, lui non plus, ne renierait pas la véracité de cette sentence et ne manquerait pas de lever sa canette à la santé de ce O'Mulligan.
Effectivement, tout dépend de quel point de vue on envisage un problème...

"Le vrai pervers, ce n'est pas l'assassin, c'est le juge qui ne peut se passer du travail de l'assassin. Voilà ce que je pense. Le juge, c'est un drogué. Il est sous dépendance. Si demain les assassins décrétaient la grève générale, la moitié des juges deviendraient neurasthénique et l'autre moitié découperait les rombières en morceaux."

Contraint et forcé à un sevrage sévère, lors d'une prise d'otage délirante orchestrée par l'inquiétant Jacques Cageot-Dinguet, notre bonhomme aura maille à partir avec les portes de la perception. A moins qu'il ne s'agisse d'un voyage organisé au centre d'un psychisme sérieusement perturbé...
Mais que ne ferait-on pas pour l'amour de sa belle, surtout quand celle-ci aime énormément le pognon !

"J'avais failli lui planter mon couteau dans le bide avant de savoir qu'il y avait douze César. Il avait bien fait de pointer un flingue dans ma direction. Sous la menace, le savoir rentre tout seul. Les mômes, je suis sûr que si on leur faisait étudier les tables de multiplication avec un trou de carabine contre la tempe, ils ne mettraient pas des heures avant de devenir des prodiges du calcul mental. La manière forte, la voilà la manière. Quelle leçon il me donnait, le con !"

Un drôle de huis-clos aux dialogues savoureux.
VAL  et  LE BIBLIOMANE , eux aussi, ont bien rigolé !

Le jardin du Bossu    Franz Bartelt    Editions Folio Policier

 

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25 janvier 2008

Egotite aiguë

9782846821827Euh là... je ne sais que dire.

Une chose est sûre, j'ai été prodigieusement agacée par ce bobo (j'aime pas les bobos, surtout ceux de l'île de Ré) narcissique et manipulateur à la personnalité limite et qui nous exhibe ses histoires de cul qu'il confond avec des histoires de coeur et qui, du coup, n'ont qu'un intérêt très limité.
La maestria avec laquelle cet homme instrumentalise son entourage, y compris ses lecteurs, me laisse un goût amer, celui de m'être faite moi-même piégée.
Et sa louable honnêteté est tout autant insupportable.

Je passe de la colère à la déception (mais de quel droit ?), de la déception à une approche psychanalytique qui ravive mon agacement face à cet exhibitionnisme aux relents incestuels (pas incestueux, nuance), tout en me faisant applaudir des deux mains le talent qui fait se lier et se mêler l'intime et le réel, la banalité et le drame, le conventionnel et la transgression.

Toutes ces tergiversations m'épuisent !
Ce billet sera peut-être éphémère. Je laisse décanter et y reviendrai, enfin vraiment peut-être...

Des avis plus ou moins convergents, celui du BIBLIOMANE , celui de KATELL , celui de SYLIRE .

Un roman russe   Emmanuel Carrère   Editions P.O.L

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22 janvier 2008

P M D *

9782234059030Pour Mère Défaillante,
Ou comment un simple acte notarié fait rebrousser chemin à la mémoire et parcourir des sentiers où l'enfance peut craindre de se perdre à jamais, risque d'autant plus grand quand on a une mère  psychiquement malade mais que personne ne vous le dit.

Afin de signer une donation de leur vivant, un couple et ses deux filles adultes se retrouvent devant notaire, mot, dailleurs, qui à lui seul en dit long sur l'histoire ! Pour la narratrice, une des filles, c'est l'occasion de conjuguer le verbe "hériter" et de décliner les mots don, abandon, pardon.

Elle sait dire l'insécurité et le mystère qui entoure les fréquents séjours en maison de repos, la fragilité du sentiment de vie face aux sautes d'humeur et à la raison qui vacille, la culpabilité devant l'impuissance à aider cette mère imprévisible et l'effacement de soi afin de ne pas accabler davantage un père désemparé.
Quel ressenti éprouve l'enfant lorsqu'il constate qu'un jardin ou de vieux meubles, bien mieux que les relations familiales, comblent une mère qui sait alors trouver les mots pour dire son attachement et les gestes pour prendre soin des arbres ou de quelque commode, mais reste en apparence insensible à la présence des vivants ?

"La version de Papa était toujours la même: "Votre mère est une personnalité haute en couleur. Elle a, comme tout le monde, des hauts et des bas, mais comme c'est une Italienne, les hauts sont plus hauts et les bas plus bas..." Stop, c'était fini, ça s'arrêtait là. Il n'aimait guère parler en général. C'était un méditatif, un silencieux. Au fil du temps, il s'effaçait peu à peu lui aussi."

L'auteur aime les mots justes, en joue souvent avec humour et s'en délecte. Un point à l'endroit, un point à l'envers, passé et présent se répondent pour tisser un récit à la trame sensible et pudique, mais également d'une grande justesse clinique. Avec en arrière-fond, la crainte d'avoir reçu et, peut-être celle aussi, de transmettre ce petit gène qui fait la différence.
Entre réalité matérielle et inscription dans la chaînes des générations, la symbolique de la donation s'inscrit ici comme un révélateur. Celui d'un acte enfin posé par une mère qui n'a pas encore dit son dernier mot...

"Je me suis dit qu'en effet, nue-propriétaire ça n'était pas si mal. On a et on n'a rien. "Tout ce qu'on a , c'est ce qu'on n'a pas." Et rien n'empêche de bâtir sur ce manque, comme dans la vie. Finalement, cette métaphore me convient, ai-je pensé. Je la garde..."

 

* Ces trois lettres furent, dans un temps pas si lointain, signe d'un funeste diagnostic.
Depuis l'avènement du dsm IV, la bible de la psychiatrie américaine qui tend à classifier l'esprit humain et ses dérives via des grilles de symptômes, on parle de troubles bi-polaires; ça fait moins peur que Psychose Maniaco-Dépressive. C'est une pathologie caractérisée par une alternance de phases d'exaltation, d'agitation, et de périodes d'abattement, de dépression.
Funeste diagnostic car qui dit PMD, dit traitement à vie, avec les inévitables et désagréables effets secondaires des médicaments.
Autre inconvénient majeur, le caractère héréditaire de cette maladie.

La donation     Florence Noiville     Editions Stock

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19 janvier 2008

Sacré frangin !

9782070349135Le 15 mars 1705 naît en la République de Genève, François Rousseau.
Isaac Rousseau, le père, s'enfuit dès le lendemain vers Constantinople où il exerce sa profession d'horloger.
L'histoire pourrait s'arrêter là si ce n'est que six ans plus tard, ce cher homme réapparaît et offre à ce fils qu'il ne connait pas, un petit frère qu'on appela Jean-Jacques.
Un malheur n'arrivant jamais seul, Suzanne Rousseau décède des suites de ses couches, laissant seul Isaac qui n'a pas d'autre choix que d'assumer enfin sa double paternité.

Ainsi commence l'autobiographie imaginaire du frère du célèbre Jean-Jacques Rousseau.
Attachement oblige, Isaac Rousseau concentre son attention sur son dernier né, délaissant ce pauvre François. A lui de se trouver d'autres figures paternelles sur lesquelles s'appuyer et parfaire son éducation.
Très tôt, François prend la poudre d'escampette. Il a la chance de croiser Maximin de Saint-Fonds qui le prend sous son aile et l'instruit. Ce bourgeois genevois l'initie également aux choses de la vie et de la nature, armant ainsi solidement François qui, à dix-huit ans, se lance à la conquête de la France puis de sa capitale.

"L'officier de garde examina à peine cette pièce, et en un instant je fus dans Paris. Le soir commençait de s'annoncer. Un vent léger se leva, je reçus en plein visage l'haleine puissante de la ville. J'apprendrais bientôt que la puanteur de Paris était proverbiale; mais pour moi, qui avais toujours eu la passion des senteurs capiteuses, ce souffle lourd, méphitique, m'enivra: à l'entrée d'Enfert je m'arrêtai pour savourer ce fumet entêtant."

Sur un ton léger et dans un style fleuri très XVIIIe, c'est avec talent que l'auteur nous entraîne dans le monde du libertinage et dans le foisonnement intellectuel et politique du Siècle des Lumières. Pour le plus grand plaisir du lecteur, les sens et les idées se disputent le devant de la scène et donne au texte un fond de modernité dans lequel il fait bon se plonger en ces temps de quasi-monarchie...
De loin en loin, François règle ses comptes avec son illustre frère, mais c'est surtout le portrait d'un homme libre que nous offre là l'auteur, faisant montre d'une originalité bien différente de celle qu'il mit au service des nuages (voir La théories des nuages) mais toute aussi riche.

"Souvent la misère, la bêtise des Jacobins, la bienfaisance elle-même me lassaient. Je travaillais de moins en moins, et je me remis à arpenter les nuits de Paris. Elles avaient changé, elles aussi. La débauche avait perdu cet air de gaieté qu'elle avait prise après la révolution. L'abondance des gueux était décourageante; la disette poussait certains à brailler des chansons, d'autres à racler des violons discords, et des vieilleuses sans talent me faisaient grincer des dents. Même le costume des Parisiens se métamorphosait lentement: on tolérait encore les couleurs pour les femmes; mais les hommes ne portaient plus que du noir et marchaient avec un air farouche qui leur semblait romain. Les rues étaient infestées de ces prêtres de la nouvelle religion patriotique. La révolution avait eu des héros; elle se fabriqua des martyrs."

Une traversée historique et une lecture qui raviront les passionnés de plaisirs, de liberté, d'égalité et de fraternité !

PAPILLON et CATHE ont beaucoup aimé et vous le disent  ICI

Fils unique    Stéphane Audeguy    Editions Folio

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Isaac Rousseau
Collection JJ Monney

 

11 janvier 2008

Bonne nuit !

9782742761289Sébastien Ponchelet est un petit braqueur au coeur d'artichaut. Un premier hold-up raté et le voilà en prison pour quatre ans. C'est là qu'il fait la rencontre de Sholam Rubin, célèbre détrousseur de musées et grand amateur de livres. Sébastien devient "le domestique" de Sholam qui bénéficie d'un régime de faveur et d'une cellule VIP. Grâce à quelques magouilles, Sholam facilite la libération sous conditionnelle de son protégé, lui trouve un toit chez France, une ancienne prostituée, et un boulot d'homme à tout faire chez Condorcet, une des plus grandes maisons d'édition de Paris.

"Au magasin, je travaillais avec Gabriel, l'autre manutentionnaire. Un ballot flasque et sans âge, à l'air perpétuellement égaré. Sa blouse grise, sa bedaine qui débordait de sa ceinture évoquaient l'instituteur des années 1950."

Et à cause d'une blague dont il a le secret, ce benêt va entraîner Sébastien dans une drôle de galère. En effet un soir, celui-ci trouve dans sa sacoche le manuscrit égaré que toute la maison Condorcet recherche frénétiquement, et que Gabriel y a dissimulé.
Peu versé dans la littérature, Sébastien se contente d'en lire la première phrase et le laisse traîner chez France, où vont et viennent ses deux grands ados glandouilleurs et Raymond, son amant régulier et fidèle ami du Sholam. Le lendemain, le manuscrit s'est envolé.
La disparition du mamuscrit est prétexte à un enchaînement de faits qui changeront le cours de la vie de Sébastien. A moins que ce ne soit cette première phrase qu'il relit sans cesse : "Longtemps, je me suis couché de bonne heure."

Un roman à double fond, comme sait si bien les écrire l'auteur des célèbres Neutralité bienveillante et Mortel transfert. Une histoire, en apparence simple comme de l'eau de roche, qui mène son héros et les lecteurs par le bout du nez et se termine par une pirouette.
Je n'en garderai sans doute pas un souvenir impérissable mais les personnages sont originaux, se balader dans une maison d'édition est toujours instructif, et pour qui aime la peinture, on croise dans ce livre de très beaux spécimens d'oeuvres d'art ainsi que de savoureuses analyses.

"C'est de toi que parle une peinture, tu y reconnais une image inédite de toi, un désir que tu portes depuis toujours, la clé d'une énigme, même -et surtout- si tu n'en as pas conscience. Tu crois t'emparer d'un tableau. Foutaises ! En réalité, c'est le tableau qui s'empare de toi. Le vrai coupable, c'est lui, les juges n'ont rien compris. On ne vole bien que ce qu'on aime. Forcément, on le négocie bien, on fait payer au client la douleur de s'en séparer. Le voleur s'enrichit d'arrachements successsifs. Il porte en lui une douleur inextinguible, il vole et il vend. C'est sa damnation particulière."

Y'a pas à dire, l'art est l'avenir de l'homme !

CHIMERE  et  PAPILLON  vous donnent leur avis

Longtemps, je me suis couché de bonne heure   J-P Gattégno   Editions Actes Sud Babel

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9 janvier 2008

Tic-tac Tic-tac

9782070336357Anne arrive dans une petite bourgade, non loin de la mer, où elle a rendez-vous avec un agent immobilier afin de visiter une énième maison. En fait, c'est la trentième et ce sera la dernière car de toutes les façons, Anne n'est pas acheteuse.
Alors pourquoi ces visites et pourquoi demande-t-elle à chaque fois à pouvoir rester seule quelques heures dans ces maisons vides et dans leur environnement, que cherche-t-elle ?
Tout simplement un peu d'elle-même.

"Nous sommes sortis sur la terrasse. Accoudés à la rambarde, nous étions comme sur le pont d'un navire. C'était la dernière maison que je visitais, mais la première située au bord de la mer. J'avais presque l'illusion du tangage, l'impression d'un départ en croisière. Des voiliers au loin ressemblaient à des mouettes vagabondes, les vagues venaient mourir sur le sable avec ce bruissement délicat des bâtons de pluie africains."

Se laissant imprégner par les atmosphères, les souvenirs refluent. L'enfance d'abord, entre une mère distante et un père délaissé et malade, la compagnie du chat, complice réconfortant face à l'impuissance de la narratrice à aider ses parents. Puis plus tard, ses amours de femme et sa passion pour le théâtre. Et enfin, sa vie du moment, d'autres hommes, d'autres chats.

Anne reviste sa vie et s'en va à l'encontre du sens des aiguilles d'une montre, accompagnée par le tic-tac régulier du temps qui s'écoule. Car c'est surtout la mort du père, à l'adolescence, qui lui a laissé une fragile cicatrice que la décrépitude maternelle vient soudain chatouiller et réveiller par le biais de la montre paternelle qu'Anne retrouve au fond d'un tiroir. Une montre muette et figée depuis bien longtemps.
Les rythmes oubliés du tic-tac et de la course des aiguilles vont relancer la vie d'Anne à la manière d'un choc électrique qui réanime un coeur absent ou qui libère du joug des inhibitions.
Mais il lui faudra pousser les portes de trente maisons pour accepter certains rendez-vous manqués... afin, peut-être, de ne pas rater le prochain !

"La vie sait des choses qui ne sont pas encore arrivées."

J'avoue avoir succombé une fois de plus au charme de l'auteur, à son écriture, à son ton délicatement mélancolique. Je crois même avoir été encore plus touchée par ce roman que par Le canapé rouge. La fuite du temps et de la mémoire, abordée ici sous l'angle de la relation filiale, a su titiller les souvenirs de la fille que j'ai été, et le tic-tac s'est parfois un peu emballé au fil des émotions que Michèle Lesbre sait si bien distiller.
Merci aussi à elle pour les quelques belles références littéraires qui parsèment ce livre.

La Petite Trotteuse     Michèle Lesbre     Editions Folio

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23 décembre 2007

EnSlovèneigement...

9782070347971A première vue, titre et couverture avaient tout pour me déplaire. Mais la littérature slovène ne courant pas les rues et la 4ème de couv aidant, je me suis laissée tenter. Le résumé a très peu à voir avec ce qui suit, j'imaginais une autre histoire...

Parisienne d'adoption, Lila est revenue en Slovénie pour enterrer son père et prendre possession de sa maison au bord du lac de Bled. Elle ne doit rester que deux jours dans cette station thermale très kitsch de l'ex-Yougoslavie. A Paris l'attend Pierre, son mari, son grand fils Oscar, son travail, elle est "nez" chez un grand parfumeur, et Simone, sa vieille copine.
Bien sûr, rien ne se passera comme prévu.
A commencer par la maison de son père qu'elle ne voulait même pas visiter, mais où elle va s'installer et se couper de tout ce qui faisait sa vie d'avant.

"C'est une drôle de dame, pense-t-elle en approchant de la maison. On dirait une beauté fanée qui a déposé ses armes, une vieille excentrique qui ne se farde plus depuis longtemps. Avec une âme bohème et un goût pour l'essentiel venu sur le tard, se dit-elle en rentrant."

A continuer par ces curieuses rencontres, d'abord l'inconnu ivre à la vieille BMW, puis Nast le Roumain, vieux dandy et maître d'échecs, qui se cache et qu'elle retrouve régulièrement pour boire un verre dans l'ancienne villa de Tito transformée en hôtel; et surtout Sergueï, le médecin du dispensaire, solitaire et un brin désabusé.
Il y a aussi la lecture d'un manuscrit, "Un coeur de trop", découvert dans l'armoire paternelle, et le chat qui reprend sa place dans la maison... Et enfin la neige qui fait ressembler le lac, son îlot et son église, à un gros gâteau de sucre glace, et le gel qui pourrait figer et suspendre le temps.

A Paris, au même moment, Simone poireaute, se souvient de leurs années de jeunesse, nous raconte la vie parfumée de Lila, et râle un peu, car quand même, elle exagère Lila, tout plaquer comme ça, partir pour deux jours et s'absenter deux mois sans fournir la moindre explication...

"Depuis combien de temps ne se sont-elles pas retrouvées toutes les deux comme ce matin ? Simone et Lila, Lila et Simone, comme à la belle époque de la rue de Rennes... Les reines de la rue de Rennes. Leurs longs petits déjeuners à deux. Leurs thés, cafés, confitures... Croissants le dimanche ou un autre jour... Fleurs de temps en temps... La musique, toujours... Les histoires de train de Lila... Elle avait toujours quelque chose à raconter. Comme Simone avait toujours quelque chose à montrer. Ses dernières inventions, derniers dessins, dernières photos..."

Passée une légère déception, l'action ne se situant pas uniquement en Slovénie, je me suis laissée porter par ce récit à deux voix et j'ai cheminé avec plaisir sur cette passerelle tendue entre Ouest et Est. L'atmosphère "fin de règne", qui enveloppe Bled et ses habitants, colle à merveille à la parenthèse dans laquelle Lila s' enferme. J'adore ces moments de fêlure qui font basculer les vies, ces craquelures soudaines qui donnent la force de larguer les amarres et l'illusion d'un autre possible.
Mais fêlures et craquelures peuvent aussi se révéler dangeureuses, surtout sur la glace...

Sautez dans vos bottes et baladez-vous à BLED , et voyez si c'est pas romantique tout ça (cliquez à gauche sur panorame). J'irais bien y faire un tour...
Et ICI pour voir la diversité des paysages de ce petit pays qui va prendre la présidence de l'Union Européenne le 1er Janvier prochain; pour un peu d'Histoire, tournez ces pages.

Un coeur de trop     Brina Svit     Editions Folio

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9 décembre 2007

Les bonnes affamées

9782742739646Hiver 1942, Marie et Lise se rencontrent avenue de Wagram, chez les Johnson, employeurs qui leur assurent le minimum vital en ces temps difficiles. Marie, la cinquantaine, y est cuisinière et Lise, la vingtaine, couturière de son état, s'occupe des enfants et du linge.
Grâce aux accointances de Mr Johnson avec l'occupant, elles devraient se considérer privilégiées puisque nourries et logées dans une maison chauffée et pouvant, de plus, jouir de certains petits avantages administratifs imputables à la collaboration.

Alors qu'est-ce qui leur prend de vouloir s'installer dans une maison délabrée, dans un quartier abandonné et dévasté par les bombardements, tout en conservant leurs emplois chez les Johnson ? Les activités de leur patron les gêneraient-elles ? Envisageraient-elles quelque action de résistance ? Non, c'est beaucoup plus simple que cela. Elles ont tout simplement besoin d'une histoire d'amour. Mais ne vous méprenez pas, il ne s'agit pas de quelque amour honteux qu'elles voudraient cacher, non, mais plutôt d'une relation maternelle et filiale que l'une et l'autre ont si peu connue. Et puis elles ont cet imprérieux désir d'avoir enfin un lieu à soi, elles qui n'ont jamais vécu ailleurs que chez les autres.

"Alors, en pensée, j'ai dit: voilà, c'est la première fois que tu rentres dormir chez toi, dans ta propre maison. La première fois que tu enfiles un soir une clé dans une serrure à toi. La première fois que tu as un quelque part au monde..."

Leur vie s'organise chichement, entre récit de leur histoire respective et souvenirs partagés de leurs fiancés disparus. Celui de Lise se cache pour échapper au STO; quant à celui de Marie, il n'est jamais revenu de la guerre de 14-18, elle l'a à peine connu, mais l'illusion qu'ils se sont aimés l'accompagne et l'aide à vivre malgré tout ce temps passé. Alors s'adoptant l'une l'autre, elles vivotent ainsi jusqu'à ce soir de réveillon où, suite à un événement particulier, elles rendent fièrement leurs tabliers et se retrouvent vite à cours de ressources.
Mais en temps de guerre, on fait de drôles de rencontres. Et quand la faim tenaille, on se retrouve parfois à faire des choses dont on se serait cru incapable.

"Je songeais aussi à une bague de ma grand-mère à son petit doigt, au lard qui rissolle dans la poêle, au goût de la réglisse, je me souvenais de choses oubliées, innocentée du temps passé, lavée de tout soupçon, de toute peur. Aussi bien, pendant ce temps-là, une autre en moi humait de la chair fraîche, j'aiguisais mon petit couteau, mes dents grinçaient de terreur. Nous étions prêtes au crime, tranquilles, au repos, nous attendions."

J'ai lu ce petit roman car je souhaitais faire connaissance avec l'auteur, avant de me lancer dans la lecture de son dernier livre "Dans la main du diable". Je n'ai été déçue ni par l'écriture et le style, ni par l'histoire simple de ces deux femmes prises dans la tourmente de la guerre et qui se révèlent à elles-mêmes face aux difficultés extrêmes de la vie. Et de plus, c'est un sujet qui me taraude un peu. Savons-nous vraiment jusqu'où nous sommes prêts à aller pour survivre ?...

Les mal famées     Anne-Marie Garat     Editions Actes Sud  Babel

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