Tic-tac Tic-tac
Anne arrive dans une petite bourgade, non loin de la mer, où elle a rendez-vous avec un agent immobilier afin de visiter une énième maison. En fait, c'est la trentième et ce sera la dernière car de toutes les façons, Anne n'est pas acheteuse.
Alors pourquoi ces visites et pourquoi demande-t-elle à chaque fois à pouvoir rester seule quelques heures dans ces maisons vides et dans leur environnement, que cherche-t-elle ?
Tout simplement un peu d'elle-même.
"Nous sommes sortis sur la terrasse. Accoudés à la rambarde, nous étions comme sur le pont d'un navire. C'était la dernière maison que je visitais, mais la première située au bord de la mer. J'avais presque l'illusion du tangage, l'impression d'un départ en croisière. Des voiliers au loin ressemblaient à des mouettes vagabondes, les vagues venaient mourir sur le sable avec ce bruissement délicat des bâtons de pluie africains."
Se laissant imprégner par les atmosphères, les souvenirs refluent. L'enfance d'abord, entre une mère distante et un père délaissé et malade, la compagnie du chat, complice réconfortant face à l'impuissance de la narratrice à aider ses parents. Puis plus tard, ses amours de femme et sa passion pour le théâtre. Et enfin, sa vie du moment, d'autres hommes, d'autres chats.
Anne reviste sa vie et s'en va à l'encontre du sens des aiguilles d'une montre, accompagnée par le tic-tac régulier du temps qui s'écoule. Car c'est surtout la mort du père, à l'adolescence, qui lui a laissé une fragile cicatrice que la décrépitude maternelle vient soudain chatouiller et réveiller par le biais de la montre paternelle qu'Anne retrouve au fond d'un tiroir. Une montre muette et figée depuis bien longtemps.
Les rythmes oubliés du tic-tac et de la course des aiguilles vont relancer la vie d'Anne à la manière d'un choc électrique qui réanime un coeur absent ou qui libère du joug des inhibitions.
Mais il lui faudra pousser les portes de trente maisons pour accepter certains rendez-vous manqués... afin, peut-être, de ne pas rater le prochain !
"La vie sait des choses qui ne sont pas encore arrivées."
J'avoue avoir succombé une fois de plus au charme de l'auteur, à son écriture, à son ton délicatement mélancolique. Je crois même avoir été encore plus touchée par ce roman que par Le canapé rouge. La fuite du temps et de la mémoire, abordée ici sous l'angle de la relation filiale, a su titiller les souvenirs de la fille que j'ai été, et le tic-tac s'est parfois un peu emballé au fil des émotions que Michèle Lesbre sait si bien distiller.
Merci aussi à elle pour les quelques belles références littéraires qui parsèment ce livre.
La Petite Trotteuse Michèle Lesbre Editions Folio