Sombre velours
Je poursuis ma découverte de Sylvie Germain.
J'ai un peu traîné pour cause de festival et de jardinage intensif.
Et puis aussi parce que ce livre, même s'il est très bien écrit, m'a moins transportée que MAGNUS .
Prokop Poupa et ses amis dissidents, intellectuels comme lui, exercent des petits boulots à Prague. Prof de littérature, Prokop se voit assigné, par le régime communiste et à titre de représailles, à un poste de balayeur.
Divorcé et père de deux enfants, Prokop vit seul et s'accomode de son sort. En fait, il ne vit pas complètement seul, puisqu'il partage son logis et ses lectures avec son dieu Lare*, sous l'égide duquel il médite et s'interroge sur tout et rien, la vie, la nature, les hommes et Dieu.
"Ce fut un choc, une sensation physique; ce qui était écrit avec une si belle densité venait, dans l'instant même de la lecture, de se matérialiser. Chaque mot se faisait grain de pluie, de soleil, de vent, se faisait fleur, fleur de rocaille, lichen et lierre. Et ces mots végétaux, minéraux, granuleux, lui emplissaient la bouche, lui fondaient dans la gorge."
Prokop nous entaîne dans l'immensité de ses territoires intimes, sa mémoire, ses rêves et ses souffrances. Au risque de s'y perdre et de ne pouvoir, ni de vouloir, prendre le train de l'Histoire. Car la Révolution de Velours couve et les rues de Prague bruissent des revendications des manifestants. Prokop assiste aux événements comme dans un état second. Tout engoncé qu'il est dans ses doutes et sa dépression, il ne sait que faire de sa dignité enfin retrouvée et de cette nouvelle liberté pour laquelle y a lutté.
Pour ne pas sombrer définitivement et résister à la vague consumériste qui balaie le pays, il se raccrochera à la banalité des choses, un chemin de terre, des sculptures, un air de saxo ...
"Prokop, planté sur le trottoir, regardait le passager au saxo rouler des épaules derrière la vitre. Il reconnut Viktor. Il ne l'avait pas vu depuis deux ans. Viktor ne le remarqua pas; il jouait les yeux fermés. Les portes du wagon s'ouvrirent. La musique déboula dans la rue, éclaboussant la nuit de sons or et vermeils. Prokop resta un instant ébloui par cette lumière sonore qui jaillissait à profusion du corps ondoyant de Viktor; les notes rebondissaient sur les rails et l'asphalte avec la turbulence d'une giboulée de grêle."
Un roman emprunt de mélancolie et qui colle bien au temps maussade qui plombe nos cieux. C'est donc ma seconde rencontre avec un héros germanien, et je suis encore surprise que celui-ci ne se soit pas suicidé avant la fin du livre ! Mais l'auteur est une désespérée optimiste qui sauve ses personnages grâce à une écriture sensuelle dont elle seule a le secret, comme en témoignent ces deux extraits !
* Pour en savoir plus sur les dieux Lares, c'est là.
Immensités Sylvie Germain Editions Folio