Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Souk de Moustafette
Le Souk de Moustafette
Derniers commentaires
Archives
11 septembre 2007

Une adresse à noter

9782878582369pour une halte chez trois familles de Budapest chamboulées par la guerre, et poursuivies par le fantôme d'un des leurs, bien après que les armes se soient tues.

Balint, Irèn, Blanka et Henriette sont les enfants qui vont grandir ensemble puisque leurs parents sont voisins et que leurs jardins communiquent. Les trois filles sont toutes amoureuses de Balint, mais un lien particulier se nouera entre ce dernier et Irèn, les menant jusqu'aux fiancailles.
La fête sera interrompue par l'arrestation des parents d'Henriette. A partir de ce jour, un enchaînement de faits guidés par les sentiments des uns et des autres, conduira les membres de ces familles au bord du gouffre, et Henriette verra sa vie s'achever alors qu'elle n'a que seize ans.

"1952, pensa Henriette en accompagnant Balint, et elle hésita un instant à rester près de Blanka dont elle ne pouvait comprendre ni la démarche, ni l'attitude. Je ne comprends pas un mot de tout cela. Que vous faites-vous l'un à l'autre ? Qu'est-ce que cela signifie ? Si j'étais en vie, j'aurais vingt-quatre ans à présent."

Mélange de voix, celles des vivants et des morts, pour nous narrer ce drame et les conséquences du silence qui l'entoura. Conséquences qui se déploieront par capillarité sur chacun, petites rigoles serpentant dans la vie à venir, se transformant parfois en lames de fond au gré des événements et des émotions.

C'est un livre magnifique qui m'a tenu éveillée jusqu'à une heure avancée de la nuit.
Le début est un peu déroutant, aussi ne cherchez pas à comprendre qui parle, ni où vous êtes, ni à quelle époque. Laissez-vous entraîner, tout s'éclaire par la suite. Ce procédé n'a sans doute pour seul but que de souligner à quel point les destins sont liés, les mémoires des uns et des autres enchevêtrées, et les êtres omniprésents au-delà de la mort.
Un récit émouvant sur la mémoire et la parole, alors qu'il n'est question que de silence des émotions ou de décalage des sentiments. Cocktail idéal qui, au pire, mène certains à la folie. D'autres, au contraire, se révèleront à eux-mêmes.

"Vieillir, cela ne se passe pas comme dans les livres (...) Mais nul ne leur avait dit que perdre sa jeunesse est effrayant, non par ce qu'on y perd, mais par ce que cela nous apporte. Et il ne s'agit pas de sagesse, de sérénité, de lucidité ou de paix, mais de la conscience de ce que tout se décompose (...) Tout s'était dissocié, rien ne manquait de ce qui leur était arrivé jusqu'à ce jour, et pourtant ce n'était plus la même chose. L'espace avait été divisé en lieux, le temps en moments, les événements en épisodes et les habitants de la rue Katalin comprirent enfin que de tout ce qui avait constitué leur vie, seuls quelques lieux, quelques moments, quelques épisodes comptaient vraiment, le reste ne servait qu'à combler les vides de leur fragile existence."

Tout au long de cette lecture, j'ai eu en tête le travail d'un autre Hongrois, psychiatre et thérapeute familial réputé, Ivan Boszormenyi-Nagy, qui a été un des pionniers du travail au sein des familles, en s'appuyant sur les concepts de loyauté, de légitimité, du cycle du don et du "grand livre des comptes", concepts étayés par le dialogue et la narration afin de favoriser le partage de la mémoire dans le respect des émotions de chacun.
Nul doute que les habitants de la rue Katalin en auraient tiré profit...

ELFIQUE vous donne aussi son avis.

Rue Katalin     Magda Szabo     Editions Viviane Hamy

image012

 

Publicité
Publicité
20 septembre 2007

Atterrissage

9782070418879Onno est issu d'une famille calviniste influente; c'est un spécialiste des langues anciennes, peu porté sur les plaisirs de la vie, plutôt tête en l'air et un brin provocateur.
Max, astromone à l'observatoire de Leyde, il est le fils d'un collabo fusillé après guerre et d'une mère juive décédée en déportation; sans attache, célibataire, séducteur, il croque la vie comme elle vient.
Tout les oppose et ils n'auraient jamais dû se rencontrer en cette nuit de Février 67, seulement voilà...

"Il y avait une histoire derrière tout. Seul celui qui connaissait toutes les histoires connaissait le monde. Et il existait derrière le monde entier, avec toutes ses histoires, une autre histoire, qui était donc plus vieille que le monde. Il aurait fallu réussir à connaître cette histoire."

Ce véritable coup de foudre amical nous entraîne, à la suite des deux protagonistes, dans une fresque romanesque grandiose. Des Pays-Bas en passant par la Pologne, Cuba, l'Italie, nous suivons ces deux personnages originaux, et quelques autres, jusqu'à la fin des années quatre-vingt dans un véritable tourbillon intellectuel,  historique et métaphysique.
Entre Ciel et Terre, la philosophie, l'Art, les sciences, la politique, la psychanalyse, l'Holocauste, la religion sont autant de routes adjacentes qui mènent Max et Onno à s'interroger sur le sens de la vie et qui les conduiront là où ils ne pensaient peut-être pas arriver. Car le libre-arbitre a du souci à se faire ...

"Il se souvint que Max avait dit un jour qu'il était impossible de prouver qu'on ne rêvait pas quand on était éveillé, parce que dans un rêve on était parfois aussi convaincu d'être éveillé et de ne pas rêver. Or si la réalité pouvait être un rêve, un rêve pouvait-il devenir aussi réalité ?"

C'est avec tristesse que j'ai refermé ce livre. Je me sens un peu orpheline après une semaine passée en compagnie des héros d' Harry Mulisch. J'ai découvert un grand écrivain néerlandais à l'imaginaire foisonnant et à l'érudition impressionnante sans jamais être pesante. Un livre que l'on n'oublie pas...

Pour ceux et celles qui hésitent encore, à lire les avis de PAPILLON et de CHIMERE , qui elles aussi ont été plus que séduites.

La découverte du ciel     Harry Mulisch     Editions Folio

000902

 

 

26 août 2007

Ailleurs

9782070336821Adem, homme en exil, recueille un jour Léna, jeune fille en errance et en grande souffrance. Mariés, ils ont un fils, Melih. Petit à petit retrouvant sécurité et stabilité, Léna se reconstruit, du moins en apparence, car de nombreuses zones d'ombre, d'amnésie, viennent encore hanter son existence. Le miroir de sa normalité se fendillera le jour où elle croit reconnaître, en la personne d'un original vivant dans le parc de la ville, son jeune frère disparu depuis plusieurs années.

"Il manque des années à ma vie comme il manquerait des doigts à ma main, quelques centimètres à l'une de mes jambes, je boitille sans relâche d'un bout à l'autre du ruban, quelqu'un a coupé le fil, les deux extrémités flottent librement et il m'est impossible de les renouer.(...) Je me souviens du portillon rouge du jardin et des champs de maïs où j'allais me cacher, des forêts où je jouais à me perdre, puis peu à peu tout cela s'éffiloche, pâlit, et la mémoire finit par me manquer tout à fait; il ne me reste que l'intuition confuse de quelque chose de terrible, quelque chose de si terrible qu'il n'en reste qu'un vide noir et gelé comme la mort."

D'abord au pas, nous  pénètrons dans l'univers de la Léna d'aujourd'hui. Quelques indices nous laissent déjà entrevoir quel drame l'a conduite jusque là.
Puis au trot, nous cheminons dans son monde de l'enfance, petite fille solitaire qui voit sa vie transformée le jour où l'on dépose dans ses bras ce petit frère. C'est le temps des jeux partagés, des déguisements inventés, des voyages dans des histoires si imaginaires qu'on risque de s'y perdre. Mais lorsque le couperet médical tombe sur la tête étoilée du frère pour marquer sa différence, soit on choisit de redescendre sur terre, soit on continue à dériver sur les nuages au risque de croiser un gros orage, voire un ouragan.
Enfin c'est au galop, sur un cheval devenu incontrôlable, que nous sommes entraînés, entre passé et présent, dans la folie des liens qui unissent ces deux êtres. Un galop effréné que seul un mur pourra stopper.

"Vous n'avez pas entendu mon histoire ? as-tu dit. Je suis fils de roi. Je suis fils de roi et je parcours le monde depuis sept ans. J'ai traversé les mers et les déserts, et j'ai fait halte dans ce parc pour me reposer et rafraîchir ma monture. Je cherche la fille d'un autre roi..."

L'auteur excelle dans l'art de ferrer son lecteur, de faire réémerger, par petites touches, les souvenirs et les émotions oubliés, refoulés car insupportables. Elle sait dire les promesses de l'enfance, l'intensité des sentiments et taire les secrets, pour ne les dévoiler qu'au moment opportun. Elle est experte en ruptures de liens, ceux de sang ou de coeur. Mais surtout, comme un funambule, elle sait nous balader sur le fil ténu et fragile qui relie le monde imaginaire à celui de la réalité, et duquel il est si facile de basculer, pour sombrer ou pour s'échapper.

"Je t'ai donné plus de noms que je n'ai pu en garder le souvenir. Alors oui, c'est peut-être moi qui t'ai ainsi multiplié par dix, par cent, c'est peut-être moi qui ai morcelé ton esprit en fragments colorés que personne - aucun docteur, aucune main habile de couturière, de dentellière - ne pourrait plus rassembler pour en faire un tout : les vents t'ont dispersé aux quatre coins du monde."

SYLIRE et FLO , elles aussi, ont été bouleversées par cette histoire.
Merci FREDERIQUE de m'avoir prêté ce livre magnifique.

Le ciel des chevaux   Dominique Mainard   Editions Joëlle Losfeld

maneges008

   

 

2 octobre 2007

Extrêmement grognon et incroyablement flemmarde...

9782757805220Alors ça tombe bien que ce livre ait été déjà commenté de nombreuses fois.
Je vous invite donc à lire les avis de GAMBADOU, de YUEYIN, de PAPILLON, de CHIMERE et j'en oublie sans doute.
Sachez quand même qu'un certain ennui me tombant dessus, j'ai failli refermer l'ouvrage à la page 293. Mais l'histoire des grands-parents est arrivée à point pour raviver ma curiosité, surtout celle du grand-père (le bombardement de Dresde est un morceau d'anthologie).

"Quand j'avais cru mourir au pied du pont de Loschwitz, il y avait eu une unique pensée dans ma tête: Continue de penser. Mais aujourd'hui je vis et penser me tue. Je pense et je pense et je pense. Je ne peux m'arrêter de penser à cette nuit, aux bouquets de fusées rouges, au ciel qui était comme une eau noire, au fait que quelques heures avant de tout perdre, j'avais tout."

Et puis je me suis dit que l'auteur était quand même le mec qui avait écrit ça, alors j'ai poursuivi ma lecture jusqu'à la fin. Je ne le regrette pas, même si je n'ai pas été transportée. Il fallait bien le talent d'un monsieur Foer pour me faire ouvrir un livre en lien avec le 11 septembre ...

Un avis plus mitigé, celui de LAURENT.

Que se passera-t-il le 11 septembre 2042 ?  Une petite animation pour le découvrir !

Extrêmement fort et incroyablement près   Jonathan Safran Foer   Editions Points Seuil

 

 259

14 octobre 2007

Poil à gratter

9782915779066Une famille ordinaire, le père, la mère, les deux aînés, la petite dernière, une grand-mère et un oncle un peu bizarre. C'est à peine s'il est question de matou ...
Mettez tout ce petit monde face aux événements inévitables de la vie, petites et grandes trahisons, loyautés fraternelles ou parentales, récentes ou vieilles rancoeurs, vengeances puériles ou décisions mûrement réfléchies, peurs réelles ou imaginaires, rendez-vous manqués ou peut-être pas, joies et peines, bref tout ce qui constitue du quotidien ajouté à du quotidien. Une maille à l'endroit, une maille à l'envers,  et ça vous tricote un cycle de vie.

"Oh, au début, il était plutôt rassuré de constater que sa femme s'entendait bien avec sa mère. Sa mère d'adulte, celle qui faisait ses teintures une fois par mois pour cacher ses cheveux gris, sa mère au sourire gravé en toutes circonstances au coin de la bouche, sa mère qu'il avait fagotée en prochaine grand-mère, sa mère rêvée penchée au-dessus d'un puzzle avec ses futurs petits enfants. Mais elle ne s'est pas laissée faire, sa mère."

Vingt-six tableaux qui défilent comme les pages d'un calendrier, soixante-dix-neuf pages qui s'écoulent emplies de mots simples et où s'inscrivent des émotions sans fioritures mais d'une justesse qui fait mouche à chaque fois.

Une idée de lecture piquée chezCATHULU, qui comme FLO, a beaucoup aimé.

Le chat dans la gorge     Colette Pellissier     Editions D . Montalant

chats_dans_bocal

 

Publicité
Publicité
17 octobre 2007

Pissenlits et petits objets

9782742754915Rencontre d'un jeune muséographe et d'une vieille femme aux oreilles mutilées, au dentier toujours sur le point de fuser dans un nuage de postillons, à l'élocution souvent entravée par des amas de glaires qu'elle crachouille dans son mouchoir, au front décoré d'un magistral furoncle qui suinte de pus en permanence... (euh, vous êtes peut-être sur le point de passer à table ? désolée !)
Donc cette charmante créature, qui bien sûr est en général d'une humeur de chien, a la drôle d'idée de transformer son manoir, lugubre et délabré évidemment, en musée. Très jeune, elle a chopé une chouette marotte, à savoir dérober sur les morts un objet leur appartenant. Vu son grand âge, vous imaginez bien le nombre de trépassés qu'elle a croisé et le bric à brac qu'elle a ainsi amoncelé.

"Ce que je vise, c'est un musée qui transcende l'existence humaine. On trouve la trace miraculeuse de la vie même dans un déchet sans aucun intérêt de légume pourri au fond d'une poubelle, c'est quelque chose qui enveloppe fondamentalement les richesses de ce monde... Bah, il est sans doute inutile d'essayer d'expliquer plus avant."

Ajoutez à cela un monastère où vivent des prédicateurs de silence qui, lorsqu'ils enfreignent la règle, se collent la langue sur un bloc de glace jusqu'à s'en arracher les papilles, des bisons des roches blanches, un attentat et un meutrier qui découpe en rondelles les seins de ses victimes.
Heureusement, la plume de l'auteur sauve le lecteur de cette atmosphère glauque. Comme par magie, émergent çà et là des petites soupapes de poésie, des sas qui permettent de respirer un peu d'air pur et de se débarasser des miasmes putrides qui suintent tout au long des pages. Comme la fête des Pleurs, par exemple (bon d'accord, c'est pas gai-gai...).

"Vous allez voir quand la procession va commencer. Les habitants défilent à travers le village en pleurant. En fait, ils font semblant, mais quand même. En tête, il y a la princesse des larmes qui pleure avec plus d'exagération, de douleur et de tristesse possible, en brandissant une branche d'aubépine. On croit que ça fait peur à l'hiver qui va reculer."

L'auteur est fidèle à elle-même, elle patauge avec allégresse dans le morbide, le malsain et l'étrange tout au long de cette allégorie de la mémoire et de la transmission. Elle a su me contraindre à lire jusqu'à la dernière page ce curieux récit. Mais j'avoue avoir préféré de loin La petite pièce hexagonale. Courageusement, après une pause plus ou moins longue, je poursuivrai quand même la découverte de cet auteur.

Après ça, je ne suis pas sûre que MUSKY, que je remercie pour le prêt de ce livre (mais qui ne l'a pas encore lu), se précipite dessus !!! Ce n'est pas l'auteur que je te conseillerais pour découvrir la littérature japonaise...

Le musée du silence    Yoko Ogawa    Editions Actes Sud  Babel

 

armes_couteau006

 

 

15 mai 2007

Chut ....

9782070315284Par une chaude journée d'été, une femme revient trente ans après dans la maison où elle passait ses vacances. Le village est désert, la maison abandonnée et le jardin en friche.
Autrefois, en ces lieux et autour de cette enfant évoluait un quintet infernal. Solitaire, bougonne et imprévisible, elle observe les adultes et pressent leurs incohérences; jusqu'au jour où survient un drame.

A tour de rôle, chaque personnage nous conte un fragment de l'histoire familiale.
A tour de voix, chacun s'explique les raisons qui ont conduit au triste dénouement.
En 158 pages, on nous livre un parfait petit manuel de manipulation, ou comment faire germer une idée dans la tête de quelqu'un, tout en lui laissant croire qu'il en est l'auteur. Gisèle Fournier dissèque à la perfection les vengeances et les engrenages, les fausses interprétations et les impressions tronquées,  les explications ratées et les retours de manivelle. Tout ce qui fait que l'on s'enferme dans le non-dit.

Le tout est relaté sur un ton juste, simple, presque désaffecté, comme pour tenir encore à distance les culpabilités et les émotions si longtemps étouffées.
Une personne détient la clef. Un indice est abandonné dans la maison vide. La narratrice le trouve et peut enfin savoir. Mais s'en saisira-t-elle ? Ou préfèrera-t-elle continuer à subir le poids du mensonge et de l'incertitude ?
Un beau texte, court mais vrai.

" A travers les feuilles, une balançoire de fortune.(...) Une petite fille. Elle se balance. Avec application. Le bas de sa robe se relève par intermittence. Et découvre ses jambes, à peine brunies au-dessous de la marque blanche laissée par le short. Je l'appelle. Elle tourne la tête. Elle a le visage fermé. J'ai douze ans. Ou treize ans."

Non-dits     Gisèle Fournier     Editions Folio

plante086

 

 

10 septembre 2007

Nique ta mère* !

livreJubilatoire ce bras de fer entre une adolescente des années 20 et cette mère snobinarde !
Madame Kampf met tout en oeuvre pour cacher les origines modestes de son couple. Et afin d'inaugurer son entrée dans la société des nantis, elle décide de donner un bal auquel deux cents personnes qu'elle connait à peine vont être invitées.
Mais Antoinette, sa fille de quatorze ans, elle, n'y est pas conviée malgré ses multiples suppliques. Pire, le fameux soir, elle sera reléguée au fin fond d'un débarras, puisque sa chambre sera transformée en vestiaire.

Après une débauche de dépenses de nourriture, fleurs, personnels et j'en passe, le grand soir est enfin arrivé. Proche de l'hystérie et du nervous breakdown, Madame Kampf attend le premier coup de sonnette qui marquera l'ouverture des festivités...

Bien avant cette histoire de bal, le climat n'était déjà pas au beau fixe entre Antoinette et sa mère, alors je vous laisse imaginer ce qui se mijotte. La vengeance, non préméditée cependant, sera terrible !

"Mme Kampf entra dans la salle d'études en fermant si brusquement la porte derrière elle que le lustre de cristal sonna, de toutes ses pendeloques agitées par le courant d'air, avec un bruit pur et léger de grelot. Mais Antoinette n'avait pas cesser de lire, courbée si bas sur son pupitre, qu'elle touchait la page des cheveux. Sa mère la considéra un moment sans parler; puis elle vint se planter devant elle, les mains croisées sur sa poitrine.
- Tu pourrais, lui cria-t-elle, te déranger quand tu vois ta mère, mon enfant. Non ? Comme c'est distingué..."

Bonjour l'ambiance ! Où l'on s'aperçoit que quelque soit l'époque, les relations mère-fille ne sont jamais simples ...
Autre réussite de l'auteur, la description du monde ambivalent de l'adolescence et le rayon laser que ces braves petits plantent sans concession sur le monde des adultes.
C'est là encore intemporel.

Une question pour terminer. Qui a écrit : " Les jeunes aujourd'hui aiment le luxe, méprisent l'autorité, et bavardent au lieu de travailler. Ils ne se lèvent plus lorsqu'un adulte pénètre dans la pièce où ils se triouvent. Ils contredisent leurs parents, plastronnent en société, se hâtent à table d'engloutir les desserts, croisent les jambes et tyrannisent leurs maîtres. Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l'autorité et n'ont aucun respect pour l'âge. A notre époque, les enfants sont des tyrans." ?

MUSKY et SOPHIE ont lu et aimé ce livre.
BELLESAHI me l'a prêté, merci !

* Belle, désolée, tu sais que je damnerais pour un bon mot !!!

Le Bal    Irène Némirovsky     Editions Grasset Les Cahiers Rouges

personnages_danseurs015

 

14 novembre 2007

Mahabharatin

9782253118015"Fizz était sur le bord du lit et je respirais son amour et je goûtais son amour et j'entendais son amour et mon amour se tendait vers son amour et j'arrivais là où était ma place, là où je voulais vivre et mourir et le monde était un bout de peau et le monde était deux bouts de peau et le monde n'était que bouts de peau et le monde était liquide et le monde était serré et le monde était un fourneau et le monde se mouvait et le monde glissait et le monde explosait et le monde finissait et le monde cessa d'exixter."

Le narrateur et sa femme vivent une passion torride et charnelle depuis qu'ils se sont rencontrés à Chandigarh. En quinze ans de vie commune la passion n'a pas faibli. Ils ont su faire fi des différences ethniques, vivent plus ou moins modestement suivant les aléas de leurs emplois respectifs, lui est journaliste et Fizz enseignante, et ils profitent de la modernité qui déferle sur l'Inde en cette fin des années quatre-vingt dix.
Installés à Delhi, où le narrateur se lance en vain dans la création littéraire, ils tombent par hasard sur une petite annonce concernant la mise en vente d'une vieile maison au pied de l'Himalaya; un héritage va leur permettre de l'acquérir. Lors des travaux de rénovation, la découverte d'un coffre rempli de soixante-quatre carnets manuscrits vient semer la zizanie entre les amants. Le narrateur se plonge dans la lecture du journal intime de l'ancienne propriétaire, Catherine, une américaine ayant vécu là de folles passions amoureuses dans la première moitié du XXe siècle.
Cette femme l'intrigue, l'attire, le tourmente, l'obsède, le hante, le possède... Fizz, elle, s'éloigne.

"Le délabrement inhérent à tout acte de création".

Comme un leitmotiv, ce constat revient comme le désir qui mille fois s'allume puis soudain s'éteint. Et il en va de même pour les dieux et les croyances, pour les hommes et les corps, pour les maharadjahs et leurs palais, pour les héros de l'Indépendance et leurs descendants, pour l'Inde moderne prise entre tradition et société de consommation. Entre Dharma et Karma, tout éclôt, s'épanouit, se fane et se transforme pour renaître.
Ne versant ni dans l'exotisme, ni dans le misérabilisme, l'auteur réussit à brosser un tableau sans concession de son pays et de son peuple. Au fil des pages, le récit foisonne de détails historiques et politiques, religieux et philosophiques.

Parallèlement, le lecteur est pris dans un tourbillon érotique éblouissant. Ce livre est un hymne au désir, au plaisir. On reste pantois face à l'immensité de l'imaginaire qui, sans jamais lasser ni tomber dans la vulgarité, pare les corps et les esprits de sensations plus osées et poétiques les unes que les autres. Les dieux ont ouvert la voie vers le septième ciel, les Indiens ont ce chemin inscrit en eux.
Du très grand art où couleurs, parfums, saveurs, musiques, caresses se percutent dans un corps à corps violent et passionné, laissant le lecteur un brin exténué par tant de délicieux excès.

"Le voyage vers Chandigarh fut étrange. Nous savions que c'était véritablement le dernier. Au retour, nous aurions emporté les derniers vestiges de nous-mêmes, de cette étrange cité minérale née de la géométrie et non du besoin. Une ville bâtie avec des rapporteurs, des règles, des équerres, des compas, bien plus qu'avec de la passion, de l'émotion, de l'ardeur et de la créativité. Le Français qui l'avait édifiée en avait expurgé à la fois la sensualité accomplie de son peuple et la truculente robustesse des Indiens."

Un autre avis enchanté ICI .

Loin de Chandigarh    Tarun J Tejpal    Editions Le Livre de Poche

 

theatre043

 

27 novembre 2007

Babouchka Roza

97820707758041964, sous l'ère de Brejnev, quelque part dans une petite ville de l'Oural, Sidelnikov, sept ans, est confié à sa tante Roza en attendant que ses parents règlent leurs problèmes conjugaux.
Roza vit dans un appartement communautaire, son mari est au goulag et Sidelnikov devient le centre de sa vie.
L'enfant passera onze ans dans la tendre complicité de cette femme discrète et aimante.

"Dans ce nouvel espace de silence, notre mutisme, le mien et celui de Roza, notre solitude à deux, familière et si peu pesante, se mit à résonner distinctement. (...) J'aimais ses habitudes. Je savais qu'après le bruissement sec de ses mains frictionnées avec une crème qu'elle faisait couler d'un flacon orné de l'étiquette "Velours", après le claquement de l'interrupteur, j'entendais les mots "Dors, mon petit", prononcés avec une intonation à la fraîcheur unique, et bien avant que mes yeux ne s'accoutument à l'obscurité, elle ôterait sa robe d'intérieur par la tête puis s'allongerait doucement sur la banquette étroite et inclinée."

Roza accompagne Sidelnikov dans ses monde imaginaires et dans ses pitreries. Par exemple, comme Roza n'a pas de poste de télévision, c'est lui qui lui joue les informations en lisant la feuille de journal qui sert aussi de papier d'emballage au repas du soir. Quand à treize ans il décide d'écrire un roman, c'est encore Roza qui l'encourage.
Mais l'adolescence détournera peu à peu Sidelnikov de la vieille femme. D'autres femmes entreront dans sa vie de lycéen puis d'étudiant, et c'est quelques mois après sa mort qu'il se rendra compte à quel point elle a compté pour lui et combien elle lui manque. Les rêves leur permettront de se retrouver.

Outre le récit de cette belle et pudique relation, on plonge dans l'URSS de la guerre froide, avec la vie de débrouille, les files d'attentes devant les magasins vides, les tracasseries administratives et toujours l'oeil de Moscou qui veille et écoute. On découvre aussi la vie estudiantine où, parfois, un souffle venu de l'Ouest tente clandestinement de circuler.
Un livre écrit par un homme de cinquante ans, qui tente d'inculquer à son héros comment garder le meilleur de ces années noires, à savoir un certain sens de la solidarité, face aux "Voleurs", prémices de la mafia des années 2000.

"Sur les frontons des maisons de la culture, ouvriers, soldats et marins au garde-à-vous s'entassaient avec une mine si menaçante et déterminée qu'en passant sous leurs regards de pierre Sidelnikov se sentait immanquablement incorrect et coupable. Dans les rues de la ville, sous l'oeil vigilant des enseignes officielles, il éprouvait une espèce de crainte d'être démasqué sans savoir pour autant ce qu'il avait à cacher."

Roza     Igor Sakhnovski     Editions Gallimard 

 

If_you_would_not_read_books__you_will_forget_the_grammar   

 

15 octobre 2007

Salades russes !

9782070307043"Dans la vie archaïque des faubourgs de Moscou, dans les venelles cloisonnées dont les centres d'attraction se trouvaient à côté des bornes-fontaines gelées et des resserres pour le bois de chauffage, les secrets de famille n'existaient pas. Il n'était même pas question de banale vie privée, car tout un chacun connaissait la moindre pièce d'un caleçon étendu sur la corde à linge publique. Entendre, voir et s'immiscer physiquement dans la vie des voisins était inévitablement l'affaire de chaque instant (...)"

Neuf nouvelles pour neuf balades dans le Moscou de l'après-guerre. Neuf nouvelles pour neuf visites dans les appartements communautaires ou les logements individuels de quelques privilégiés.
L'occasion de faire connaissance avec la sage et débrouillarde Bronka qui ne sort pas du cagibi où elle vit avec sa mère, et qui, se retrouvant enceinte dès l'âge de quatorze ans, refuse de dire le nom du père, et pire, réitère à trois reprises l'expérience ! Téméraire, elle ira loin cette petite...

La fille de Boukhara aura la chance d'épouser un médecin mais mettra au monde une enfant trisomique. Se retrouvant seule et malade, elle choisira, avant de mourir, un parti tendre et étonnant pour sa fille devenue adolescente.
Genele-la-Sacoche, une coquine proprette et frugale, entreprend ses visites mensuelles aux membres de sa famille. Elle a toujours un mot aimable pour chacun, "Maroussia, tu avais si bonne mine la dernière fois...", et toujours sur l'épaule sa vieille sacoche dont tout le monde se demande bien ce qu'elle contient.
Assia, La pauvre parente, a plus d'un tour dans son sac pour soutirer aux siens quelques subsides et faire aussi quelques heureux ...

Dans La maison de Lialia  et chez la cabotine Goulia, il s'en passe de belles. On lutte contre l'âge et le froid d'une façon fort économique...parfois c'est douloureux.
Les bienheureux retrace avec émotion l'histoire de ce vieux couple qui continue à vivre après la disparition du fils "Matthias revenait de son travail, mangeait et s'asseyait sur le canapé. Vovotchka s'installait à ses côtés, comme un petit gâteau cuit avec le reste de pâte du gros gâteau roux assis à côté de lui. Ils lisaient, ils discutaient, et Bertha s'en allait superstitieusement faire sa vaisselle rutilante."

Une vie si longue, si longue... est une histoire de rendez-vous manqué, alors que dans Le peuple élu, Zinaïda, après la mort de sa mère, pourrait bien mourir de faim si elle ne rencontrait une drôle de paroissienne...

Une plume d'auteur pleine de tendresse pour ses personnages; un receuil regorgeant d'humanité pour le petit peuple moscovite qui, face au drame, est loin d'en avoir une vision pathétique; bien au contraire, il trouve là l'occasion de faire éclore de son imaginaire des petits trésors de solutions afin de se sortir de la mouise.
Une jolie découverte dont vous pouvez avoir un aperçu pour pas cher, puisque Folio publie aussi La maison de Lialia dans sa collection à 2 €.

Les pauvres parents    Ludmila Oulitskaïa    Editions Folio

I_vote_for_the_communistic_candidates_and_the_non_party_men___1947

 

16 décembre 2007

Un été 43

9782070339662Voilà tout à fait le petit livre qu'il me fallait après le pavé de Mendelsohn !
On ne quitte pas la période de la Seconde Guerre, mais dans un tout autre registre.

Le narrateur se souvient de l'été de ses quatorze ans, passé au bord de la mer du Nord, chez son oncle et sa tante. Cette année-là, ces derniers ont invité une jeune fille de leur connaissance, afin de la soustraire aux bombardements qui atteignent la capitale danoise.
Virginia est un peu plus âgée. Bien élevée, elle reste secrète et distante.
Autour d'un même événement, un avion anglais qui s'écrase et un pilote qui se cache, les deux adolescents vont vivre chacun de leur côté leurs premiers émois amoureux.
Cinquante ans plus tard, ils se recroiseront à Paris et évoqueront cet été 43. Cette unique rencontre entraînera le narrateur, presque malgré lui, dans un futur qui ressemble fort à du passé...

"Alors qu'elle roule ainsi sur les barrages et les digues, il ne reste rien de la vie qu'elle a menée durant tant d'années. Il ne reste que le souvenir de cet été-là, quand elle pédalait sur un sentier semblable, entourée d'eau, à l'autre bout de la terre et sur les rives opposées des ans, sur l'une des impasses de sa jeunesse."

Une douce nostalgie s'échappe de ce petit roman. Un récit concis, sobre, pudique, comme savent l'être les amours adolescents. Le temps s'écoule, la vie se déroule, les souvenirs s'enroulent, font des noeuds auxquels parfois on s'accroche pour ne pas sombrer...
Ce livre suggère et conjugue tout cela au passé, au présent et au futur.

Merci BELLESAHI de m'avoir offert ce joli roman !
De plus, cela m'a donné envie de reprendre "Sous un autre jour", que j'avais abandonné...

ANNE a beaucoup aimé aussi.

Virginia     Jens Christian Grondahl     Editions Folio

spo_air_004

 

 

 

 

21 décembre 2007

Plongeon irlandais

9782264042002A la mort de son père, Imogen hérite d'une malle remplie de photos, de papiers personnels, journaux intimes, articles de presse, correspondance diverse.
Après quelques hésitations, elle se décide enfin à en entreprendre la lecture, espérant peut-être ainsi comprendre la disparition de son frère Johnny, survenue trente ans plutôt.
Comment ce nageur émérite a-t-il pu se noyer ? Imogen ne croit pas à cette mort accidentelle survenue alors qu'elle-même était internée dans une clinique psychiatrique, suite à un accès de mutisme soudain.

Nous plongeons avec la narratrice dans l'océan du passé familial. Et la pèche sera fructueuse car, si elle n'obtient pas explicitement la réponse à sa question, Imogen y trouvera cependant de nombreuses révélations concernant les générations précédentes.
Non-dits, secrets, traumas, répétitions, tout cela balaiera d'un éclairage nouveau l'absence de Johnny.
Entre deux plongées en eaux troubles, nous refaisons surface dans le présent pour entendre enfin ce qui a plombé la langue d'Imogen en 1970.

"J'ai une photo de Johnny prise l'année où il remporta le championnat scolaire interrégional de natation. Il n'a pas l'air triste. A dire vrai, il a un sourire satisfait. Je lui avais dit alors: "Regarde comme tu as l'air content de toi, imbécile.
- J'ai gagné, avait-il rétorqué. Pourquoi ne serais-je pas content de moi ?"
Mettez-lui un uniforme, avec sa casquette soigneusement serrée sous le bras droit, effacez l'air de contentement de son visage, et c'est le sosie de l'oncle Harry."

Sans trop de surprise quant à l'intrigue, l'auteur nous dépeint, d'une écriture limpide et sans aternoiements, l'Irlande puritaine où solitude et fuites sont les seules issues de secours face aux conventions et à l'enfermement qui en découle.
Un roman qui ravira aussi les amoureux(ses) des ambiances de bord de mer.

"J'habite aujourd'hui une maison coquette à Sandycove, sur une route qui mène à la mer. J'ai besoin de vivre près de la mer; je ne veux pas être dedans ni dessus, mais il m'est difficile de vivre sans son bruit, son odeur, sans les reflets du ciel, des nuages, de la nuit, des gris, des bleus, et j'aime le tumulte des tempêtes."

J'avais piqué cette idée de lecture chez CATHULU.

Ceci n'est pas un roman     Jennifer Johnston     Editions 10/18

natation012

 

 

28 mars 2007

A TABLE !

2879292824 " Papa et Maman, ce ne sont pas leurs vrais noms (...). Mes parents n'existent pas. Ils se tiennent dans un lieu que je ne peux pas connaitre (...). Je veux qu'il y ait une histoire. Des parents dans une chambre qui se penchaient, confiants, sur un berceau bleu. Et Papa et Maman sont entrés une nuit en brisant la fenêtre et ont enfoncé leur couteau. Cela s'est fait très vite. Il n'y a pas eu de lutte. Ensuite, Papa et Maman ont très soigneusement découpé les visages au moyen de ciseaux aux longues lames fines et les ont cousus sur les leurs comme des masques. Sans faux plis, ni coutures. Ils les portent depuis avec grand naturel et tout le voisinage est dupe."

Une petite fille solitaire observe le monde de ses parents. Elle ne les comprend pas et n'ose pas poser de questions. Alors elle se rassure en trouvant elle-même les réponses aux comportements parfois bizarres des adultes. Entre un père original et parfois sévère, et une mère peu encline à la tendresse, cette petite fille survit grâce au pouvoir de son imagination. Elle mène son enquête sur la pointe des pieds, et par petites touches poètiques et imagées, elle tente de s'approprier cette famille et de se faire aimer.

Un court texte qui réveille en nous les petites filles que nous avons été. Partagé entre humour et émotion, inquiétude et étrangeté, ce récit se lit d'une traite. Je ne sais pas pourquoi, mais je m'imaginais que cette sage observatrice aurait très bien pu être Amélie Nothomb. Sans doute parce que l'auteur est Belge !

" C'est au fond des penderies que Maman se tient le plus fort. Des corps entiers sont là, debout comme elle. C'est dans cette grande penderie que j'entre. Dans sa vaste bouche d'ombre. Sous les cintres qui grincent et les tringles qui plient. Je progresse dans le noir et les robes titubent et leurs corps s'entretouchent. Parfois, elles font des voltes, des chutes, des plongeons, elles glissent, elles s'abandonnent, elles croulent dans mes bras, des corps bouleversés me débordent et m'embrassent. Maman enfin permet que je l'approche."

 Le grand menu     Corinne Hoex     Editions de l'Olivier

 

femme_015

26 décembre 2007

Déboires russes !

9782879293516En une quarantaine de nouvelles nous embrassons l'âme russe dans tout ce qu'elle a de fatalisme, d'absurde, de tragique et de drôle à la fois.
Les personnages de l'auteur ont bien retenu la devise de feu leur grand pays, "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !". Certes "Vodka, corruption et système D" pourrait en être le corollaire indispensable pour s'assurer une vie supportable, et générer des grands éclats de rire là où n'importe qui se tirerait une balle dans la tête !

"En fait, la prétendue âme russe se réduit à quatre composantes : la croix russe, la langue, la vodka et le bonheur dans la souffrance." (Les Voisins)

Quarante-trois clichés, parfois très courts et répartis en six grands chapitres, pour brosser des portraits réalistes du peuple de la Russie profonde, pas les nouveaux riches moscovites, mais celui des travailleurs ou des petits chefs  qui tentent de s'adapter, tant bien que mal, à l'évolution de leur pays. Les stygmates de l'étatisme et du communisme aidant, c'est pas une mince affaire !

"La tante Klava était une gardienne de la vieille école, experte en surveillance. Avant de travailler au foyer elle avait été ouvreuse dans un cinéma, et avant encore elle avait été responsable d'étage à l'hôtel Intourist. Sa figure n'exprimait jamais la moindre émotion, et sa réserve lexicale se limitait à deux phrases : "Où allez-vous ?" et "C'est interdit !". Mitia, qui n'était pas inscrit sur la liste des résidents du foyer, avait bien imaginé différentes ruses, mais sans jamais réussir à abuser la tante Klava. Enfin, si : un jour, il avait presque réussi." (Le Tank)

Les grandes interrogations existentielles concernent le quotidien (l'avenir se limitant souvent au lendemain), le fonctionnement de la machine à laver, l'absence d'éclairage et d'asphalte dans les rues des villages ou la bonne cohabitation entre voisins. La version russe de la réduction du temps de travail, la compréhension ou l'assimilation de concepts venus de l'Occident et l'entrée dans la société de consommation occupent suffisamment les personnages pour qu'ils évitent de se poser les questions primordiales : qui suis-je? où vais-je? dans quel état j'erre? .

Taïga Blues, titre original déjà évocateur, n'a pas perdu au change dans l'édition française. Cela aurait pu être un récit noir et désespéré. Au contraire, c'est avec humour et tendresse que l'auteur nous présente son pays et ses compatriotes.
Une évidence s'impose, seule une pénurie de vodka empêchera le monde russe de tourner...

Dernières nouvelles du bourbier   Alexandre Ikonnikov   Editions Points Seuil

 

2_Socially_Dangerous

 

27 octobre 2007

Peur bleue

9782755401202Imaginez, nous sommes en 2052. La Terre n'est plus la planète bleue, mais la Ville bleue, les nations sont devenues des districts, les villes des faubourgs, la Pensée Unique Totalitaire (P.U.T) a triomphé, les Zenbas (rappelez-vous, la France d'en bas...) ont remplacé les bobos, les sdf ont mystérieusement disparu laissant la place aux SDF, grands patrons itinérants sans bureaux fixes si ce n'est les suites somptueuses de grands hotels. Dans la Ville bleue, exit chômage et pauvreté, "le capitalisme conduisait à la gratuité tellement l'abondance était grande". Les normes ont remplacé les lois, rien ne se fait sans avocats ni psys, les logiciels régissent tout, puces et messages subliminaux sont omniprésents et tout se monnaie d'une simple empreinte de pouce.

C'est dans ce paradis cauchemardesque que vont se rencontrer deux êtres aux antipodes l'un de l'autre. Pierre-Paul, richissime et talentueux SDF, homme d'affaires trouble et père du mystérieux projet Amadeus, et Myriam, maquettiste de renom recrutée pour l'assister et qui, tout en en profitant, regarde ce monde d'un air sceptique et n'hésite pas, à l'occasion, à se ressourcer dans la prière.
Le projet Amadeus serait-il un nouvel outil préparant la LDP (Lecture De la Pensée) ? Quels liens Pierre-Louis entretient-il avec Les Saigneurs, ces dirigeants de La Ville que personne ne connait et sur lesquels courent toutes les rumeurs ?

Quand Amadeus et LPD se transforment en Antéchrist, j'ai refermé définitivement ce catalogue de tous les poncifs. Le libéralisme, surtout lorsqu'il est mâtiné de morale catholique, n'est pas si terrible que ça ! Car bien sûr, qui sauvera le monde si ce n'est le Bon Dieu, évidemment...
Amen... ez-moi un autre livre, vite !

La luxure régnait sur la ville      Michel de Poncins     Editions F-X de Guibert
et la ville était bleue

005509

 

31 décembre 2007

Bad trip

9782742771523Délire ou réalité, cette traduction du Livre blanc se veut une cosmogonie des petits peuples sibériens de l'Arctique.
L'auteur nous explique les circonstances assez rocambolesques qui ont présidé à la découverte de l'ouvrage sur l'île de Vaïgatch.

"Les tribus locales donnaient à Vaïgatch le nom de "Kheïdidia-no", ce qui signifie "terre sacrée (ou interdite)". Les aborigènes venaient même des contrées les plus reculées d'Asie polaire pour s'incliner devant les fameux objets sacrés.
La chasse, l'abattage des morses et la pêche étaient strictement interdits dans ces territoires. Ce tabou a perduré pendant des siècles et a commencé à être violé de façon systématique seulement dans les années 1950, à la suite de l'installation d'une base atomique soviétique dans l'ïle."

Le Livre blanc, composé de six chants, nous présente les figures emblématiques de la mythologie de ce peuple de la mer de Barents. Koutkh le corbeau qui vit dans le monde d'En-Haut. De son île céleste, il est aux premières loges pour assister au triste spectacle que lui offrent les hommes peuplant le monde du Milieu. Un jour, n'en pouvant plus, il décide d'envoyer le Libérateur Er Sogodokh, Oreille d'ours. Ce dernier est chargé de faire revenir l'ordre entre le monde du Milieu et celui des Ténèbres où vivent les morts toujours plus affamés.
Les chamanes font la navette entre les trois univers afin d'aider à ce grand nettoyage, genre pulp fiction à la sauce polaire, où les lances et les amanites tue-mouche remplacent allègrement les flingues et la cocaïne ! On dépèce, tranche, dévore, rote, fornique. La banquise change de couleur et prend des teintes révolutionnaires...

"A la fin, ils étaient complètement désespérés. Et lui, il continuait à les tuer. Il en avait déjà tué beaucoup. Des guerriers s'étaient sauvés. Tous les hommes s'étaient sauvés. Il a embroché deux hommes. Leur coupe la tête. Leur transperce la cervelle. Les agite au bout de sa lance. Il crie : Ne vous sauvez pas comme ça ! On peut se battre encore un peu !"

Le Petit Chaperon rouge et Barbe bleue ont l'air bien palichon à côté !
Entre tradition et parodie, l'auteur s'en est donné à coeur joie pour revisiter la Sibérie primitive.

Le Livre blanc     Ilya Strogoff     Editions Actes Sud

ours_084

 

 

6 janvier 2008

Huis clos

ciel_cageJohannes Betzler naît à Vienne en 1927; il a donc onze ans en 1938 au moment du référendum sur l'Anschluss qui entérinera l'annexion de l'Autriche par le Reich. Il est enrolé dans les Jungvolk, subit endocrinement et entraînement, participe à la Kristallnacht et, les mois et les années passant, gravit les échelons des Jeunesses hitlériennes et devient le parfait patriote fanatisé prêt à donner sa vie pour son Führer, au grand dam de ses parents fortement opposés aux thèses nazies.

Pour Hitler, Johannes ne donnera qu'un bras et la moitié de son visage, et à dix sept ans, il se verra contraint de regagner ses foyers après avoir été blessé par une bombe. Et là, quelle n'est pas sa surprise de constater que ses parents cachent une jeune Juive dans leur grenier. Commence alors une partie de cache-cache et de non-dits entre lui, sa famille et Elsa Kor, personne ne disant qu'il sait et qu'il sait que l'autre sait. Un parfait cocktail pour faire germer dans l'esprit de Johannes, déjà fortement perturbé par sa pré-adolescence et ses mutilations, puis d'instaurer dans la réalité une curieuse relation mêlée de répulsion et de fascination avec la belle Elsa.
La fin de la guerre verra la famille de Johannes décimée et le laissera seul avec sa grand-mère dans leur grande maison où va se jouer désormais un étrange huis-clos, puisque Johannes n'avouera jamais à Elsa que l'Allemagne a été battue...

"Le danger du mensonge, ce n'est pas sa fausseté, son irréalité, mais au contraire le fait qu'il devienne réalité pour autrui. Il échappe au menteur comme une graine lâchée au vent, d'où germe une vie autonome dans un recoin inattendu, jusqu'à ce qu'un beau jour, le menteur se retrouve confronté à un arbre solitaire dont la vigueur se dresse au-dessus d'un à-pic vertigineux, un arbre qui le sidère autant qu'il l'éblouit. Comment s'est-il retrouvé là ? Comment réussit-il à survivre ? Sa solitude confère une grande beauté à ce fruit d'un mensonge, stérile et pourtant vert et gorgé de sève."

Récit d'une descente aux enfers de deux esprits perturbés pris dans une spirale infernale où les rôles peuvent bien s'inverser et l'amour remplacer la haine, ce livre est aussi un précis clinique sur le sentiment d'emprise, généré par la claustration tant physique que psychique. La dépendance réciproque, du bourreau et de sa victime, à une relation perverse que le temps se charge d'entretenir et de transformer, nous est ici narrée d'une plume suffisamment habile pour contraindre le lecteur à tourner les pages et assister à la douce violence de cette folie.

Point de torture physique dans ce roman, il y a même quelques pages d'humour grâce au personnage de la grand-mère, juste une subtile mais inéxorable mécanique de perversion décrite du point de vue du bourreau.
J'aurais aimé que le récit donne alternativement voix aux deux protagonistes de cette histoire afin de peut-être trouver la réponse à l'inévitable question, qui est la véritable victime ?

Le ciel en cage     Christine Leunens     Editions Philippe Rey

 

jeunes_hitl   

 

   

9 janvier 2008

Tic-tac Tic-tac

9782070336357Anne arrive dans une petite bourgade, non loin de la mer, où elle a rendez-vous avec un agent immobilier afin de visiter une énième maison. En fait, c'est la trentième et ce sera la dernière car de toutes les façons, Anne n'est pas acheteuse.
Alors pourquoi ces visites et pourquoi demande-t-elle à chaque fois à pouvoir rester seule quelques heures dans ces maisons vides et dans leur environnement, que cherche-t-elle ?
Tout simplement un peu d'elle-même.

"Nous sommes sortis sur la terrasse. Accoudés à la rambarde, nous étions comme sur le pont d'un navire. C'était la dernière maison que je visitais, mais la première située au bord de la mer. J'avais presque l'illusion du tangage, l'impression d'un départ en croisière. Des voiliers au loin ressemblaient à des mouettes vagabondes, les vagues venaient mourir sur le sable avec ce bruissement délicat des bâtons de pluie africains."

Se laissant imprégner par les atmosphères, les souvenirs refluent. L'enfance d'abord, entre une mère distante et un père délaissé et malade, la compagnie du chat, complice réconfortant face à l'impuissance de la narratrice à aider ses parents. Puis plus tard, ses amours de femme et sa passion pour le théâtre. Et enfin, sa vie du moment, d'autres hommes, d'autres chats.

Anne reviste sa vie et s'en va à l'encontre du sens des aiguilles d'une montre, accompagnée par le tic-tac régulier du temps qui s'écoule. Car c'est surtout la mort du père, à l'adolescence, qui lui a laissé une fragile cicatrice que la décrépitude maternelle vient soudain chatouiller et réveiller par le biais de la montre paternelle qu'Anne retrouve au fond d'un tiroir. Une montre muette et figée depuis bien longtemps.
Les rythmes oubliés du tic-tac et de la course des aiguilles vont relancer la vie d'Anne à la manière d'un choc électrique qui réanime un coeur absent ou qui libère du joug des inhibitions.
Mais il lui faudra pousser les portes de trente maisons pour accepter certains rendez-vous manqués... afin, peut-être, de ne pas rater le prochain !

"La vie sait des choses qui ne sont pas encore arrivées."

J'avoue avoir succombé une fois de plus au charme de l'auteur, à son écriture, à son ton délicatement mélancolique. Je crois même avoir été encore plus touchée par ce roman que par Le canapé rouge. La fuite du temps et de la mémoire, abordée ici sous l'angle de la relation filiale, a su titiller les souvenirs de la fille que j'ai été, et le tic-tac s'est parfois un peu emballé au fil des émotions que Michèle Lesbre sait si bien distiller.
Merci aussi à elle pour les quelques belles références littéraires qui parsèment ce livre.

La Petite Trotteuse     Michèle Lesbre     Editions Folio

yheure21

 

 

11 janvier 2008

Bonne nuit !

9782742761289Sébastien Ponchelet est un petit braqueur au coeur d'artichaut. Un premier hold-up raté et le voilà en prison pour quatre ans. C'est là qu'il fait la rencontre de Sholam Rubin, célèbre détrousseur de musées et grand amateur de livres. Sébastien devient "le domestique" de Sholam qui bénéficie d'un régime de faveur et d'une cellule VIP. Grâce à quelques magouilles, Sholam facilite la libération sous conditionnelle de son protégé, lui trouve un toit chez France, une ancienne prostituée, et un boulot d'homme à tout faire chez Condorcet, une des plus grandes maisons d'édition de Paris.

"Au magasin, je travaillais avec Gabriel, l'autre manutentionnaire. Un ballot flasque et sans âge, à l'air perpétuellement égaré. Sa blouse grise, sa bedaine qui débordait de sa ceinture évoquaient l'instituteur des années 1950."

Et à cause d'une blague dont il a le secret, ce benêt va entraîner Sébastien dans une drôle de galère. En effet un soir, celui-ci trouve dans sa sacoche le manuscrit égaré que toute la maison Condorcet recherche frénétiquement, et que Gabriel y a dissimulé.
Peu versé dans la littérature, Sébastien se contente d'en lire la première phrase et le laisse traîner chez France, où vont et viennent ses deux grands ados glandouilleurs et Raymond, son amant régulier et fidèle ami du Sholam. Le lendemain, le manuscrit s'est envolé.
La disparition du mamuscrit est prétexte à un enchaînement de faits qui changeront le cours de la vie de Sébastien. A moins que ce ne soit cette première phrase qu'il relit sans cesse : "Longtemps, je me suis couché de bonne heure."

Un roman à double fond, comme sait si bien les écrire l'auteur des célèbres Neutralité bienveillante et Mortel transfert. Une histoire, en apparence simple comme de l'eau de roche, qui mène son héros et les lecteurs par le bout du nez et se termine par une pirouette.
Je n'en garderai sans doute pas un souvenir impérissable mais les personnages sont originaux, se balader dans une maison d'édition est toujours instructif, et pour qui aime la peinture, on croise dans ce livre de très beaux spécimens d'oeuvres d'art ainsi que de savoureuses analyses.

"C'est de toi que parle une peinture, tu y reconnais une image inédite de toi, un désir que tu portes depuis toujours, la clé d'une énigme, même -et surtout- si tu n'en as pas conscience. Tu crois t'emparer d'un tableau. Foutaises ! En réalité, c'est le tableau qui s'empare de toi. Le vrai coupable, c'est lui, les juges n'ont rien compris. On ne vole bien que ce qu'on aime. Forcément, on le négocie bien, on fait payer au client la douleur de s'en séparer. Le voleur s'enrichit d'arrachements successsifs. Il porte en lui une douleur inextinguible, il vole et il vend. C'est sa damnation particulière."

Y'a pas à dire, l'art est l'avenir de l'homme !

CHIMERE  et  PAPILLON  vous donnent leur avis

Longtemps, je me suis couché de bonne heure   J-P Gattégno   Editions Actes Sud Babel

016pal

 

 

22 janvier 2008

P M D *

9782234059030Pour Mère Défaillante,
Ou comment un simple acte notarié fait rebrousser chemin à la mémoire et parcourir des sentiers où l'enfance peut craindre de se perdre à jamais, risque d'autant plus grand quand on a une mère  psychiquement malade mais que personne ne vous le dit.

Afin de signer une donation de leur vivant, un couple et ses deux filles adultes se retrouvent devant notaire, mot, dailleurs, qui à lui seul en dit long sur l'histoire ! Pour la narratrice, une des filles, c'est l'occasion de conjuguer le verbe "hériter" et de décliner les mots don, abandon, pardon.

Elle sait dire l'insécurité et le mystère qui entoure les fréquents séjours en maison de repos, la fragilité du sentiment de vie face aux sautes d'humeur et à la raison qui vacille, la culpabilité devant l'impuissance à aider cette mère imprévisible et l'effacement de soi afin de ne pas accabler davantage un père désemparé.
Quel ressenti éprouve l'enfant lorsqu'il constate qu'un jardin ou de vieux meubles, bien mieux que les relations familiales, comblent une mère qui sait alors trouver les mots pour dire son attachement et les gestes pour prendre soin des arbres ou de quelque commode, mais reste en apparence insensible à la présence des vivants ?

"La version de Papa était toujours la même: "Votre mère est une personnalité haute en couleur. Elle a, comme tout le monde, des hauts et des bas, mais comme c'est une Italienne, les hauts sont plus hauts et les bas plus bas..." Stop, c'était fini, ça s'arrêtait là. Il n'aimait guère parler en général. C'était un méditatif, un silencieux. Au fil du temps, il s'effaçait peu à peu lui aussi."

L'auteur aime les mots justes, en joue souvent avec humour et s'en délecte. Un point à l'endroit, un point à l'envers, passé et présent se répondent pour tisser un récit à la trame sensible et pudique, mais également d'une grande justesse clinique. Avec en arrière-fond, la crainte d'avoir reçu et, peut-être celle aussi, de transmettre ce petit gène qui fait la différence.
Entre réalité matérielle et inscription dans la chaînes des générations, la symbolique de la donation s'inscrit ici comme un révélateur. Celui d'un acte enfin posé par une mère qui n'a pas encore dit son dernier mot...

"Je me suis dit qu'en effet, nue-propriétaire ça n'était pas si mal. On a et on n'a rien. "Tout ce qu'on a , c'est ce qu'on n'a pas." Et rien n'empêche de bâtir sur ce manque, comme dans la vie. Finalement, cette métaphore me convient, ai-je pensé. Je la garde..."

 

* Ces trois lettres furent, dans un temps pas si lointain, signe d'un funeste diagnostic.
Depuis l'avènement du dsm IV, la bible de la psychiatrie américaine qui tend à classifier l'esprit humain et ses dérives via des grilles de symptômes, on parle de troubles bi-polaires; ça fait moins peur que Psychose Maniaco-Dépressive. C'est une pathologie caractérisée par une alternance de phases d'exaltation, d'agitation, et de périodes d'abattement, de dépression.
Funeste diagnostic car qui dit PMD, dit traitement à vie, avec les inévitables et désagréables effets secondaires des médicaments.
Autre inconvénient majeur, le caractère héréditaire de cette maladie.

La donation     Florence Noiville     Editions Stock

notaires

1 décembre 2007

Iran...donnée !

9782742760237Ce n'est malheureusement pas à une promenade de plaisir que nous convie l'auteur.
1983, quelques années après la chute du Shah et le retour de Khomeyni (1979), la révolution est, comme bien souvent, confisquée au peuple iranien assoiffé de démocratie. La mollarchie remplace la monarchie vieille de deux mille cinq cents ans.
Suite à l'arrestation de son mari et après un bref séjour en prison, Sorour décide de fuir son pays avec sa soeur aînée revenue de France pour se marier. Il leur faudra trois mois pour rejoindre clandestinement la frontière du Kurdistan et passer en Turquie via "La vallée des Aigles", avant de pouvoir s'envoler pour Paris. Rendez-vous manqués, passeurs véreux, aléas de la résistance kurde, ce n'est que contretemps, longues attentes dans les planques, falsifications de papiers, d'identités, découragements, mais aussi des rencontres humaines rudes, chaleureuses, inattendues.

"Une heure plus tard nous arrivons sur un haut plateau en terrasses. Devant nous s'ouvre une grande et magifique vallée. Une vallée longiligne établie dans une brêche profonde entre deux parois rocheuses, lisses et verticales. Les paysans nous ont averties: "Elle est surveillée des deux côtés. D'un côté les pâsdârs, de l'autre les askars, les soldats turcs qui traquent les clandestins. Des deux côtés, on a l'ordre de tirer sur tout ce qui bouge, même sur les aigles, nombreux dans les parages. Si vous la traversez saines et sauves, plus rien ne pourra vous arriver. Vous deviendrez immortelles."

Arrivée en France, où elle retrouve ses parents qui ont pu exiler légalement, Sorour s'inscrit en fac de langue et de littérature russe. Elle se saisit de l'occasion qui lui est offerte de partir étudier une année à Moscou. C'est là-bas qu'elle perdra à nouveau son passeport et devra, une fois encore, se confronter à la clandestinité et à la fuite.
Enfin de retour en France, elle affrontera, bien des années après,  l'administration ubuesque du consulat iranien afin de refaire ses papiers de citoyenne iranienne. Le besoin et le courage de rentrer dans son pays par la grande porte lui auront pris vingt ans. En 2004, elle peut enfin revoir la Vallée des Aigles. Sa fuite prend fin.

"Tout est confrontation avant-après: le temps passé, le temps présent. J'ai parfois l'impression d'être une momie, une revenante, un fantôme.(...) Le présent s'écoule en dehors de moi. J'appartiens au passé. Un passé si lointain que je commence à douter de son existence. Il n'a été peut-être que le fruit de mon imagination. Je n'ai qu'une envie: chercher des indices, des lieux réels. Quant aux individus, je ne les cherche même plus. Ils sont tous morts ou partis ailleurs, ce qui revient presque au même. Je suis la seule rescapée d'un temps révolu."

Ma rencontre avec l'auteur a donné encore plus de poids à ce récit autobiographique qui m'a littéralement transportée. J'ai eu beaucoup de mal à lâcher ce livre, cette femme si combative et sa famille abonnée au cycle infernal des exils et des retours.
Si la première partie du livre est riche en péripéties diverses et variées, la seconde, bref témoignage de la vie moscovite en pleine Perestroïka, autre révolution confisquée, a comblé ma curiosité. Mais j'avoue avoir été particulièrement émue par le récit du retour au pays. J'ai éprouvé avec l'auteur l'émotion qui étreint lorsqu'on remarche sur les traces de son enfance, que l'on croise à nouveau des lieux qu'on ne croyait revoir et qu'on retrouve des inconnus qui ont à jamais décidé de votre destin.

Je suis heureuse d'avoir pu rencontrer et écouter cette femme qui porte haut et fier la belle force dont le déracinement l'a nourrie. Tout cela me donne envie de découvrir plus avant la littérature de son pays et de ses soeurs de lutte.
Le beau sourire de Sorour est ICI

La Vallée des Aigles    Sorour Kasmaï     Editions Actes Sud

aigle010

 

19 février 2008

Bas les masques !

9782221109625Dans la famille "Tout dans l'apparence", je voudrais... Personne !
C'est la première idée qui me vient en refermant ce livre.
En ce jour anniversaire du patriarche, on a droit à une belle brochette de personnages, puisque toute la tribu est réunie avec femmes et enfants, masques et colifichets Prada, complexes et vanités, rancoeurs et regrets.

Un ange trublion passe, Gabriel, très vieil ami de la famille, et dépose son cadeau enrubanné de mauvais augure.

On prend les mêmes moins un, le patriarche, et on recommence une semaine plus tard pour la grande comédie des funérailles. Les masques tombent, les complexes s'exposent, les vanités se ravalent, les rancoeurs se dévoilent mais les regrets restent.
Mais point de jeu de massacre, non, car chez ces gens-là on cause pas, on compte, et chacun de se confesser dans son coin, avare de partager ses émotions, de protéger ses vérités. C'est moins dangeureux de parler au mort, plutôt qu'aux vivants...

"Puis, gravissant le perron, traversant le hall, je suis entré dans le salon, comme quelques jours auparavant, où je les ai tous retrouvés, mais dans une configuration différente, comme une cellule dont les atomes auraient été mélangés, dans une répartition anarchique des plus et des moins, des noirs et des blancs.
Oui, c'est exactement cela que j'ai ressenti en les voyant, l'anarchie, le désordre, le renversement des valeurs, comme si l'unité et l'harmonie de ta famille avaient disparu en même temps que toi, parce que tu en étais le garant."

Un récit polyphonique, à huit voix, qui apportent chacune leur tour une pièce supplémentaire à ce puzzle double-face. Celui qui inaugure le jeu, en posant la première pierre, détient aussi le pouvoir de faire voler le tout en éclats en tirant prématurément sa révérence.
Bref, une famille pas très sympathique, mais à laquelle, grâce aux dernières pages, j'abandonne tout de même un peu de compassion, et tous mes respects au patriarche...
Roman de la maîtrise, il en va de même pour le style et l'écriture de l'auteur, masculine, concise et pragmatique, sans bavure.

Un grand merci à SOPHIE qui n'a pas craint de faire traverser les mers à ce livre, afin de me faire découvrir son auteur. Je lorgne déjà sur son précédent !
L'avis de TAMARA et de  FLO
Le blog du livre  ICI

De manière à connaître le jour et l'heure   Nicolas Cauchy   Editions R. Laffont

tete_001

 

19 octobre 2007

La vie du moment

9782848050546Dans le mythique Transsibérien, une femme partage ses pensées avec le lecteur.
Elle roule vers Gyl, ancien amant exilé près du lac Baïkal. Leur échange épistolaire s'étant soudainement interrompu, elle décide de partir à sa recherche.
Momentanément, elle laisse derrière elle Clémence, sa vieille voisine du dessous, dont la mémoire défaille et à qui elle passe régulièrement faire la lecture. Les deux femmes partagent, sur le canapé rouge, le goût pour les femmes insoumises et les confidences amoureuses.

"Je pensais à Gyl, à cette maxime tibétaine disant que le voyage est un retour à l'essentiel. Et puis je m'étais tue, absorbée par l'inquiètude qui me poussait si loin, seule.
A quoi pensez-vous ? avait demandé Clémence Barrot.
A quelqu'un, avais-je répondu.
Vous avez de la chance de pouvoir penser à quelqu'un, avait-elle murmuré."

Ce livre fut, pour la contemplative et la nostalgique que je suis, un vrai bonheur.
J'aime cette femme qui voyage seule avec quelques livres et qui regarde défiler les paysages russes, bois de bouleaux, isbas, usines en ruines et gigantesques portraits des dirigeants déchus, paysages auxquels se mêlent sa vie passée, ses utopies révolues, ses amours défuntes, ses affinités liitéraires et son amitié pour Clémence.
J'aime cette idée d'un long et lent voyage ouvert à toutes les rencontres et dont le terminus n'est pas celui que l'on était parti chercher.

"Pendant plusieurs jours, tout se mêle, la pensée se trouble, divague entre deux langues, le monde se déchire, puis peu à peu le voyage trouve sa place dans la mémoire, dans les jours ordinaires, tout s'estompe, reste l'essentiel, ces endroits où les souvenirs vont et viennent et nous entraînent dans des rêveries nomades."

J'aime la fragilité et la disponibilité auxquelles on s'expose lorsqu'on accepte la solitude et que l'on chamboule ses repères.
J'aime ces petits morceaux de soi que l'on laisse chez l'autre ou que cet autre nous abandonne.
J'aime la mélancolie des pensées vagabondes et de ce face à face avec la fin des choses.
J'aime la possibilité de choix parfois inéluctables.
J'ai aimé ce livre qui m'a parlé de tout cela.
Et j'ai aimé la joie d'être triste quand je l'ai eu refermé.

"J'allais bientôt quitter ces rues, ce pays où je ne reviendrais jamais, mais j'étais enfin dans ce bel abandon, cette façon de respirer et de penser différemment dans une ville étrangère, d'être en apesanteur avec le sentiment d'appartenir au monde, à cette humanité rêvée que je cherchais sur les visages, dans la musique de la langue, les gestes, les détails infimes qui nous relient les uns aux autres, malgré tout."

D'autres avis  ICI  et  LA

Le canapé rouge    Michèle Lesbre     Editions Sabine Wespieser

prod1503g

 

24 février 2008

Fantaisie pédopsy !

9782290004494Je ne sais pas ce qui m'a pris d'acheter ce livre.
J'achète rarement des poches dans les éditions "J'ai lu".
Je n'aime pas cette couverture.
Je donne peu dans le genre "paranormal".
J'ai trois kilomètres de pal qui m'attendent.

Une fois commencée la lecture, j'ai lu ce roman d'une traite.
C'est pas d'une écriture renversante, mais comme pour tous ces livres dont l'on sait bien que "ça ne se peut pas", si l'intrigue est bien menée et originale, et bien, on s'assoit sur ces invraisemblances et on tourne les pages sans s'arrêter, surtout si on est en vacances et qu'on peut lire jusqu'à trois du mat !
Evidemment, j'ai surtout apprécié les séances du petit héros chez son psy. C'est drôle et très juste.
L'auteur rend à merveille ce petit truc qui fait que les enfants prennent au pied de la lettre les propos des adultes,vous en livrent une interprétation parfois très fantaisiste, ou s'en font tout un film qui, la plupart du temps, n'a strictement rien à voir avec la réalité. Sauf que des fois...

"Maman m'a détesté avant de m'aimer à cause du premier accident. Celui de ma naissance. Ca s'est passé comme pour l'empereur Jules César. Ils enfoncent un couteau dans la dame jusqu'à ce que son ventre éclate et puis ils te sortent de là, tout hurlant et couvert de sang. Ils croyaient que je n'arriverais pas à sortir normalement."

Louis Drax, enfant précoce de neuf ans à l'imagination fertile, a une facheuse tendance aux accidents. Le jour de son anniversaire, lors d'un pique-nique avec ses parents, il tombe dans un ravin. Malgré la réanimation, force est de constater qu'il ne répond plus; il est déclaré mort. Mais quelques heures plus tard, il se réveille à la morgue, avant de sombrer dans le coma.
Une enquêtrice et un médecin vont se pencher sur son cas.
Des choses de plus en plus bizarres vont se produire...

Voilà, ça mange pas de pain de se laisser prendre par cette histoire abracadabrante, au rythme enlevé et qui se lit comme un polar.
Les critiques parlent de best-seller et un film est en préparation.

FLORINETTE l'a aussi lu.

La neuvième vie de Louis Drax     Liz Jensen     Editions J'ai lu

phrenhead

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>
Publicité

accueil refugiés

logo-madamealu

img_20171130_165406

logo-epg

Newsletter
Publicité