Huis clos
Johannes Betzler naît à Vienne en 1927; il a donc onze ans en 1938 au moment du référendum sur l'Anschluss qui entérinera l'annexion de l'Autriche par le Reich. Il est enrolé dans les Jungvolk, subit endocrinement et entraînement, participe à la Kristallnacht et, les mois et les années passant, gravit les échelons des Jeunesses hitlériennes et devient le parfait patriote fanatisé prêt à donner sa vie pour son Führer, au grand dam de ses parents fortement opposés aux thèses nazies.
Pour Hitler, Johannes ne donnera qu'un bras et la moitié de son visage, et à dix sept ans, il se verra contraint de regagner ses foyers après avoir été blessé par une bombe. Et là, quelle n'est pas sa surprise de constater que ses parents cachent une jeune Juive dans leur grenier. Commence alors une partie de cache-cache et de non-dits entre lui, sa famille et Elsa Kor, personne ne disant qu'il sait et qu'il sait que l'autre sait. Un parfait cocktail pour faire germer dans l'esprit de Johannes, déjà fortement perturbé par sa pré-adolescence et ses mutilations, puis d'instaurer dans la réalité une curieuse relation mêlée de répulsion et de fascination avec la belle Elsa.
La fin de la guerre verra la famille de Johannes décimée et le laissera seul avec sa grand-mère dans leur grande maison où va se jouer désormais un étrange huis-clos, puisque Johannes n'avouera jamais à Elsa que l'Allemagne a été battue...
"Le danger du mensonge, ce n'est pas sa fausseté, son irréalité, mais au contraire le fait qu'il devienne réalité pour autrui. Il échappe au menteur comme une graine lâchée au vent, d'où germe une vie autonome dans un recoin inattendu, jusqu'à ce qu'un beau jour, le menteur se retrouve confronté à un arbre solitaire dont la vigueur se dresse au-dessus d'un à-pic vertigineux, un arbre qui le sidère autant qu'il l'éblouit. Comment s'est-il retrouvé là ? Comment réussit-il à survivre ? Sa solitude confère une grande beauté à ce fruit d'un mensonge, stérile et pourtant vert et gorgé de sève."
Récit d'une descente aux enfers de deux esprits perturbés pris dans une spirale infernale où les rôles peuvent bien s'inverser et l'amour remplacer la haine, ce livre est aussi un précis clinique sur le sentiment d'emprise, généré par la claustration tant physique que psychique. La dépendance réciproque, du bourreau et de sa victime, à une relation perverse que le temps se charge d'entretenir et de transformer, nous est ici narrée d'une plume suffisamment habile pour contraindre le lecteur à tourner les pages et assister à la douce violence de cette folie.
Point de torture physique dans ce roman, il y a même quelques pages d'humour grâce au personnage de la grand-mère, juste une subtile mais inéxorable mécanique de perversion décrite du point de vue du bourreau.
J'aurais aimé que le récit donne alternativement voix aux deux protagonistes de cette histoire afin de peut-être trouver la réponse à l'inévitable question, qui est la véritable victime ?
Le ciel en cage Christine Leunens Editions Philippe Rey