Pissenlits et petits objets
Rencontre d'un jeune muséographe et d'une vieille femme aux oreilles mutilées, au dentier toujours sur le point de fuser dans un nuage de postillons, à l'élocution souvent entravée par des amas de glaires qu'elle crachouille dans son mouchoir, au front décoré d'un magistral furoncle qui suinte de pus en permanence... (euh, vous êtes peut-être sur le point de passer à table ? désolée !)
Donc cette charmante créature, qui bien sûr est en général d'une humeur de chien, a la drôle d'idée de transformer son manoir, lugubre et délabré évidemment, en musée. Très jeune, elle a chopé une chouette marotte, à savoir dérober sur les morts un objet leur appartenant. Vu son grand âge, vous imaginez bien le nombre de trépassés qu'elle a croisé et le bric à brac qu'elle a ainsi amoncelé.
"Ce que je vise, c'est un musée qui transcende l'existence humaine. On trouve la trace miraculeuse de la vie même dans un déchet sans aucun intérêt de légume pourri au fond d'une poubelle, c'est quelque chose qui enveloppe fondamentalement les richesses de ce monde... Bah, il est sans doute inutile d'essayer d'expliquer plus avant."
Ajoutez à cela un monastère où vivent des prédicateurs de silence qui, lorsqu'ils enfreignent la règle, se collent la langue sur un bloc de glace jusqu'à s'en arracher les papilles, des bisons des roches blanches, un attentat et un meutrier qui découpe en rondelles les seins de ses victimes.
Heureusement, la plume de l'auteur sauve le lecteur de cette atmosphère glauque. Comme par magie, émergent çà et là des petites soupapes de poésie, des sas qui permettent de respirer un peu d'air pur et de se débarasser des miasmes putrides qui suintent tout au long des pages. Comme la fête des Pleurs, par exemple (bon d'accord, c'est pas gai-gai...).
"Vous allez voir quand la procession va commencer. Les habitants défilent à travers le village en pleurant. En fait, ils font semblant, mais quand même. En tête, il y a la princesse des larmes qui pleure avec plus d'exagération, de douleur et de tristesse possible, en brandissant une branche d'aubépine. On croit que ça fait peur à l'hiver qui va reculer."
L'auteur est fidèle à elle-même, elle patauge avec allégresse dans le morbide, le malsain et l'étrange tout au long de cette allégorie de la mémoire et de la transmission. Elle a su me contraindre à lire jusqu'à la dernière page ce curieux récit. Mais j'avoue avoir préféré de loin La petite pièce hexagonale. Courageusement, après une pause plus ou moins longue, je poursuivrai quand même la découverte de cet auteur.
Après ça, je ne suis pas sûre que MUSKY, que je remercie pour le prêt de ce livre (mais qui ne l'a pas encore lu), se précipite dessus !!! Ce n'est pas l'auteur que je te conseillerais pour découvrir la littérature japonaise...
Le musée du silence Yoko Ogawa Editions Actes Sud Babel