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Le Souk de Moustafette
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23 février 2011

Un sacré souffle !

31bVqoMaP7LLa vie va comme elle peut pour la famille Batov dans la bonne ville de Léningrad, c'est à dire aussi bien qu'il est possible dans l'URSS des années brejnéviennes. Andreï grandit dans une famille unie d'honnêtes travailleurs, se découvre très vite un goût pour la musique, les filles et la vodka, se voit refuser l'entrée aux Jeunesses Communistes et par la même se fermer les portes des grandes écoles. Enfin un jour la Perestroïka est en marche, puis en 1991 l'URSS se disloque, Elstine succède à Gorbatchev, Léningrad redevient Saint-Pétersbourg, le service militaire appelle Andreï, son frère aîné émigre chez l'ennemi juré à Los Angeles et son père décède.

"Je marchais et je me jurais que je ne me marierais jamais, que j'obtiendrais à tout prix mon indépendance matérielle et spirituelle, que je me libérerais des préjugés et des lieux communs ambiants, que je ne laisserais plus jamais personne mener la danse à ma place, et que je ne me soumettrais jamais à l'idée même de dépendance et de manque de liberté.
Mon vingt-troisième anniversaire m'avait apporté une révélation : ma liberté, ma liberté individuelle, était ce que j'avais de plus précieux. Et que ça valait le coup de lutter pour elle et de continuer à vivre, même si on est en prison, même si tout le monde autour porte des fers et ne connaît la liberté que par ouï-dire."

Joli serment mis à mal lorsqu'il découvre qu'il est père à son tour sans l'avoir vraiment décidé. Déboussolé, une opportunité se présente à lui quand des hommes d'affaires chinois venus dîner dans le cabaret où il se produit lui proposent un pont en or sous la forme d'un contrat. Andreï s'engage pour six mois et part égayer les soirées de restaurants chics dans la région automne du Xinjian.

A partir de là, on s'embarque pour un road-movie hallucinant.
 

Atteindre le pays Ouïghour s'apparente déjà au parcours du combattant version bataillon de joyeux camionneurs. A côté Le salaire de la peur, c'est du gâteau. Nous voilà sur des routes où culminent des cols à 5000 m d'altitude traversant des paysages grandioses, convois bloqués pendant des semaines entre deux tempêtes de neige et propulsés dans le quotidien du peuple Kirghize loin des sentiers battus des agences de voyages.

"Nous avons mis une bonne heure à gravir la pente de trois ou quatre kilomètres. Youra s'est arrêté au sommet, il est sorti de son véhicule, et a donné un coup sur chaque roue. Moi, le temps qu'il accomplisse son rituel païen, je regardais le paysage, dans le fond. J'en avais le souffle coupé ! Le convoi, comme un serpent de toutes les couleurs, avançait dans la montée, les véhicules espacés à intervalles réguliers, et personne autour ! Rien que des montagnes et des montagnes, de la neige, du vent qui vous siffle dans les oreilles, hurle, vient se heurter contre la bâche du camion, ricoche et repart vers les cimes lointaines, glacées et étincelantes. Et machinalement, on est pris d'admiration pour ces gens, la cigarette au bec et le sourire moqueur, ils nous dépassent en klaxonnant, heureux, Dieu soit loué, d'être encore en vie, et ils continuent à grimper, à grimper en faisant crisser leurs pneus."

Arrivé sain et sauf à Kachgar, ancienne étape de la mythique route de la soie, Andreï se paye du bon temps au frais de la princesse. Puis direction Urumchi, la capitale régionale, où il attaque sérieusement son boulot et la vie dorée des expats qui va avec. Il devient même une star locale, enregistre un disque et rempile pour un an, fréquente une faune hétéroclite qui mêle mafieux, personnages troubles du contre-espionnage ou simples quidams. Se familiarisant avec les us et coutumes locales, il tente de composer entre son statut de privilégié et une certaine réalité chinoise qui donne rarement bonne conscience. Le jour où il tombe amoureux d'une jeune Ouïghoure il apprendra qu'en Chine, star ou pas, on ne décline pas impunément le mot "liberté" à toutes les sauces. Et celle à laquelle il sera assaisonné sera plus aigre que douce...

Si vous voulez du dépaysement et de l'aventure, jetez-vous sur ce bouquin qui renferme tout cela mais bien plus encore !

L'auteur nous fait partager sa bonne connaissance des cultures qui composent ce continent enclavé qu'est l'Asie centrale. Il nous livre un témoignage qui fait le grand écart entre la jeune Russie indépendante balbutiante, le pays Ouïghour écrasé par une Chine expansionniste à l'affût des ressources pétrolières - prétexte à une politique de la table rase (et pas seulement depuis les émeutes médiatisées de juillet 2009) proche de celle mise en oeuvre au Tibet -  et enfin les grands espaces sauvages et inhospitaliers situés entre l'ouest de ce Turkistan oriental baillonné et le Kirghizistan indépendant où Andreï terminera son périple dans une fuite éperdue, tour à tour cauchemardesque et magique.

C'est aussi un livre magnifique sur l'amitié qui lie des hommes rudes malmenés par l'Histoire. Si le ton est dans son ensemble plutôt léger, genre cigarettes, vodka et p'tites pépées, l'auteur à l'art de nous décocher des coups de poings en pleine face quand on s'y attend le moins, nous assénant de cruelles réalités.

"Les Chinois disent qu'on peut toujours se sortir d'une impasse. Au fond, il suffirait de se retourner et reprendre le chemin inverse, or on est habitué à aller de l'avant uniquement, parce qu'on a les yeux sur la figure, et pas sur le cul. Quand on se trouve dans une impasse, on craque, on s'affole, on perd le moral, alors que les Chinois se dirigent tout simplement vers la sortie. J'ai compris le sens de cet adage au lever du jour, c'est ce qui a été mon satori, mon illumination. Je me suis tout bonnement évanoui. C'était une issue comme une autre, n'est-ce pas ?"

Le narrateur réussira-t-il à rester fidèle à son serment ? En tout cas il tentera de trouver la Voie qui y mène et ne rentrera pas au pays tel qu'il en est parti. J'avoue que la dernière partie m'a secouée. Un sentiment de malaise m'est tombé dessus et, bien que déjà vigilante à limiter tout ce qui est estampillé made in China, je me suis mise à regarder d'un air triste les enceintes de mon ordinateur, sentant s'échapper, en même temps que la musique, le souffle chaud du Taklamatan.

Lisez ce livre, faites-le connaître, réclamez-le à vos libraires, que la voix de ces peuples lointains se fasse entendre haut et fort grâce à l' auteur qui réussit là un joli coup bien peu médiatisé.   

Une autre critique et un tas d'autres choses à y lire
Et pour en savoir plus allez faire un tour  ICI
 

Le Tao du saxophoniste      Andreï Batov     Editions  Mon Petit Editeur


Une petite chronique instructive


 

ouighour

 

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Commentaires
M
@Karine, on lit peu d'expériences de ce genre, à ne pas manquer.
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K
Wow, ton enthousiasme est communicatif. Ca semble tout à fait jubilatoire, ce roman.
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M
@Taka,j'aime mieux pas imaginer ce que les américains feraient de ce roman...
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T
la seule façon pour moi de lire des livres histoire-géo c'est par le biais de romans avec des personnages;Et il a l'air intéressant d'aprés ton résumé .Bon,je note (à lire entre deux feuilletons US ???lol )<br /> bon week end
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M
@Lanceleau, la pluie donne bonne conscience aux lecteurs compulsifs qui peuvent ainsi rester chez eux au coin du feu à bouquiner tout leur soûl!<br /> Bon week end quand même.
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