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Le Souk de Moustafette
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20 février 2012

Requiem

9782330002282Du Turkménistan au Kazakhstan, il n'y a qu'un pas, enfin tout est relatif étant donné l'immensité de ces contrées...
Au sud-ouest du Kazakhstan s'étend la mer d'Aral qui forme en son milieu une frontière naturelle avec l'Ouzbékistan situé au sud. Je devrais écrire à l'imparfait vu ce qu'il en reste...

"On s'habitue aux fins du monde quand soi-même on considère la vie comme un purgatoire."

Alexeï et Zena sont deux jeunes Kazakhes nés en 1960 à Nadezhda, sur les bords de la mer d'Aral. Au fur et à mesure qu'ils grandissent, la mer, elle, diminue. Et plus elle se rétrécit comme peau de chagrin, plus leur amour s'accroît. A l'école, Zena est douée en mathémathiques, elle deviendra scientifique dans un laboratoire de recherche, Alexeï n'est doué en rien si ce n'est en musique, deviendra-t-il musicien malgré la surdité qui commence à le frapper à l'âge de dix ans ? Oui, et ce handicap ne l'empêchera pas non plus d'épouser Zena en 1982. Mais pendant que Zena, de par son travail, se tourne de plus en plus vers l'extérieur, Alexeï s'enferme sur lui-même, se recentre davantage sur son violoncelle et sur sa musique intérieure à la recherche de la huitième note. Il reçoit un jour une proposition de l'opéra d'Almaty. Le départ de Zena pour l'étranger et son propre projet d'opéra font prendre à sa vie un nouveau tournant.

"On s'est rhabillés dans la lumière de la nuit, sous les yeux des constellations enfilées comme des perles autour du cou du ciel voyeur. Sur la plage, j'observais nos corps gris qui ressemblaient à de la pierre ponce."

Zena et Alexeï ne font qu'un avec leur terre, terre qui n'a jamais si bien porté ce nom puisque l'eau découvre un peu plus chaque jour des étendues sableuses salines, stériles, empoisonnées. Même les recoins les plus pollués leur sont chers et c'est avec horreur qu'on découvre au fils des pages le sort réservé à cette population de pêcheurs qui paye un lourd tribut au nom de la grandeur de leur patrie qu'est encore l'URSS.  Zena mettra à profit son travail pour lutter contre la catastrophe, Alexeï aura plus de difficultés à résister à cet anéantissement.

J'ai beaucoup aimé toute la partie qui concerne la triste réalité de cette région et les relations que les deux personnages entretiennent avec cette immensité désolée qui s'ouvre devant eux. L'écriture de l'auteur, que je lis pour la première fois, compose avec finesse une bien jolie dentelle avec les sentiments et les éléments, et l'on ressent qu'intrinsèquement la terre façonne les hommes et les caractères. J'ai eu plus de difficultés à suivre l'évolution intérieure d'Alexeï, son enfermement, ses suspicions, ses revirements sont parfois assez incompréhensibles même s'ils sont inévitablement inhérents à son handicap. Par contre, ce roman nous offre de très belles réflexions sur la musique, sur le ressenti qu'en a ce musicien sourd et les ressources qu'il y puise. Il fallait oser cette approche et elle est plutôt réussie.

"Toutes les névroses, toutes les peurs, toutes les angoisses viennent de l'attente, de l'épuisement de ce travail de titan qui consiste à émettre des sons dans la béance des vides, à colorer les trous noirs de la mémoire, à inventer des dialogues, des causeries magnifiques, des chuchotements aimants, là où, à l'origine, il y a l'absence de tout."

Une très originale digression sur le vide d'un paysage qui renvoie au vide d'une vie.

Pour info, la mer d'Aral est bientôt scindée en trois. La petite mer d'Aral, au nord côté Kazakhstan est en train de renaître, le niveau est remonté, différentes espèces de poissons réintroduites, les petits ports revivent. Plus au sud, notamment en Ouzbékistan, la mer continue à s'assécher, le pays refusant de réduire la culture du coton qui est une des principales industries du pays. La seule heureuse surprise de cette catastrophe est venue des archéologues qui ont mis à jour sous les fonds découverts des vestiges de civilisations anciennes et florissantes, notamment au niveau des cultures (céréales diverses), ce qui tend à prouver qu'au cours des millénaires passés la mer d'Aral s'est retirée déjà à plusieurs reprises. Son assèchement actuel ne serait donc pas uniquement dû au détournement des fleuves qui l'alimentaient mais pourrait  avoir aussi des causes géologiques, notamment des mouvements des sols qui empêcheraient la porosité des roches et l'alimentation via la mer Caspienne toute proche (la mer d'Aral est un lac salé). Il n'en reste pas moins que l'île de Vozrozhdeniya, où Zena et Alexeï s'aventurent, fut une des bases secrètes soviétiques où se retrouvèrent stockées des armes bactériologiques et chimiques. Tous les déchets n'ont pas été évacués et sont conservés dans des conditions lamentables d'où la contamination des populations et des sols évoquée dans le roman.   

Les photos magnifiques mais terribles de Lukasz Kruk  LA

Aral     Cécile Ladjali     Editions  Actes Sud

 

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Commentaires
M
@Karine, je ne sais pas lequel tu as lu mais les thèmes de ses autres livres ne m'attirent pas plus que ça. Là c'est vraiment le lieu du roman qui a motivé mon achat, c'est plutôt rare qu'on parle de cette région sinistrée.
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K
J'ai déjà lu un roman de l'auteur, qui m'avait plu. Du coup, ce thème me tente également.
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M
@Clara, je ne dirais pas dur non, mais tantôt âpre, tantôt brûlant, comme le paysage.<br /> <br /> @Aifelle, même si c'est tardivement le Kazakhstan à pourtaant réussi à limiter les dégâts en ce qui concerne la petite mer d'Aral. Des équipes américaines sont aussi venues décontaminer en partie l'île où étaient entreposés les déchets toxiques, des petites victoires...<br /> <br /> @Margotte, je ne la connaissais pas mais je dois dire que le thème de ses autres livres ne me tentent pas spécialement, mais j'ai bien aimé son écriture.
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M
Le sujet m'intéresse beaucoup (j'ai vu de nombreux reportages à ce sujet), en revanche, j'ai un vrai problème avec l'auteur... La demoiselle m'irrite et je n'aime pas son écriture, mais pas du tout (j'ai lu Ordalie et des extraits de deux ou trois autres romans) :(<br /> <br /> Bonne journée à toi
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A
J'ai un peu le même avis que Kathel. Les empires s'effondrent, mais les dégâts qu'ils ont fait continuent à se perpétuer à l'infini .. et personne ne paiera pour çà.
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