Kahlo maman bobo...
Frida Kahlo mourut le 13 Juillet 1954, elle n'avait que quarante-sept ans et j'ai presqu'envie de dire tant mieux.
Curieuse façon de commenter cette biographie par la fin, mais la douleur est si omniprésente tout au long des pages que j'ai été soulagée quand elle cessa définitivement. Cela a sans aucun doute à voir avec un seuil de tolérance bien bas face à la souffrance physique et à l'angoisse que provoque en moi toute atteinte à mon intégrité corporelle...
Frida Kahlo a su, elle, vivre avec ces deux lourds fardeaux pendant vingt-neuf ans, s'en nourrir et réussir à les sublimer de façon souvent violente dans sa peinture.
Je ne vous ferai pas un résumé de sa vie, vous pourrez en lire un excellent chez Ys ICI . J'aurai plutôt envie d'associer des images au parcours de cette femme car, comme elle le souligne elle-même, on lit à travers ses toiles comme à livre ouvert. Je m'attarderai donc plus sur certains aspects de sa personnalité à jamais marquée par son terrible accident survenu à l'âge de dix-huit ans et sans lequel son oeuvre aurait sans doute été toute différente. La poliomyélite l'avait déjà atteinte lorsqu'elle était enfant, lui laissant une jambe et un pied atrophiés qu'elle dissimulera en s'habillant d'abord en garçon avant d'opter pour les jupes longues.
Femme narcissique par excellence, on le serait à moins quand on entre dans la vie adulte mutilée de la sorte, mutilations qui se répèteront jusqu'à son décès. Centrée sur elle-même de par la douleur et l'immobilité, de longs mois alitée, Frida Kahlo commence à peindre en se regardant dans un miroir et reviendra d'ailleurs souvent à cette technique, d'où les immombrables autoportraits qui jalonneront son oeuvre. La raideur de ces portraits répond sans doute à la rigidité de sa colonne vertébrale et aux nombreux mois où son corps s'est retrouvé enfermé, et ce à plusieurs reprises dans sa vie, dans divers corsets de plâtre, de cuir, de fer. Ces instruments de torture deviendront parfois des supports comme sur le cliché ci-contre.
Rien d'étonnant donc à retrouver sous son pinceau des corps morcelés, des organes, du sang, ce dont se sont rapidement emparés les surréalistes pour la ranger dans leur camp. Or, s'il y a bien une peinture qui n'a pas à voir avec l'inconscient, c'est bien celle de Frida Kahlo. Elle est bien au contraire réaliste, d'un hyperréalisme naïf empreint de couleurs, d'ex-votos et de figures de la culture pré-colombienne. Comme elle le dit elle-même "je n'ai peint que ma réalité", pas celui des ses rêves qui d'ailleurs s'apparenteraient plutôt alors à des cauchemars . Et sa réalité est tout simplement hystérique, dans le sens de ce qui touche au corps.
Si Frida Kahlo met son corps en scène sur ses toiles, il en va de même dans la vie. Elle n'est pas loin elle-même de l'oeuvre d'art ambulante. Elle n'aura de cesse d'embellir ce corps mutilé amassant les tissus, les bijoux, les couleurs, brandissant cette hyperféminité comme un charme face à la malédiction qui la frappe et lui refuse aussi l'aboutissement naturel qu'est la maternité, surtout à cette époque.
Si Frida Kahlo fut une femme au caractère bien trempé, elle n'en fut pas moins ambiguë, notamment face à la maternité, ce que ne pointe pas le livre qui aborde le problème de ses grossesses impossibles, entre fausses couches et avortements, sous un angle univoque qui en fait une victime passive. Diego Rivera n'était pas du genre à assumer ses paternités et la vie qu'ils menaient tous les deux n'était pas des plus stables aussi est-il probable que Frida fut plus qu'ambivalente fasse à ce désir d'enfant et ne mit pas toujours toutes les chances de son côté pour voir aboutir ce projet.
Rivera avait vingt ans de plus qu'elle et s'il reste l'homme auquel elle attache sa vie, elle se comporta face à lui plus comme une mère supportant les frasques de son fils adoré, ici un peintre génial mais un être peu ragoûtant et égoïste, dont elle accepta la demande de divorce pour mieux le remarier peu après ! Ce couple fait penser à la Belle et la Bête, mais la bête resta bête et fit, après celle que lui infligeait son corps, une douleur profonde qu'elle cultiva et entretint jusqu'au bout. Elle préféra s'oublier dans les bras de femmes jeunes (des miroirs aux corps parfaits ?) ou ceux d' hommes plus âgés (encore) , sans doute pour éprouver son pouvoir de séduction, mais plus sûrement pour tromper sa solitude face à l'amour fusionnel que lui refusait son mari.
Malgré tout, l'esprit bouillonnant de Frida Kahlo trouva à s'épanouir dans l'effervescence de son pays, exhultant dans les fêtes et la vie artistique et sociale de l'époque. Si certains ouvrages en font presque une icône politique et féministe, celui-ci opte plutôt pour un engagement se calquant sur celui de son mari. Elle trouve d'ailleurs laborieux les discours idéologiques et les intellectuels français en prennent pour leur grade. Même si elle a plus de scrupules que Rivera à jouir des largesses sonnantes et trébuchantes de la célébrité, notamment nord-américaines, elle ne le quittera pas pour autant. Sa soumission amoureuse à l'ogre Rivera peut trouver des racines dans une forme de masochisme issu de la fréquentation assisdue de la douleur, mais elle s'enracine sans doute aussi dans la relation très proche qui s'instaura dans l'enfance entre son père et elle et qui se renforça encore lors de son attaque de polio. A noter que cet homme, photographe et dessinateur, souffrait d'épilepsie, comme la mère de Frida qui manifesta aussi ce qui ressemble fort à des crises hystériques. De plus, Frida est née juste après la mort d'un frère qui laissa sa mère dépressive au point de la confier à une nourrice qui se révéla alcoolique. Tout cela augure de l'inscription de Frida Kahlo vers le côté obscur de la vie et peut-être aussi de l'amour. Son acharnement à se faire aimer de Diego Rivera, et à supporter les tourments qu'il lui infligea, la place difficilement en tête du cortège féministe... Son anticonformiste et la liberté avec lesquels elle a mené sa vie, soutenue en cela par la figure de Diego Rivera et dans un Mexique très pratiquant, n'en font pas moins un personnage d'avant-garde.
"Avant de créer son propre paradis, il faut savoir puiser dans son enfer personnel."
Au Mexique la mort est une fête, aussi, après cette biographie à rebrousse-temps, je laisse la place à la peinture et notamment à une des dernières oeuvres de Frida Kahlo qui s'inscrit dans les nombreuses natures vives que lui inspira la luxuriance de son Mexique tant aimé.
L'étreinte amoureuse de l'univers, la terre, moi, Diego et monsieur Xolotl
(1949)
Je remercie pour ce livre qui constitue une bonne entrée en matière et donne envie d'aller glaner d'autres sons de cloche car, c'est bien connu, les biographies invitent toujours à polémique... Celle-ci a l'indulgence de l'amoureux pour sa belle, et apparemment Gérard de Constanze l'aime énormément, ce qui à le désavantage de porter Frida Kahlo quasi au rang de sainte. Un portrait un peu plus nuancé n'aurait pas nui à la diablesse qu'elle était !
Frida Kahlo La beauté terrible Gérard de Cortanze Editions Albin Michel