Caryl en Sibérie
Caryl Férey aime voyager, rigoler, picoler, c'est bien connu.
Et même si ces trois activités sont plus agréables à pratiquer dans l'hémisphère sud où ses pas le mènent le plus souvent, il n'est pas sectaire. Quand on lui propose d'aller faire un petit tour au nord de la Sibérie, il n'hésite pas longtemps. L'exotisme polaire a aussi ses charmes, particulièrement la ville de Norilsk où il n'est pas donné à tout le monde de pouvoir séjourner, autorisation du FSB oblige... D'ailleurs on se demande comment l'énergumène qui accompagne l'auteur, le bien nommé La Bête (qui lui a inspiré le personnage de Mc Cash dans " Plutôt crever" et " La jambe gauche de Joe Strummer"), une espèce de cyclope brut de décoffrage porté sur la bouteille et le pétard, a pu passer à travers les mailles du filet des services secrets...
"Il faisait près de -20°C avec le soir, et le vent sur les hauteurs de la ville semblait d'accord pour nous casser la gueule."
Ben oui, on n'allait pas l'envoyer là-bas en plein été... On est en Avril, mais le printemps n'est pas encore au programme. Mais qu'importe, dans ce trou du cul du monde, un des plus pollués sur terre, là où se concentrent des richesses géologiques qui font le bonheur des oligarques et le malheur de la planète, il fait chaud dans les bars et dans les coeurs quand bière et vodka coulent à flots et que copinent français, mineurs, ingénieurs et descendants des Zeks qui ont construit ce petit paradis du temps du Goulag.
"J'entends des voix chagrines se lamenter devant ce triste constat : Ah ! Envoyer un écrivain avec son débile de copain dans une ville interdite de Sibérie pour qu'il nous raconte ses soûlographies, bravo ! "
Certes, l'éditeur avait sans doute de l'argent à placer quelque part, et pourquoi pas là-bas, hein ? Certes, l'auteur n'avait pas besoin d'aller à Norilsk pour nous livrer les informations désastreuses, mais au demeurant passionnantes, qui sont issues de ses recherches sur internet, certes il nous manque des photos qu'était censé prendre La Bête, certes, certes... Mais qu'est-ce qu'ils se sont amusés ! Et nous on n'aurait jamais su que tous ces gens merveilleux existent, fiers qu'ils sont de farfouiller dans les entrailles de la terre mais, surtout, fiers de ne pas être que ça.
" Regarde ! plaidait-il. On travaille tous à la mine mais je suis photographe, Dasha est graphiste. Tu as bien vu : on est poètes, musiciens, dessinateurs, peintres, comédiens, ingénieurs du son, violonistes ! Il n'y a pas de marché ici pour qu'on en vive, Norilsk est trop loin de tout, l'art est un hobby, on n'a pas le choix, mais on le vit à fond, en le partageant avec les autres. C'est aussi et surtout ça, Norilsk... Je t'en prie, dis-le dans ton livre : dis-leur que notre ville mérite mieux que ça. "
Le message est passé.
Caryl Férey adore voyager, picoler, rigoler. Mais avant tout, il aime rencontrer les gens. Un livre drôlement émouvant qui se lit très vite, trop vite. C'est comme recevoir un vieux copain à son retour de voyage et l'écouter raconter ses frasques autour d'une bonne bouteille. Ne vous en privez pas, vous passerez une bonne soirée !
Un reportage en images ICI
Le site de la photographe Elena Chernyshova pour le plaisir des yeux.
J'ai extrait ces 4 photos de sa magnifique exposition qui est passée par Brest en 2015. La couverture du livre en est issue, ce qui n'est mentionné nulle part grrrr...
Days of Night/Nights of day Ici
Anna Vasilievna Bigus, déportée à 19 ans, 10 ans de goulag, n'est jamais repartie
La plus grande avenue de Norilsk, 2,5 km, construite par les Zeks
Un jardin à l'intérieur, forcément
Atmosphère atmosphère...
Norilsk Caryl Férey Editions Paulsen