Applaudissements...
Pour ce court roman qui s'inscrit dans le cycle des Banlieusards ou "Chroniques légendaires de gens sans importance à la fin des années 1970".
Sur un ton faussement désinvolte l'auteur nous raconte la vie, la mort de Serge Gautier.
Nous faisons sa connaissance à l'âge de cinq ans lorsqu'il emménage dans la banlieue parisienne, dans le petit village de Sarcelles, où ses parents s'installent avant guerre. Le père est ouvrier métallo, militant communiste, la mère, rouge elle aussi, travaille à domicile comme couturière. Pour Serge, les jours s'écoulent entre la découverte de la liberté à la campagne, les jeux et petites guerres entre bandes de gamins, les visites des oncle et tante de Savigny sur Orge, sur fond d'atmosphère militante générée par les parents et leurs camarades. La famille s'agrandit avec l'arrivée d'une petite soeur, Janine, et d'une petite cousine, Jeanne dont il tombe éperdument amoureux. Mais déjà "Serge préfère voir que faire" puis "a toujours l'air de se foutre de la gueule du monde" et enfin "Serge arrête de te conduire dans la vie comme si tu étais tout le temps au théâtre".
Et puis la guerre chamboule ce bel équilibre, le père est arrêté, déporté. La communauté résiste puis soutient la famille quand il s'avère que le père ne reviendra pas. Fils modèle, Serge endosse le rôle d'homme de la famille, tout en poursuivant ses études. Il traversera ces années et ces épreuves un pied dans la réalité, un autre dans un monde imaginaire où la vérité se travestit au gré de ses angoisses et de ses craintes. Fils de héros, il rentre lui aussi à l'usine. C'est le temps de la camaraderie, du militantisme obligé en mémoire du père, des histoires d'amour. Mais à vingt ans, une tuberculose inopinée le libèrera de tout cela. Et à trente, c'est sa mère, avec laquelle il vit toujours, qui l'abandonnera, lui permettant ainsi de larguer la dernière amarre. Et toujours "Serge préfère voir que faire" et "Serge arrête de te conduire dans la vie comme si tu étais tout le temps au théâtre".
Continuant sur sa lancée, Serge persistera à rester spectateur de la vie des uns et des autres, de la sienne aussi et du monde qui se transforme. Jusqu'au bout, il refusera l'engagement. Il ne deviendra acteur qu'à l'approche de la mort. "Parce que je ne suis pas sûr d'avoir choisi ma vie, alors j'aimerais bien choisir ma mort."
J'ai trouvé émouvant le récit de ce passager de la vie ordinaire, sans attaches, complaisant, traversant le temps en dilettante pour se confronter enfin à la question primordiale de sa finitude, sans jamais lâcher ses béquilles imaginaires qui l'ont aidé à tenir debout et à arriver jusque là.
Le spectateur Daniel Zimmermann Editions Actes Sud Babel