Encore un petit voyage en Grèce !
Grâce à ce court roman qui se passe sur l'île de Naxos.
Eleni, la quarantaine passée, y est née, elle y vit avec son mari et ses deux enfants et y travaille comme femme de chambre. La vie s'écoule rythmée par les saisons, les papotages avec les copines et les rencontres furtives avec les touristes de passage dans le petit hôtel où elle travaille. En réalité, des touristes, elle n'en voit surtout que les affaires qu'ils laissent traîner dans leurs chambres.
Le séjour d'un couple parisien dans la chambre 17, va chambouler la vie d'Eleni.
D'abord il y a la langue française. " Ses mots dansaient sur un parquet ciré, faisant de petites arabesques, des courbettes, se saluant, tirant des chapeaux invisibles dans un frémissement de satin et de tulle. Ce déploiement ailé de danseurs d'opéra pour demander le sel ou s'enquérir du temps, n'était-ce pas le comble du luxe ? ".
Puis il y a l'Eau sauvage de Dior dont se parfume le Parisien de la 17. Pour Eleni, ce parfum, de par son qualificatif, est le symbole de la liberté. Car en secret, elle rêve des Champs Elysées !
Et enfin le comble du raffinement à la française, c'est cet échiquier et tous ces pions, jeu que ne connait pas Eleni.
Un jour, elle fait tomber une des pièces qu'elle ne sait où replacer. Et c'est là que commence la longue route qui mènera Eleni vers l'émancipation.
Le jeu d'échecs permettra à la jeune femme de se révéler à elle-même. Elle trouvera en elle des ressorts insoupçonnés pour apprendre, jouer et perfectionner ce qui deviendra une passion dévorante. " Elle fut frappée par l'agilité de la reine. Pièce redoutable par excellence, elle régnait sur la partie avec ses avancées rapides et ses capacités multiples. La seule figure féminine avait donc tous les pouvoirs. Cette idée subversive plut à Eleni. Elle faillit éclater de rire."
L'auteur décrit à merveille la vie en vase clos que connaissent les îliens. Les commérages et les rumeurs que l'on colporte et amplifie; les fâcheries et les points d'honneur que mettent certains à s'ignorer alors qu'ils se croisent chaque jour; les stratagèmes que l'on déploie pour préserver un peu de son intimité; le regard et l'opprobre de la communauté qu'il faut affronter s'il vous vient l'envie de vous écarter des chemins tout tracés ou l'idée de transgresser les règles de vie, etc, etc...
Une tendresse particulière pour un personnage secondaire ? Oui, pour Kouros, le vieux professeur d'Eleni, amateur d'opéras, et qui deviendra son complice. " Par goût ou par paresse, il ne voyait plus grand monde. La solitude assumée, c'est la liberté, avait-il décrété. Il avait réussi à apprivoiser la solitude, à la faire sienne. Etre son unique interlocuteur était somme toute assez agréable. Il avait acquis ce privilège de ne plus s'ennuyer en société. Il pouvait enfin faire l'école buissonnière au lieu de se rendre à des réunions mondaines. Pour faire sa vie en tant qu'ours, il faut avoir les moyens ! "
Le portrait de Panis, le mari d'Eleni, est d'une justesse toute machiste. Et méfiez-vous aussi des bonnes copines !
Bref, un livre simple, vrai et intelligent, pour nous conter le tout petit combat d'une femme, qui peut nous paraître à nous, femmes émancipées, bien dérisoire. Le tout servi sur un plateau fleurant bon l'ouzo et le café frappé, les dolmades et les baklava dégoulinants de miel !
La joueuse d'échecs Bertina Henrichs Editions Liana Levi