Une adresse à noter
pour une halte chez trois familles de Budapest chamboulées par la guerre, et poursuivies par le fantôme d'un des leurs, bien après que les armes se soient tues.
Balint, Irèn, Blanka et Henriette sont les enfants qui vont grandir ensemble puisque leurs parents sont voisins et que leurs jardins communiquent. Les trois filles sont toutes amoureuses de Balint, mais un lien particulier se nouera entre ce dernier et Irèn, les menant jusqu'aux fiancailles.
La fête sera interrompue par l'arrestation des parents d'Henriette. A partir de ce jour, un enchaînement de faits guidés par les sentiments des uns et des autres, conduira les membres de ces familles au bord du gouffre, et Henriette verra sa vie s'achever alors qu'elle n'a que seize ans.
"1952, pensa Henriette en accompagnant Balint, et elle hésita un instant à rester près de Blanka dont elle ne pouvait comprendre ni la démarche, ni l'attitude. Je ne comprends pas un mot de tout cela. Que vous faites-vous l'un à l'autre ? Qu'est-ce que cela signifie ? Si j'étais en vie, j'aurais vingt-quatre ans à présent."
Mélange de voix, celles des vivants et des morts, pour nous narrer ce drame et les conséquences du silence qui l'entoura. Conséquences qui se déploieront par capillarité sur chacun, petites rigoles serpentant dans la vie à venir, se transformant parfois en lames de fond au gré des événements et des émotions.
C'est un livre magnifique qui m'a tenu éveillée jusqu'à une heure avancée de la nuit.
Le début est un peu déroutant, aussi ne cherchez pas à comprendre qui parle, ni où vous êtes, ni à quelle époque. Laissez-vous entraîner, tout s'éclaire par la suite. Ce procédé n'a sans doute pour seul but que de souligner à quel point les destins sont liés, les mémoires des uns et des autres enchevêtrées, et les êtres omniprésents au-delà de la mort.
Un récit émouvant sur la mémoire et la parole, alors qu'il n'est question que de silence des émotions ou de décalage des sentiments. Cocktail idéal qui, au pire, mène certains à la folie. D'autres, au contraire, se révèleront à eux-mêmes.
"Vieillir, cela ne se passe pas comme dans les livres (...) Mais nul ne leur avait dit que perdre sa jeunesse est effrayant, non par ce qu'on y perd, mais par ce que cela nous apporte. Et il ne s'agit pas de sagesse, de sérénité, de lucidité ou de paix, mais de la conscience de ce que tout se décompose (...) Tout s'était dissocié, rien ne manquait de ce qui leur était arrivé jusqu'à ce jour, et pourtant ce n'était plus la même chose. L'espace avait été divisé en lieux, le temps en moments, les événements en épisodes et les habitants de la rue Katalin comprirent enfin que de tout ce qui avait constitué leur vie, seuls quelques lieux, quelques moments, quelques épisodes comptaient vraiment, le reste ne servait qu'à combler les vides de leur fragile existence."
Tout au long de cette lecture, j'ai eu en tête le travail d'un autre Hongrois, psychiatre et thérapeute familial réputé, Ivan Boszormenyi-Nagy, qui a été un des pionniers du travail au sein des familles, en s'appuyant sur les concepts de loyauté, de légitimité, du cycle du don et du "grand livre des comptes", concepts étayés par le dialogue et la narration afin de favoriser le partage de la mémoire dans le respect des émotions de chacun.
Nul doute que les habitants de la rue Katalin en auraient tiré profit...
ELFIQUE vous donne aussi son avis.
Rue Katalin Magda Szabo Editions Viviane Hamy