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Le Souk de Moustafette
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9 septembre 2011

Drôles oiseaux, les vrais !

9782864247098Oui, mais ceux dont il est question ici sont mille fois plus attrayants. Loin d'être figés dans la froidure danoise, ils animent les rues poussièreuses de Yungay, petit village minier du nord du Chili qui subsiste tant bien que mal alors qu'alentour les mines ferment les unes après les autres.

C'est là que vit Malarossa, gamine d'une dizaine d'années, lucide, têtue, et un brin farouche. Elle veille sur Saladino Robles, son flambeur de père, seule famille qui lui reste, et le suit comme son ombre dans ses déambulations éthyliques et pugilistiques. Les tripots et les bordels n'ont plus aucun secret pour elle,  ses amis sont ceux de son père ou les prostituées du Pancho Déchiré, quartier général où se retrouve toute une clique de personnages truculents en quête d'un avenir meilleur tout en usant leurs vies à coup de pocker, à coup de poing et à coup de gnôle. Quand elle ne prend pas soin de son petit papa, Malarossa retrouve les objets perdus, maquille les morts, va à l'école quand il y a une institutrice et dessine des oiseaux en rêvant.

"Dans un de ces hameaux abandonnés, Malarossa aperçut quelque chose qu'elle prit pour une vision ou un bref mirage vespéral mais qui resta gravé sur sa rétine pour le reste de la journée et revint même dans ses rêves cette nuit-là : sur le quai désert, près d'un banc de bois, elle aperçut un homme, fantomatique dans les dernières lueurs du crépuscule. Haut comme une armoire, il portait un chapeau de paysan et se tenait près d'une pyramide de cages remplies d'oiseaux aux couleurs et aux plumages les plus variés."

Un arrière-fond nous brosse un aperçu de la situation sociale et politique du pays, et plus précisément de la lutte des mineurs qui voient leurs villages disparaître aussi vite qu'ils ont été construits, c'est à dire à la va vite pour alimenter les fûts des canons de l'Europe alors en guerre. Les années de paix et la crise de 29 aidant, le salpêtre n'intéresse plus personne et l'exode vers les villes de la côte s'intensifie.

Voilà, ça pourrait être sordide, misérabiliste, glauque, etc, etc mais comme ça se passe en Amérique du sud, forcément c'est cocasse, pittoresque, démesuré voire surnaturel... On côtoie les morts et les putains, ça picole et ça castagne à toutes les pages mais... re-forcément puisqu'on est en Amérique du sud, c'est magique et poétique.

Et le désert d'Atacama est là, toujours, écrasant de chaleur, aveuglant de blancheur, le plus aride de la planète mais qui n'en fait pas moins naître sous la plume de l'auteur des descriptions pleines de poésie, avant de replonger dans la tragi-comédie de la vie quotidienne.

"Le ciel du désert, haut, diaphane, explicite, est une éclatante célébration d'étoiles magnifiées par l'obscurité qui prétend les voiler ; des étoiles qui font briller et resplendir leur lumière naissante, de toutes les tailles et luminosités, étoiles proches ou lointaines, étoiles inaccessibles, belles comme des lanternes de papier, fixes comme des prunelles de chat ou clignotantes commes les yeux des lézards ; étoiles baptisées ou sans nom, étoiles mortes, étoiles froides comme le givre, ardentes comme des braises, mystérieuses comme des feux follets ; étoiles formant des croix, des voies, des constellations, un univers scintillant et mystérieux de corps célestes - astres, nébuleuses, soleils, planètes, aérolithes - réunis en grappes, là à deux doigts de son ivresse." 

En digne héritier des ses aînés, Hernan Rivera Letelier est un merveilleux conteur de la vie et de l'éphémère.
A ranger dans la catégorie réalisme magique sud-américain et à découvrir donc.

L'avis de KATHEL

Malarrosa      Hernan  Rivera Letelier       Editions  Métailié

oiseau_mouche_006

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6 septembre 2011

Drôles d'oiseaux

LESPLUMESDUDINOEncore un polar nordique avec, cette fois, pour toile de fond une polémique scientifique autour de l'évolution des dinosaures.
Pas d'inquiètude, faut pas avoir un master de paléontologie pour suivre, l'essentiel du roman concernant plus la vie et l'histoire des protagonistes à savoir une chercheuse mère célibataire, ses collègues et leurs marottes, ses amis et bien sûr le flic de service.

Je n'ai pas ressenti une grande empathie pour les personnages et leurs problèmes d'égo, d'identité sexuelle, de désir ou non de paternité... Quant au flic, qui est quand même censé être le meilleur du Danemark, on peut dire qu'il plane complètement au-dessus de l'enquête, empêtré qu'il est dans ses souvenirs, vrais ou faux, et j'ai passé mon temps à avoir envie de lui filer des coups de pied au cul pour qu'il bouge le sien au lieu de laisser faire le boulot par la nana qui va présenter son mémoire et qui a p'tet autre chose à faire. J'avais envie de lire un polar pas un catalogue de SOS enfance maltraitée et des névroses qui vont avec. Si le mobile reste crédible, les moyens le sont un peu moins. L'écriture ? Ben, c'est écrit, c'est traduit, rien d'extraordinaire donc. Et je n'ai guère avancé sur la question cruciale, qu'est-ce que ça changerait que les oiseaux descendent ou non des dinosaures ?

Bref, je suis totalement de mauvaise foi (je l'ai quand même terminé), de mauvaise humeur (je voudrais du soleil pour mes vacances, pas la tempête) et je n'ai pas envie de faire un billet positif. Na.

Un avis plus enthousiaste, et sans doute plus objectif,   ICI  

Les plumes du dinosaure      Sissel-Jo Gazan      Editions Le Serpent à plumes   

 

bondecolere

3 septembre 2011

Salade de livres

c075zivkovicE_v2bouquineuseLes uns grignotent du chocolat en bouquinant, d'autres sirotent un thé ou un café, certains cumulent et complètent le rituel en allumant une cigarette - ajoutez un chat qui ronronne pas loin et vous saurez comment j'aime lire...  Mlle Tamara, son truc c'est de manger des pommes minutieusement préparées à l'heure sacrée de la lecture, chaque bouchée devant durer le temps d'une page...
Le jour où elle s'aperçoit qu'elle a avalé son morceau de fruit alors qu'il lui reste encore deux paragraphes avant la fin de la page, la belle mécanique s'enraye, son quotidien bascule... de l'autre côté des livres.

"Si elle tournait la feuille, si elle passait à la page suivante... elle mourrait.
(...) Bien que rien de semblable ne lui eût jamais auparavant effleuré l'esprit, Mlle Tamara ne songea même pas à mettre en doute le pressentiment de la mort qui la guettait si elle poursuivait sa lecture. Cela lui semblait indiscutable et certain."

A partir de là, Mlle Tamara va commencer à travailler du chapeau. Elle va abandonner les pommes pour les citrons, puis les citrons pour les mûres et ainsi de suite. Parallèlement de curieux événements se produisent, des lettres s'échappent, des mots disparaissent, des livres se vident de leur contenu, d'étranges coïncidences se produisent et de mystérieuses rencontres ont lieu.

Voilà encore un bel exemple de l'originalité qui nous vient des Balkans.
Un délicieux méli-mélo de fruits et de saynètes pour aborder avec légèreté quelques angoisses qui, j'en suis certaine, traversent un jour ou l'autre les amoureux des livres, la vue qui baisse, la mémoire qui flanche, l'isolement etc...

"Elle venait de porter une nouvelle tranche à sa bouche, les yeux dirigés vers l'étagère de livres accrochée au mur en face de la fenêtre, lorsque surgit une autre question étrange. Quel serait le dernier livre qu'elle lirait ?
Qu'étaient donc ses pensées qui lui venaient à l'esprit ? Il était encore plus difficile de répondre à cette question. Se souvenir de son premier livre n'était peut-être pas impossible, mais savoir quel serait le dernier était inconcevable."

Pfff va falloir que je me penche sur ce problème qui ne m'avait encore jamais traversé l'esprit !
Mais rassurez-vous, Mlle Tamara a des solutions à tout et vous prouve que, loin de vous enfermer dans la solitude, la lecture vous ouvre des horizons infinis vers les autres.
Entre réalité et merveilleux, une petite fable farfelue se cache sous la couverture un brin surréaliste. Les livres nous montent parfois à la tête, c'est certain. Et ils ont une vie en dehors de leurs lecteurs...

La bouquineuse      Zoran  Zivkovic      Editions  Xenia

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(La bouquineuse Diane Ethier)

29 août 2011

Jack, ça va ?

bruenJack Taylor va bien. Il sort de l'hôpital psychiatrique !
Il faut dire que ses dernières aventures ( Le dramaturge) l'avaient laissé plutôt exsangue suite à la mort de la petite fille de ses amis Jeff et Cathy.
C'est donc un Jack Taylor chargé aux neuroleptiques que l'on retrouve déambulant dans sa bonne ville de Galway en compagnie de ses fantômes dont la liste ne cesse de s'allonger. Faut croire que le sort a décidé de s'acharner sur lui.

Si, à la sortie de l'HP, ses potes ne sont pas au rendez-vous, le sympathique père Malachy ne tarde pas à lui tomber sur le paletot afin de solliciter ses services. On vient de retrouver la tête tranchée du père Joyce et ça tremble sous les soutanes, l'église irlandaise étant en pleine tourmente pédophile. Aussi sobre qu'un chameau et les narines vierges de toute trace de poudre, Jack Taylor renfile l'article 8234 et se remet au boulot.

Ne vous laissez pas abuser par le ronflant "Grand Prix de la littérature policière 2009". On se demande bien pourquoi d'ailleurs vu que côté polar c'est plus que léger, l'intérêt résidant ailleurs. Ken Bruen continue sur sa lancée et brosse ici un tableau de l'Irlande moderne, ultralibérale, le Tigre celtique au mieux de sa forme, qui n'a plus foi en rien si ce n'est en l'argent, et poursuit sa diatribe, débutée dans Le martyre des Magdalènes, contre l'église.

"Peut-être nous sommes-nous enrichis, mais jamais nous ne sommes devenus impulsifs. Une question est toujours suspecte. Durant les années de domination britannique, les années où il fallait dire oui, les questions, la plupart du temps posées par un soldat qui vous braquait une arme sur la figure, ont entraîné une certaine lassitude. S'il faut dire la vérité, et parfois c'est nécessaire, nous éprouvons le désir profond de réagir par deux autres questions.
La première : Pourquoi vous me demandez ça ?
La deuxième, peut-être plus fondamentable : En quoi cela vous regarde ?"

L'écriture de l'auteur est toujours aussi directe, nerveuse. A défaut de celui de la Guinness, que Jack Taylor regarde couler d'un oeil torve, c'est le goût de son île qui imbibe toutes les pages de Ken Bruen, toujours entre humour noir et mélancolie.

"Les alcooliques connaissent par coeur le contenu de tous les récipients : jamais suffisant. Comme pour un joueur de billard, ce qui importe c'est toujours le coup suivant. Ce qui se trouve devant vous, c'est comme si c'était fait."

Pour les amateurs ou les accros, et en attendant la sortie poche des deux prochains épisodes !

La main droite du diable      Ken  Bruen      Editions Folio policier 

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25 août 2011

Casse-tête balkanique

9782742770328Au risque de vous lasser , mais j'assume, je poursuis ma balade littéraire balkanique. Cette fois, c'est du côté de Dubrovnik que ma lecture m'entraîne.
Le livre s'ouvre en 2002 sur le décès de Regina, à quatre-vingt dix-sept ans, alors qu'elle a sombré dans la folie depuis quelques mois et qu'elle rend impossible la vie de sa fille Diana et de ses petits enfants.

Le lieu : Dubrovnik donc, principal théâtre de l'intrigue, même si c'est aux quatre coins d'un territoire pris, tour à tour, dans les remous de l'Autriche-Hongrie et de l'empire ottoman puis dans les découpages et redécoupages géopolitiques du XXe siècle, que se réroule cette remontée dans le temps jusqu'à 1905.
Les acteurs : cinq générations de personnages marqués par la violence, l'amour, l'absurde, pour comprendre ce qui a forgé le caractère de Regina et de quoi se nourrit la folie furieuse qui la frappe soudain et si tardivement.

"Cet après-midi-là, les femmes se comportèrent de façon particulièrement odieuse avec leur mari, les jeunes filles s'enfermèrent dans leur chambre et, la tête sous l'édredon, pleurèrent amèrement en espérant s'étouffer. Ce soir-là, aucun des maris qui habitaient le long du trajet menant de la maison des Sikiric à l'hôpital n'eut à dîner. Cette nuit-là, aucun enfant ne fut conçu. Les hommes de la ville étaient stupéfaits. Seuls ceux qui cachaient la honteuse graine de l'homosexualité savaient de quoi il s'agissait. Quant aux femmes, elles avaient trouvé un motif commun, qu'elles n'exprimeraient jamais, pour alimenter la jalousie et la haine qui allaient accompagner l'ombre de Regina jusqu'à sa mort."

 Foisonnant, baroque, tragique et extravagant à la fois, ce roman est impossible à résumer tant il y a de personnages et de destins qui s'entrecroisent. Enrichis des diverses cultures et religions qui composent la mosaïque balkanique, naissent alors un style mouvementé et un imaginaire violent, pulsionnel, parfois cru, et qui n'est pas, par certains aspects, sans rappeler Cent ans de solitude.

"Il vaut mieux ne pas avoir affaire aux fous et nous autres, nous sommes fous, nous n'arrivons pas à vivre avec nous-mêmes, alors avec les autres, encore moins."

Tout à la fois fresque historique et saga familiale, c'est aussi le roman de la honte et de la culpabilité qui s'enracinent dans l'esprit d'une femme pourtant née sous d'heureux auspices. Pour le comprendre, il vous faudra plonger dans cette histoire qui s'ouvre sur le chapitre XV et remonter le temps jusqu'au chapitre I qui baigne dans une étonnante douceur et nous dévoile enfin le pourquoi du titre . Le début est un peu destabilisant, aussi rien ne vous  empêche de commencer par la fin (mais ça serait vraiment dommage), sachez alors seulement que les apparences sont souvent trompeuses !

"La conscience s'avère un bon révélateur face à la mort. Meilleur que les larmes et que n'importe quelle douleur, exprimée ou non. Les vivants nourrissent un sentiment de culpabilité envers les morts et c'est lui seul qui les relie au monde des ombres. Ce sentiment de culpabilité, les morts le lèguent à leurs enfants et, s'ils deviennent adultes, c'est grâce à lui. S'il n'y a pas de culpabilité, c'est qu'il n'y a eu ni père ni mère. (...) Le jour où son père mourut, elle n'avait pas encore vingt ans et elle reçut en son âme une peine lourde et difficile à porter, d'après laquelle on reconnaît le véritable, l'authentique malheur. Mais la noblesse du malheur tient à la façon dont on le porte tout au long de la vie."

La richesse et le lourd passé de la Yougoslavie  font éclore de biens beaux romans sous la plume de ses auteurs. Qu'ils soient croates, serbes, bosniaques, ils ont tous une griffe balkanique inimitable au bout de laquelle pointe une autodérision salvatrice.

Le Palais en noyer     Miljenko Jergovic     Editions  Actes Sud

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(timbre croate 2010) 

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21 août 2011

Cinémascope

sousuncielliv_901980 a marqué un tournant dans l'histoire de la Yougoslavie.
Pour le narrateur, cela a eu lieu à l'Uranie, salle de cinéma de Kraliévo, une petite ville de Serbie. Pour lui comme pour les autres spectateurs, il y aura un avant et un après cet après-midi de Mai.

"Il s'est fait un grand, un total silence. Celui qu'on appelle un silence de mort. De tous les sons il est seulement resté le murmure des écaillures qui se détachaient du ciel de la salle... Un peu plus tôt, sous un certain angle, on pouvait voir dans le faisceau lumineux du projecteur tomber d'en haut, du Soleil et de la Lune stylisés, des planètes et des constellations, une impalpable poussière laiteuse, plus blanches et plus légère que la plus fine poudre de riz... Cette bruine devait certainement continuer de tomber, persistante, fantomatique, même une fois la projection interrompue... Comme si elle cherchait à tout couvrir, à dissimuler toute trace, à adoucir les rides autour des yeux et des lèvres, à gommer nos visages."

Projet ambitieux construit et inauguré en 1932 par le futé et original Laza Iovanovitch, l'hôtel Yougoslavie sera revendu en 1939, la salle de bal et de spectacle étant alors transformée en cinéma, cinéma qu'on nationalisera après la guerre. L'histoire du bâtiment suivra celle du pays et des hommes. 
Balayant du pinceau de son projecteur littéraire les rangées de la salle en ce dimanche de Mai 1980, le narrateur nous dresse une galerie de portraits des habitants de Kraliévo pris dans les changements perpétuels de cette mosaïque balkanique qu'un homme réussira pourtant à unifier pour un temps. La construction particulière du roman sert à merveille ces personnages loufoques, attachants, souvent déboussolés, mais réussissant malgré tout à s'adapter car ils n'ont guère d'autres choix, à l'image du vieux Simonovitch, ouvreur de son état et mémoire de l'Uranie, ou d'Ibrahim, propriétaire de la pâtisserie Mille et une délices.

Comme une métaphore du passé et d'un futur annoncé, le plafond de la salle s'écaille, l'éclat des peintures de la fresque représentant l'Univers se ternit, le ciel s'effrite lentement mais sûrement sur la tête des spectateurs. Le ciel, le vrai, attendra les années 90 pour tomber définitivement sur la tête des hommes. A moins que ce soit l'inverse...

"Ibrahim n'a rien dit. Il s'est dominé. Le lendemain, il est parti avec Yasmina et sa femme. Sur la vitrine réfrigérante il avait laissé une note avec des indications détaillées : "Les millefeuilles sont frais, il vaut mieux manger d'abord les baklavas..."

Un petit roman très original qui tourbillonne dans tous les sens tel un film qu'on rembobine, qu'on laisse sur "pause" pour mieux le faire repartir en accéléré  mais qui, malgré tout, se joue toujours des soubresauts de l'Histoire.

Sous un ciel qui s'écaille     Goran Petrovic     Editions  Les Allusifs

 

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13 août 2011

La croisière s'amuse

zonafrigidaDirection le Grand Nord pour un interlude rafraîchissant ?
Il vous faudra embarquer sur Le Ewa en partance pour l'archipel du Spitzberg sous le commandement de Sigmund et Georg, vieux loups de mer respectivement capitaine et pilote des glaces. La croisière réunit, équipage compris, une vingtaine de personnes de toutes nationalités dont la fantasque Bea, caricaturiste de profession, la trentaine alerte et la répartie cinglante.
On sait bien vite que cette croisière est pour elle l'occasion de régler un vieux compte avec un des passagers et de liquider un traumatisme de jeunesse.

Si l'écriture n'est pas bouleversante, l'intrigue est bien rythmée et on se laisse facilement enfermer dans ce huis-clos réfrigéré aux rebondissements divers et variés. Pas de suspense insoutenable mais une dissection correcte d'un microcosme privilégié face à l'immensité grandiose et fragile de ce petit bout de la planète. Pas de grandes réflexions philosophiques sur l'écologie non plus, mais une ébauche de questionnements qui laisse le lecteur libre de les approfondir ou pas. Par contre, des descriptions de paysages à couper le souffle avec en bande son le chant de la glace qui craquelle et les cris des fulmars boréals, ce qui, inévitablement, donne très envie d'aller traîner ses snow boots et son gilet de sauvetage du côté de la Terre du Nord-Est en compagnie des gros nounours et autres bestioles sympathiques.

"Je m'étais toujours représenté un ruisseau de montagne quand je pensais à de l'eau parfaitement pure. Un ruisseau dont l'eau courant sur les cailloux ferait un doux clapotis. Je m'y serais penchée pour en recueillir dans mes paumes et connaître enfin le goût de la pureté...
 J'ai dû revoir ma copie, car en contournant la banquise, j'ai vu ce que nous avait promis Sigmund : des cascades alignées les unes à côté des autres, issus du sommet du glacier et tombant à pic dans la mer. Là où la cascade touchait la surface de l'eau, ça regorgeait d'oiseaux."

N'ayant pas encore lu la Trilogie des Neshov qui a fait le succès de l'auteur norvégienne, je recommande celui-ci pour une lecture dépaysante, qui vous permettra de relativiser notre été frisquet et nuageux, 6 ou 7° maxi en juillet-août, mais ne vous laissera pas un souvenir littéraire impérissable. Cela dit, je suis prête à replonger dans l'oeuvre d'Anne B. Ragde qui fait preuve d'un talent narratif indéniable.

Pour une balade au Spitzberg c'est  ICI

 Zona frigida     Anne B . Ragde     Editions  Balland

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9 août 2011

Un doux dilettante

9782742795314Villa Maranese, sur les bords du lac de Côme,  propriété de la fondation Rockfeller.
Hors du temps, des tourments du monde et de ses contingences matérielles, ce lieu accueille en résidence scientifiques, universitaires et artistes de tous pays, afin de leur permettre de mener à bien leurs travaux. C'est  là qu'un matin le narrateur se réveille avec une sacrée gueule de bois. Après une soirée bien arrosée, il a quitté la veille son ex-pays, la Yougoslavie, en plein éclatement, pour se retrouver dans ce décor magique avec pour vague projet d'écrire un roman. Très vague car, mis à part boire plus que sérieusement, ce jeune serbe aborde la vie en dilettante y compris l'écriture, activité à laquelle il s'adonne mollement sans aucune intention d'être un jour publié. Fidèle à lui-même, pendant que grosses têtes et petits génies triment comme de bons élèves, lui compte bien s'octroyer une parenthèse de farniente aux frais de la princesse d'autant plus que cave et buffet sont à volonté...

" J'ai passé tout l'après-midi seul dans mon bureau.
Je n'avais aucun projet.
Je n'avais pas de désir.
Je me sentais bien.
Je regardais par la fenêtre.
Je lisais."

 Après quelques premiers jours apathiques passés à donner le change à ses hôtes et autres invités, à explorer le domaine de la colline Tragedia où trônent les villas de la fondation et à sonder la carte des vins et alcools, le narrateur va élargir son champ d'action et, tels des cercles concentriques, s'éloigner du cocon pour partir à la découverte du village de Bellagio (et de ses bars, forcément) puis de la campagne et des montagnes environnantes pour finir par rejoindre la richissime ville de Côme.

"Je n'avais d'ailleurs rien d'autre à faire, et j'ai toujours aimé ça, n'avoir rien à faire."

Heureux homme ! Quel luxe  ! Mais ne nous y trompons pas, ses journées ainsi que ses soirées seront bien vite remplies. Car même s'il noue des relations privilégiées avec les serveurs de la fondation qui deviennent rapidement ses complices lui permettant d'échapper à certaines obligations ennuyeuses, notre écrivain n'en dédaigne pas moins les échanges avec les autres résidents, échanges parfois moqueurs, souvent tendres comme avec M. Sommerman et sa femme Mme Rosemary. Mais c'est encore avec les villageois, représentants de la vraie vie et plus proches de son monde, qu'il se sentira le plus à l'aise et entretiendra des relations pleines d'émotions.

 Hymne à la contemplation de cet environnement idyllique, la nature occupe une place de choix dans le roman. La rencontre au sommet du mont San Primo, à l'initiative de M. Sommerman trop âgé lui-même pour  en faire l'ascension, est un des moments magiques qui croisent la vie de notre héros. Et certaines de ses réflexions botaniques sont savoureuses.

"J'ai demandé s'il allait falloir abattre celui-ci et ils m'ont dit qu'ils n'en étaient pas sûrs, peut-être pas encore. Alors, le châtaignier va d'abord se faire soigner, me suis-je dit. Puis les médecins sont montés dans leur camionnette et sont repartis. Sur la portière du véhicule, on pouvait voir une grande image d'un arbre et une inscription en petites lettres, en italien. C'était une sorte d'ambulance forestière. Je suis resté un moment à côté de cet arbre, ce n'est jamais facile quand on est malade de se retrouver seul. On aurait dû planter un autre arbre à côté de celui-ci, pour lui tenir compagnie. Une petite mésange s'est posée sur une branche, je pouvais partir."

Passées les soixante-dix premières pages peu palpitantes, que l'on peut voir comme un exercice d'entraînement pour le personnage qui peine à trouver sa place dans cet univers surfait, faisant fi des masques la personnalité décalée de ce jeune serbe plein d'humanité éclate enfin et nous entraîne ensuite dans un jeu de ping-pong entre le dehors et le dedans, les nantis et les petites gens, pour donner au final une très belle galerie de portraits entre satire et véracité.
Le lecteur ne boude pas son plaisir et le narrateur, car il lui faudra bien retrouver la tourmente, repartira avec dans ses valises une bonne dose d'espoir et de quoi, sans doute, en tirer un roman succulent plein d'inventivité.

Décidément, la littérature de l'ex-Yougoslavie n'en finit pas de me séduire.

 Côme     Srdjan  Valjarevic     Editions  Actes Sud

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copyright Ramon Arambarri

20 juillet 2011

La yourte aux myrtilles

myrtillesEt si, dans la kyrielle de flics alcooliques, caractériels, frustes, taciturnes, réfractaires à toute hiérarchie etc etc...  on ajoutait l'inspecteur Yesügei exerçant ses talents d'enquêteurs dans la ville d'Oulan Bator ? 

"Mêm s'il portait le prénom de Yesügei le Preux, chef du clan des Torrents et père de Gengis Khan, ce Yesügei-ci n'était pas de leur lignage. Il n'avait pas été bercé, comme ses illustres ancêtres, dans des langes de zibeline (...). Yesügei ne faisait peut-être même pas partie de ces hommes -un sur cinq en pays mongol selon les statistiques- porteurs des gênes royaux."

Confronté au meutre d'un ressortissant américain venu claquer ses dollars lors d'un séjour de chasse organisé dans l'immensité des steppes mongoles, Yesügei va faire preuve de tout son talent pour régler cette affaire à sa manière. Lui-même chasseur émérite, animiste et fin connaisseur de son peuple et de ses coutumes, c'est sur son antique moto Guzzi qu'il va sillonner la steppe et démêler l'écheveau de présomptions qui voudrait bien désigner comme coupable l'un des siens.

C'est sans compter sur les richesses naturelles de la Mongolie et de son sous-sol qui intéressent déjà fortement les Russes et les Chinois. Alors, ces chasseurs américains sont-ils vraiment ce qu'ils prétendent être, de simples touristes fortunés ? Yesügei mettra un point d'honneur à le découvrir afin de défendre la terre sacrée de ses ancêtres et leurs traditions.

Outre le personnage pittoresque de Yesügei qui vaut le détour, ce roman policier est avant tout prétexte à un dépaysement et une approche originale de la culture mongole. On y apprend beaucoup sur ce peuple qui, bien que de plus en plus sédentarisé, n'en continue pas moins à vivre chichement sous les yourtes, même aux abords des grandes villes. Truffé de détails sur la vie quotidienne, règles de vie sous la yourte, cuisine, alcool, ce livre témoigne surtout de l'attachement des Mongols à la nature et aux pratiques religieuses animistes. Il se veut également un réquisitoire contre les puissances dominantes qui, à coup de concessions, achètent la terre pour en extraire ce qu'elle a de meilleur au détriment des autochtones contraints d'y trimer. Témoignage aussi de la difficulté d''un peuple pris dans la dualité des traditions et de la modernité occidentalisée.

"Dès qu'ils eurent atteint Zuunmod, petite bourgade à une cinquantaine de kilomètres d'Oulan Bator, ils prirent la direction du monastère de Manzshir. Au moment de changer de route, ils furent dépassés par un 4 x 4 flambant neuf, conduit de manière sportive par un bonze à la tonsure impeccable, au teint parfait et au sourire publicitaire.
  - Lama mondain, lança Yesügei sans rire. Prends par-là, doucement, je te dis. Ralentis, nom d'un chien !
 Même s'il n'avait ni l'âge ni l'expérience de Yesügei, Gerel savait qu'il existait des bonzes de toutes catégories. Mondains, nomades, reclus. Des lamas des villes et des lamas des champs. Des hommes d'affaires et des hommes de prières. Des saints et des imposteurs. Une catégorie sociale qui n'avait pas laissé que des bons souvenirs à ceux qu'ils asservissaient du temps de la théocratie et des moeurs féodales."

Un voyage littéraire bien documenté, une lecture plaisante, non dépourvue d'humour, bref un livre agréable et divertissant  mais dont on regrette qu'il ait été écrit par une française et non par un auteur mongol. Grande connaisseuse de la région, je ne remets donc pas en doute la véracité des jurons et expressions imagés dont elle parsème son roman, tels "Poux mal cuits" ou "Fausses couches ambulantes" !

Des myrtilles sous la yourte      Sarah Dars      Editions  Picquier poche    

 

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15 juillet 2011

Enardite aiguë

41PxCOze7aLCitant, dans le livre précédemment chroniqué, "les vers d'Essenine, le pendu de Pétersbourg, j'irais bien sur le Bosphore, là dans tes yeux j'ai vu la mer, un magnifique incendie bleu.", l'auteur faisait un clin d'oeil à son dernier roman. Comme lui, j'ai aussi fait le voyage.

Au regard des nombreuses critiques, je serai brève. J'ai beaucoup lu que ce court roman manquait de souffle, sans doute aurait-il pu bénéficier d'un étoffage conséquent digne de l'oeuvre colossale du personnage principal. Mais peu m'importe, cette parenthèse ottomane dans la vie de Michel-Ange, récemment découverte et agréablement romancée, m'a procuré un plaisir de lecture tout chamarré de couleurs et de parfums de mille et une nuits.

J'ai aimé la compagnie de cet homme mal dégrossi, imbu de lui-même comme pour mieux camouffler ses faiblesses, qui erre au milieu de la ville et des ses hôtes, écrasé par la nécessité de surplanter le plus doué de ses pairs, Léonardo da Vinci, et celle d'accoucher d'une oeuvre d'art dans une ville qui en recelle déjà quantité.
Les personnages que Michel-Ange rencontrera ébranleront ses certitudes, ses propres sentiments comme son identité et ses idées à l'égard des Infidèles.

"La nuit ne communique pas avec le jour. Elle y brûle. On la porte au bûcher à l'aube. Et avec elle ses gens, les buveurs, les poètes, les amants. Nous sommes un peuple de relégués, de condamnés à mort."

C'est également une jolie réflexion sur la création et la beauté chatoyante de l'art musulman. La Renaissance n'a qu'à bien se tenir, et les lycéens ne s'y sont pas trompés, une fois de plus !
Sans conteste le livre le plus solaire de l'auteur.

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants      Mathias Enard      Editions Acte Sud

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 Je profite de cette crise d'Enardite pour vous parler aussi du premier roman de l'auteur lu l'an dernier.

Dans un pays où règne la guerre civile, ce pourrait être le Liban, un homme vit rivé à la lunette de son fusil. Lui et son arme ne font plus qu'un, comme une extension de lui-même avec laquelle dorénavant il vit, dort. Elevant le tir au rang d'un art, art du vivre et du mourir, l'homme tire peu mais bien, privilégiant la difficulté afin d'en augmenter le plaisir tout en engageant un curieux dialogue entre lui et ses futures victimes.

"Le tir est avant tout une discipline. Il faut se retenir, se comprimer, se refermer, se concentrer dans la cible jusqu'à disparaître soi-même dans la lunette pour ensuite se libérer, s'ouvrir et se laisser couler comme une goutte d'eau. Il faut fabriquer une relation entre soi et les choses, un lien direct qu'on appelle trajectoire ; il faut l'imaginer, la suivre comme un chemin. Il faut s'abstraire du monde, se retirer petit à petit dans le recoin irréel de la mire jusqu'à se perdre dans les reflets infinis des lentilles."

Orgueilleux et sûr de lui, son équilibre vacille lorsqu'il rencontre Myrna, une jeune fille de quinze ans qu'il engage pour veiller sur sa mère avec laquelle il vit et que la guerre a rendu folle. Myrna va pourtant se révéler plus rusée que le combattant et s'insérer entre lui et la lunette de son fusil . Au fil de leur cohabitation, elle devient pour cet homme, qui ne sait s'exprimer que par le tir et la violence, source de fascination puis objet d'obssession quand elle profite d'une de ses absences pour disparaître. Quand il la retrouvera, pourra-t-il lui exprimer son attachement ?

Mathias Enard inaugure sa carrière d'écrivain avec un texte dur et âpre. Réussissant à se glisser dans l'esprit tour à tour exalté, hyper-maîtrisé ou vacillant et déprimé, d'un jeune que la guerre a trop vite déclaré être un homme, l'auteur joue déjà (texte paru en 2003), et avec brio, la cynique partition de l'amour et de la mort. Il sait, malgré le contexte, rendre son personnage attachant, fragile héros camouflé dans son treillis, bravant ou refoulant sa peur, hésitant entre une attraction morbide et un dégoût pour les situations cauchemardesques auxquelles la guerre le confronte, ne sachant caresser les corps que de la pointe de son arme, se révélant totalement démuni face à l'amour qui le submerge et incapable d'appliquer aux vivants sa belle discipline guerrière citée plus haut. Tout abandon serait-il signe de faiblesse ?

Pour un premier roman Mathias Enard n'a pas raté sa cible. Et si le terreau de la guerre n'est pas propice à l'éclosion des beaux sentiments il permait celle d'un auteur en devenir à l'écriture maîtrisée. L'avenir le confirme.

La perfection du tir      Mathias Enard     Editions Actes Sud  Babel 

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10 juillet 2011

La nostalgie camarade...

arton133-af30fQuoi de mieux qu'un long voyage en train pour voir défiler le film de sa jeunesse sur l'écran des paysages qui s'étendent entre Moscou et Novossibirsk  où Mathias accompagne le corps de son ami Vladimir afin de l'enterrer dans sa vie natale.

Un long tête à tête pour Mathias qui revient sur son amour pour Jeanne. Jeanne, rencontrée à Paris à dix-huit ans et qui l'a quitté pour faire un doctorat à Moscou. Jeanne qui lui a présenté Vladimir. Jeanne qui l'appelle à nouveau quand Vladimir s'en est allé.

Emouvante réminiscence d'un temps révolu émaillé d'agapes alcoolisées, de périples au cours desquels Vladimir, tel un prince déchu, a transmis l'amour de sa terre aux deux français, entre balades historiques et pauses littéraires qu'inévitablement génère ce pays. Car Mathias se rêvait écrivain "(...) et de retrouver une liberté qu'en réalité je n'avais jamais connue, à part dans les livres, dans les livres qui sont bien plus dangeureux pour un adolescent que les armes, puisqu'ils avaient creusé en moi des désirs impossibles à combler, Kerouac, Cendrars ou Conrad me donnaient envie d'un infini départ, d'amitiés à la vie à la mort au fil de la route et de substances interdites pour y amener, pour partager ces instants extraordinaires sur le chemin, pour brûler dans le monde, nous n'avions plus de révolution, il nous restait l'illusion du voyage, de l'écriture et de la drogue."

C'est encore un livre, En Russie d'Olivier Rolin, qui poussera Mathias à rejoindre Jeanne à Moscou où il restera un an en sa compagnie et celle de Vladimir, s'embarquant dans une amitié trouble et fascinante, une sorte de Jules et Jim aux saveurs d'opium, d'héroïne et de vodka où chacun va se perdre dans l'illusion et la passion inaboutie.

Est-ce pour rattraper le temps perdu ou pour épuiser celui qu'il lui reste que Mathias entreprend ce dernier voyage ? Toujours est-il qu'il s'impose là l'épreuve du manque, de la perte et de la solitude, seul face au miroir des grandes étendues qui lui renvoie l'image de sa finitude.

" Nous rêvions d'une tout autre mort, nous qui n'avons connu ni la révolution, ni la guerre, nous rêvions d'un sacrifice, d'une noblesse, d'un courage et peut-être as-tu eu cette noblesse et ce courage, comme Tarass Boulba qui s'enquiert en mourant du sort de ses cosaques, tu as eu une pensée pour moi, pour Jeanne, pour le monde, pour l'infini tournoiement du monde, pour l'oubli qui ronge tous les noms et toutes les pages, et tu es parti vers le néant." 

Voilà bien longtemps qu'un livre ne m'avait bouleversée à ce point. J'avoue qu'il porte bien son titre et que l'auteur sait rendre à merveille la difficulté à faire le deuil des engouements adolescents, des illusions inaccessibles qu'il faut abandonner. Certains ne s'en remettent pas, préfèrent perdurer dans le paradis artificiel qu'est la jeunesse tant le quitter est douloureux et choisissent un ailleurs toxique mais consolateur pour panser leurs blessures. Certains, même, préfèrent ne jamais devenir vieux.

"On ne berce pas les enfants grandis." Alors on grimpe dans un wagon qui roule vers une fin du monde et on se laisse bercer bien malgré soi par le staccato du train et des souvenirs mêlés, pensant sans doute que le froid sibérien, à défaut de les anesthésier, les figera à jamais dans la grandeur de leur jeunesse.

Un texte magnifique qui a laissé SYLIRE plutôt déprimée.

L'alcool et la nostalgie      Mathias Enard      Editions Inculte

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18 juin 2011

Marie-Blanche ou l'oubli !

arton25005-5aa22Qu'il était passionnant cet entretien avec l'auteur ! (vous pouvez l'écouter ICI.)
Et qu'elle semblait touchante l'histoire familiale qui devait nous narrer le destin tragique de la mère de l'auteur qui fut victime d'une filiation trouble, d'une mère plutôt toxique, d'un oncle incestueux et de déracinements successifs qui conduisirent rapidement Marie-Blanche à noyer ses blessures dans l'alcool et à séjourner dans des établissements psychiatriques pour finir par s'échapper définitivement de la vie en passant par une fenêtre.

Tous les ingrédients étaient réunis pour une fresque familiale comme je les aime. Seulement voilà, il suffit de pas grand chose pour qu'une mayonnaise ne prenne pas, et là la sauce a tourné rapidement. Je n'ai pas réussi à mettre la main sur "la puissance romanesque" d' "une saga familiale bouleversante" et "splendide" qui s'apparente au "chef d'oeuvre" et autres qualificatifs dithyrambiques qui parsèment la 4ème de couverture.

L'ennui m'étant tombé dessus très rapidement suite à une narration sans émotions ni intensité dramatique, à un style des plus banals, à une succession de faits qui laisse peu de place à l'introspection, j'ai jeté ce pavé l'éponge, à la page 229 (sur 606), ravalant ma déception, ruminant ma colère (22 € quand même) et ronchonnant qu'on ne m'y prendrait plus.

Des avis sur Babelio qui vont dans le même sens. Attendons de voir ce que donnera le partenariat de Newsbook. 

Après ça, comment voulez-vous que je me réconcilie avec les auteurs américains ?

Marie-Blanche     Jim Fergus      Editions Le cherche midi   

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13 juin 2011

Verba volant, scripta manent

69tiroirsOn a coutume de dire que la lecture est une activité solitaire. Rien n'est moins sûr...
Adam Lozanitch, étudiant en lettres et correcteur à ses heures, se plonge dans la lecture de "Ma Fondation", ouvrage publié à compte d'auteur en 1936 par un certain Anastase Branitza. Pour une somme mirobolante, un homme propose à Adam d'apporter des corrections conséquentes à l'ouvrage. Soulever la couverture de maroquin rouge va s'apparenter à une originale traversée du miroir et confirmer l'étrange sensation qui envahie le jeune homme depuis quelques temps.

"Depuis un an, en lisant, il lui semblait parfois rencontrer d'autres lecteurs. De temps en temps, peu souvent, mais toujours plus nettement, il se rappelait ces autres personnes, pour la plus part inconnues, qui lisaient en même temps le même livre que lui. (...), il arrivait à la conclusion que sa personnalité vacillait dangeureusement à l'extrême limite de la raison. Ou n'était-ce qu'une illusion due à un excès de littérature et à une carence de vie ?"

Cette fois encore, Adam s'aperçoit qu'il n'est pas seul à lire "Ma Fondation", livre pour le moins étrange puisqu'aucun personnage ne l'habite, qu'aucune intrigue ne s'y déroule. En effet, ce n'est, qu'une suite de descriptions minutieuses d'un domaine somptueux, de la villa qui y trône et de son riche mobilier.
Dans ce décor improbable, Adam va croiser une kyrielle de personnages qui ont tous plus ou moins à voir avec le fantasque Anastase. Au premier rang desquels la très attendrissante Natalia Dimitriévitch, fille de libraire qui, en son temps, a réussi à sauvegarder quelques exemplaires de "Ma Fondation". C'est aujourd'hui une vieille dame excentrique qui entretient un rapport fusionnel non seulement avec son passé - "Il me manque un souvenir... Je ne retrouve plus un souvenir de mon père... Comment ai-je pu, mon Dieu, comment ai-je pu l'égarer ?" -  mais aussi avec la lecture. D'ailleurs, elle vient d'embaucher la jeune Iélina pour l'assister dans son activité de prédilection. Mais Iélina n'est-elle pas justement cette jolie fille qu'Adam a aperçue un peu plus tôt dans la réalité ? 

"Natalia Dimitriévitch ayant prescrit que l'on devait alimenter le poêle de la bibliothèque le matin, le midi et le soir, on s'affairait autour du feu, on descendait à la cave chercher des bûches déposées là depuis longtemps, et l'on sortait jeter les cendres de la veille. Les jours de gel, la vieille dame vérifiait elle-même si chaque livre était bien enveloppé de sa jaquette ou remis dans son coffret de protection, si aucun signet ne dépassait...
- L'an dernier, un recueil de nouvelles a échappé à mon attention et quand je l'ai ouvert au printemps, je n'en revenais pas, il avait une extinction de voix, se plaignait-elle."

Les déambulations livresques d'Adam et de ses comparses vont nous livrer l'histoire tragique mais fabuleuse d'Anastase Branitza. Mais pas seulement. Car, roman à tiroirs par excellence, c'est aussi à un voyage dans l'histoire de Belgrade auquel nous convie Goran Petrovic. D'une plume alliant humour, poésie et merveilleux, il nous offre une fantastique ode à la mémoire, à la transmission et donc inévitablement aux livres. C'est également l'occasion, mais en doutons-nous, de nous rappeler que les livres sont de grands magiciens. Outre les voyages multiples dans lesquels ils vous embarquent, ils scandent sans doute les événements de votre vie, mais surtout ils peuvent se révéler de précieux magiciens de l'âme, quand ils ne vous changent pas radicalement.

Lorsque l'imaginaire chevauche si talentueusement la réalité, ne nous en privons pas.

" Un secrétaire en bois de rose et de citronnier. Il est vrai que vous n'allez peut-être pas le comprendre d'emblée, car il s'agit d'un vrai labyrinthe de compartiments secrets. Mais, si l'on ouvre chacun des soixante-neuf petits tiroirs dans l'ordre voulu, le double fond du soixante-dixième donne aussitôt sur un espace sans fin."

Un livre que l'on se doit de lire !

Soixante-neuf tiroirs      Goran Petrovic      Editions   Le Serpent à Plumes

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10 juin 2011

СИБИРЬ

arton138-37575Un opus des plus brefs mais des plus passionnants pour celles et ceux  qui, comme l'auteur, voient leur imaginaire s'emballer à la simple prononciation de cette destination.

"Aimer la Sibérie, ça ne se fait pas. Pourtant, ce nom terrible a pour moi un charme secret. D'abord, il est beau. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais il est beau."

Immensités géographiques, historiques, culturelles, vous n'échapperez pas au voyage dans le Transsibérien, en compagnie d'auteurs contemporains, Sylvie Germain, Mathias Enard, Jean Echenoz, entre autres, mais aussi des précurseurs du genre qui les premiers ont été attirés par ce train mythique, Blaise Cendrars ou Joseph Kessel. Irkoutsk, Oulan-Oude, Vladivostok, autant de brèves escales propices à la réminiscence d'émois passés ou aux rencontres furtives. autant d'hommages aux grands hommes comme aux anonymes dont les yeux ont contemplé les mêmes paysages, bois, steppes, lacs, fleuves...

"Maisons de planches noires, palissades noires moirées d'argent, toîts de tôle blancs sous des fils électriques erratiques, pistes où cahotent des Ladas. J'ai lu quelque part, il me semble, que le goût russe des palissades était une façon de se protéger de l'espace immense, de l'angoisse qui naît de l'illimité."

La seconde partie du livre est composée de trois articles inédits qui nous entraînent vers la Sibérie septentrionale. Départ de Khatanga pour l'univers de la taïga et de la toundra, celui des petits peuples, Yakoutes, Tchouktches, Dolganes, rivages gelés de la banquise que se disputent aux rennes ou aux ours les épaves de sous-marins nucléaires et les brise-glace, pour arriver finalement au détroit de Béring et resdescendre vers Magadan et Sakhaline en passant par le Kamchatka. 

Russes ou autres,  "On croise ici des destins qui sortent de l'ordinaire. Des vies taillées à coups de hache."

Au premier rang desquels, les millions de Zeks dont les fantômes errent encore sur les routes des goulags. Et c'est là tout le paradoxe de ce continent. Tout comme la beauté fulgurante des paysages est soudain poignardée par la réalité du gloaque russe, tous ces noms, qui pour les uns résonnent comme autant d'ailleurs générateurs de rêves, ont été le lit des pires cauchemars des autres.

Dans un autre registre, il est à craindre qu'un autre cauchemar se profile. La Sibérie, terre d'exils par excellence, l'est aussi pour l'écologie. Si on peut comprendre que l'âpreté et la rudesse de la vie quotidienne n'en font pas une priorité, il n'en reste pas moins que cette terre sert de poubelle à l'armée et que l'exploitation de son sous-sol riche en gaz, pétrole et minéraux très recherchés remplit les poches des oligarques au mépris de tout.

Sibérie, soit 13 millions de km² que l'auteur nous fait traverser en quatre-vingt douze pages. Grâce à de nombreux instantanés agrémentés de références littéraires triées sur le volet, il réussit à balayer espace et temps qui n'ont plus grand sens sous ces latitudes.

Une petite virée dans l'île Sakhaline ? C'est  ICI  et c'est magnifique ! 

Sibérie      Olivier Rolin      Editions Inculte

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Boris Klevogin 2004

7 juin 2011

Marche ou crève

La_diagonale_du__4dc2b5c2490c6Un homme d'affaires à qui tout réussit ou presque, sa femme l'a quitté et son associé est décédé brutalement, plaque tout du jour au lendemain pour se réfugier dans un gîte isolé sur un plateau ardéchois le long d'une ligne imaginaire au nom ensorcelleur, la Diagonale du vide. Cette ligne fictive s'étend grosso modo des Landes aux Ardennes et détient le record de la plus faible densité humaine au km². Voilà qui ne saurait déplaire à la sauvage que je deviens en vieillissant, et de me dire que je me suis peut-être trompée de destination en venant me perdre au fond du Finistère, mais passons...

"Ne plus bouger. Ne plus partir. Surtout ne plus parler. Trouver au plus vite un endroit retiré. Avec du silence. De la lenteur. Peut-être un brin de tristesse. De préférence dans une région sauvage."

Marc Travenne macère donc dans sa solitude quand surgit une blonde randonneuse qui n'a de cesse de l'intriguer. Pensant saisir une occasion de donner un tournant à sa vie, il décide de partir à sa recherche quelques jours après le départ cette femme mystérieuse. Il la retrouvera et s'embarquera dans un curieux périple, alors que parallèlement une ancienne et brève maîtresse entre à nouveau en contact avec lui et que sa vieille mère, elle aussi solitaire, lui réclame une dernière virée au village de son enfance.

Que dire de ce livre ? J'ai d'abord accusé une légère déception à la rencontre des protagonistes. Pierre Péju nous a habitués à des personnages à la marge, des paumés, des tourmentés, des exclus. Ceux croisés sur la diagonale du vide n'échappent pas à la règle mais, car il y a un mais, ils évoluent dans des milieux bien différents de ceux où l'auteur nous entraîne d'ordinaire. On a ici en toile de fond le monde du business, de la presse, de l'armée et des services secrets, ça pue donc le fric, la facilité, le pouvoir et les magouilles à plein nez.

La route de Marc Travenne dévie donc rapidement des GR français pour emprunter des chemins bien plus scabreux et plonger dans des ambiances de 11 Septembre new-yorkais et de guerre d'Afghanistan, ce qui n'est pas vraiment des randonnées de tout repos, vous vous en doutez, et pas spécialement mes road-movies favoris.

Fidèle à lui-même, Pierre Péju a toujours la grâce et le talent de nous peindre les grands espaces désolés qu'il affectionne tant. Y errent sur des fils fragiles, qui finiront par s'entre-mêler ou rompre, des personnages à la dérive mais envers lesquels j'ai eu du mal à éprouver l'empathie naturelle qui me saisit en général à la lecture des romans de l'auteur.

"Mais là-bas après chaque journée étouffante il y a ce que j'appelle la récompense du soir, ce moment de pure clarté afghane, lorsque les choses semblent posées dans la transparence et comme nimbées par un poudroiement doré, une pluie de particules d'or, poussière ou pollen autour des corps, tandis que les ombres des maisons, des hommes et des bêtes, ombres épaisses et brunes comme du feutre, s'allongent démesurément sur le sol encore brûlant jusqu'à ce que le soleil disparaisse et que le poudroiement ne soit plus qu'une nuée lasse et soudain cendreuse, soulevée par les sabots des bêtes qui ne bougent presque plus dans la nuit qui tombe, ou par les pneus d'un de ces magnifiques camions afghans, qui surgit tout à coup, surchargé, avec des images naïves, souvent drôles, peinturlurées partout sur son capot et ses portières."

J'aurais aimé retrouver davantage de ces envolées lyriques, de celles qui m'ont tant fait aimer "Le rire de l'ogre", mais l'auteur privilégie ici les ressorts d'une intrigue un peu convenue, à la fois facile et tirée par les cheveux, qui résonne plus avec l'actualité et moins avec l'anonymat. Il est beaucoup plus aisé d'être à la marge quand on est un nanti au portefeuille bien rempli, ce qui donne un aspect improbable à ce roman et une rédemption un peu surfaite. Un invisible aimant m'a cependant tirée jusqu'à la dernière ligne malgré la mise à distance de mes émotions.

L'avis de Krol plutôt enthousiaste  LA
Et celui de Bellesahi qui vous en parlait ICI 

La Diagonale du vide      Pierre Péju       Editions Folio

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30 mai 2011

A quels seins se vouer ?

9782709634472La petite Agatina voit toujours arriver le 5 Février avec joie. Ce jour est synonyme de réjouissances culinaires en compagnie de sa grand-mère, elle aussi prénommée Agata, laquelle  met un point d'honneur à célébrer la sainte du même nom afin d'assurer la protection des femmes de la famille et de leurs précieux atours. Pour cela rien de plus simple, il suffit de confectionner les fameux gâteaux, les tétins de sainte-Agathe, spécialité sicilienne de Catane, sans doute la plus coquine et la plus suggestive des pâtisseries comme l'atteste la photo ci-contre.

Ce moment partagé est aussi l'occasion pour la grand-mère de préparer la fillette à sa future vie de femme et de lui asséner quelques maximes de son cru afin de la mettre en garde contre la gente masculine, tâche non négigeable dans l'univers machiste sicilien. Une femme avertie en vaut-elle deux ? Rien n'est moins sûr...

"Au moment du café, les cassatelle étaient accueillies par des applaudissements. Le grand plateau débordait de ces petites montagnes invitantes, disposées deux par deux. Elles incitaient d'abord à toucher, puis à lêcher le sucre glace et enfin à mordre avec délicatesse, pour ne pas les blesser. Quand je croquais, la crème à la ricotta, au sucre et au chocolat envahissait ma bouche, je la sentais s'étaler sur mon palais ; je fermais les yeux et le plaisir s'étendait à tout mon corps de petite fille (...)"

Mais pour la narratrice, cette cérémonie culinaire est surtout une délicieuse occasion de revisiter l'histoire familiale et de nous conter ce qu'est devenue la petite Agatina. Au fil des pages, nous nous embarquons pour un savoureux voyage au pays de la ricotta, des boulettes de thon à l'orange et au thym, des artichauts panés et de la gelée au café et à la cannelle ! Préparez-vous à une explosion de saveurs et de parfums qui viendront chatouiller vos papilles et vos narines tandis que vous cheminerez sur les chemins caillouteux ou les rues poussièreuses de la Sicile en compagnie de personnages hauts en couleur et aux caractères bien trempés !

"Assunta avait rencontré son mari, mon arrière-grand-père, à l'époque de la moisson : un bandit de passage qui battait la campagne en évitant les routes fréquentées et les places des villages. Ils s'étaient croisés une nuit d'août, avant l'aube, quand l'air condense les rêves sur les hommes et les transforme en désir. Le ciel était un pan de tissu sombre tendu entre les étoiles qui en trouaient la trame."

Dotée d'un talent évocateur indéniable, l'auteure nous offre une vision sans fioriture de la société sicilienne où, si les hommes n'ont pas le beau rôle, les femmes ne sont pas en reste non plus... Entre dévotions et autres bondieuseries, les langues de vipères vont bon train tandis que mafiosi machos font la loi et chavirer le coeur des femmes, même celles les plus émancipées ou les plus averties... La cuisine et l'amour ont toujours fait bon ménage, la fillette Agatina n'échappera pas à son destin. Le Sirocco balaiera de son souffle torride sa vie adulte, un souffle qui peut rendre fou, mais la sensualité qu'il génère vaut peut-être la peine de s'y laisser emporter.

Comme le pendant italien à "L'illustrissime gâteau café café d'Irina Sasson " de Joëlle Tiano, "Les tétins de sainte-Agathe" viennent lui faire une douce et sympathique concurrence. Ils trouveront leur place sur les étagères de votre bibliothèque ou de votre cuisine, c'est au choix, car bien sûr la recette y figure mais, comme pour le précédent, ne comptez pas sur moi pour la divulguer ici... Ne me remerciez pas de prendre soin de votre ligne ! 

Merci à l'équipe de     Logo-Partenariats-News-Book    pour ce délicieux premier partenariat !

Les tétins de sainte-Agathe      Giuseppina Torregrossa      Editions JC Lattès

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Sainte-Agathe de Catane
(Francisco de Zurbaran
1630-1633
Musée Fabre Montpellier)

22 mai 2011

Bijou cailloux

9782265092570Elsa Préau, institutrice et directrice d'école à la retraite, revient vivre en région parisienne après avoir passé une dizaine d'années dans le sud. Elle réintègre son pavillon meulière qui, tel un vestige du passé, persiste à témoigner de ce que fut ce coin de banlieue en pleine restructuration. Caché derrière de hautes haies, le jardin devient vite le refuge des chats errants et, depuis l'étage, les fenêtres sont un magnifique poste d'observation pour cette vieille dame un brin fantasque et solitaire.

"Le dimanche était un terrible jour. Les enfants ne revenaient pas de l'école en chantonnant sur le trottoir, le facteur ne circulait plus en faisant teinter* la sonnette de son vélo, le ballet des camions-bennes et tracto-pelles travaillant sur des chantiers avoisinants cessait brutalement, les vitres de la maison de Mme Préau ne vibraient plus à leur passage, la rue était déserte, le quartier comme siphonné de toute clameur, pas même un matou borgne pour traverser en fraude le jardin couvert de rosée, le silence épaississait jusqu'à l'insoutenable.
Alors Mme Préau regardait chez ses voisins."

Fort de son expérience auprès des enfants, Elsa ne tarde pas à détecter que quelque chose ne tourne pas rond dans le comportement d'un des garçons de ses voisins. Contrairement à son frère et à sa soeur plus jeunes il ne joue pas, se contentant seulement de manipuler quelques brindilles et cailloux, il a un air malingre et négligé et ne communique pas avec les autres.

Tout en continuant son petit trin-trin quotidien, entre visites de son fils et de sa femme de ménage, Elsa va mener sa petite enquête d'autant plus que les bizarreries se multiplient... 

Je n'en dirai pas plus. Je vous laisse vous perdre dans les méandres de la vie d'Elsa, entre cauchemar ou réalité. L'auteur vous trimballera par le bout du nez distillant çà et là, et de façon désordonnée, des indices qui vous éclairent pour mieux vous faire douter l'instant d'après.

Décidément les vieilles dames indignes ont le vent en poupe et leur fréquentation est jubilatoire !

Allez traîner dans La Ruelle Bleue  pour faire davantage connaissance avec Elsa, vous ne le regretterez pas.

(* Il y a du laisser-aller chez les correcteurs, "tinter" aurait été plus approprié...)  

L'enfant aux cailloux      Sophie Loubière      Editions Fleuve Noir

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17 mai 2011

Gadjo tovarich

9782841115433Perdus au fin fond des montagnes de Transylvanie, les villageois de Baia Luna, Roumains, Hongrois, Saxons et Tziganes, cohabitent sous la protection de la Vierge du Perpétuel Secours. Tout va presque bien à Baia Luna. Car, bien qu'oubliés du progrès socialiste de l'après-guerre, les habitants n'en fêtent pas moins le succès de Spoutnik 2 qui bip-bipe au-dessus de leurs têtes en cette nuit du 5 Novembre 1957.

Si cette fameuse nuit consacre la supériorité soviétique en matière aérospatiale à grands coups de zuika et de sylvaner, elle signe aussi le début d'une série d'étranges événements dont Pavel Botev, quinze ans à l'époque, va être le témoin.  Le suicide apparent de son institutrice suivi de la mort du père Johannes et de sa gouvernante, puis la disparition de la statue de la Vierge du Pertpétuel Secours, viennent troubler la vie de la communauté et alimenter les conversations du café-épicerie tenu par Ilja, le grand-père de Pavel.

"Et je fus littéralement foudroyé par l'abondance des produits disposés sur les rayonnages hauts comme des tours qui s'élevaient derrière le comptoir. Dans ce magasin, constatai-je, on trouvait quatre marques différentes de dentifrice et deux fois autant de sortes de savons, dont le noble Luxor à l'essence de roses, que réclamait régulièrement cette vieille bique de Vera Raducanu, pour humilier grand-père. Alors qu'Ilja n'avait qu'une étagère de conserves dont on ne savait jamais exactement ce qu'elles contenaient parce que les étiquettes étaient complètement défraîchies, dans l'espace de vente de la coopérative de consommation populaire socialiste s'empilaient, en pyramides artistiques, d'innombrables boîtes de fer-blanc contenant tous les légumes imaginables."

Suite à un tas de circonstances, Pavel se retrouve en première ligne, embringué dans une aventure qui durera pas moins de... trente deux ans ! Et c'est l'histoire encore toute récente de la Roumanie qui nous est magistralement servie là sur un plateau, car il faudra à Pavel traverser les années 60 et bien au-delà, jusqu'à la chute du Condutador et de sa femme à la fin de 1989, pour connaître le fin mot de l'histoire de ces trois morts qui ont marqué son adolescence et orienteront toute sa vie.

Si vous aimez le cinéma de Kusturica ou de Tony Gatlif, ce livre est pour vous !

Vous y croiserez un couple de vieux copains extravagants, Dimitriu l'érudit chef du clan tzigane et Ilja le gadjo illétré, liés à la vie à la mort et qui, quand ils ne sont pas fâchés, consacrent leur temps à traquer la mère de Dieu; Johannes Baptiste le curé fédérateur au passé pas très net, l'institutrice la Barbu qui noie sa déprime dans l'eau de vie de prunes, un photographe féru de Nietzstche, Buba la belle et jeune Tzigane au troisième oeil redoutable et un tas d'autres personnages truculents qui pataugent, joyeusement résignés, dans la gadoue et la brume hivernales de Baia Luna  quand ils ne s'étripent pas au nom du collectivisme ou de la Securitate devant un antique téléviseur qui déverse des propos aussi solennels qu'hilarants.

Si vous ajoutez un entonnoir en guise de cornet acoustique, du barbelé en place et lieu d'antenne, des reliques lactées en provenance directe des seins de la Vierge, des théories scientifiques farfelues, un mystérieux cahier vert et de troublantes photos, vous obtenez un capharnaüm explosif qui poussent nos héros à cavaler de la terre à la lune et des montagnes à la ville à la poursuite de la vérité dans un thriller politico-satyrique unique en son genre.

"La carte, écrite dans une calligraphie chargée, proposait des plats multiples, qui nous parurent plus que suspects. De toute évidence, cet établissement servait des spécialités culinaires qui n'étaitent pas présentées l'une à côté de l'autre, mais l'une sur l'autre, comme un "Artichaut sur vinaigrette", qui ne correspondait à rien de concret dans l'esprit de grand-père. De plus, les prix étaient astronomiques. Sur la dernière page, sous la rubrique " Plats roboratifs du patrimoine culinaire populaire", nous découvrîmes enfin des mets à notre goût." 

Un immense merci à  logomassecrtitique pour cette découverte rocambolesque et osée qui mêle adroitement l'humour et la tendresse à la triste réalité de la folie d'un homme...

 Le jour où la Vierge a marché sur la lune      Rolf Bauerdick      Editions NiL

 

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12 mai 2011

Au bord du vide

9782742796779Une maison au bord d'une falaise qui menace de s'effondrer à tout instant, une mère aux nerfs fragiles et à la main leste, un père souvent absent, un pépé canne à pêche et une mémé gâteaux, un bon copain, un vélo et des zéros à l'école. On a l'impression d'avoir déjà lu ça une centaine de fois, mais quand l'auteur s'appelle Claudie Gallay on s'embarque sans hésitation pour la cent unième.

 D'un côté il y a des saveurs de tartines de pain beurrées couvertes de copeaux de chocolat, des séjours chez les grands-parents comme des petites percées de paradis quand ça tangue trop chez les parents, des courses à vélo dans la campagne ou la joie d'un voyage à la mer, de l'autre le sentiment de ne pas compter, que la vie peut ressembler à un château de sable, le corps qui parle quand les mots manquent... Bref, une histoire simple aux effluves de parfums d'enfance mêlés, les plus doux comme les plus amers.

"Je prends une feuille dans le tas et je fais un dessin. Quand j'ai fini, je lui montre.
- C'est une montagne ? il demande.
- C'est là-bas que je veux aller quand je serai grand, quand j'en aurai fini avec ici.
Il pose le dessin bien à plat sur le bureau et il le regarde attentivement. Il secoue un peu la tête.
- Dans ton dessin, il n'y a personne, pas de maisons, pas de routes. Où habitent les gens ?
- Il n'y en a pas, je dis. C'est que du silence.
Le silence, c'est quelque chose de grand, de rond, on peut s'enfoncer. Je lui montre avec mes mains. Je n'ai pas besoin de mots. Il comprend. Il note dans son cahier.
- C'est tout pour aujourd'hui, il dit, on a bien travaillé." 

Laissez-vous toucher par ce petit héros pris dans les bourrasques des adultes et qui, tel un funambule, se balade sur la corde raide des émotions et tente tant bien que mal de conserver son équilibre tandis qu'autour de lui le monde s'écroule.
Entre nostalgie et mélancolie, ce livre résonnera chez ceux qui ont encore un peu mal à leur enfance mais qui gardent au fond d'eux quelques instants magiques qui leur ont donné la force de grandir.

Les années cerises      Claudie  Gallay     Editions Babel Actes Sud

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8 mai 2011

Mea culpa

4141iconfessionsJ'ai tardé à rendre ma copie car j'ai voulu relire les cinq nouvelles qui composent cet opus, la première lecture n'ayant pas été des plus convaincantes. Hélas, je suis au regret de constater que la seconde ne l'a pas été davantage.

A l'instar de la photo de couverture, cinq hommes seuls tentent de briser la paroie de verre qui les sépare de leurs semblables, enfermés qu'ils sont dans la banalité et la monotonie de leur vie.

"Il se sentait seul sans être malheureux ; en fait, seul sans être heureux. C'était un mélange contrasté de confort et d'inconfort."

Loin de nous plonger dans les affres tourmentées ou  les illuminations géniales que génère la solitude, l'auteur opte pour une analyse plutôt froide et détaillée des états d'âmes d'hommes ordinaires qui peinent à trouver le chemin qui mène aux autres. L'écriture est parfois d'une précision quasi clinique qui laisse peu de place à la fantaisie. Les personnages ruminent leur piètre condition d'hommes seuls, sans pour autant ni en souffrir réellement ni en jouir. A moins d'aborder le sujet sous l'angle de l'absurde, petit clin d'oeil à Camus, je suis complètement passée à côté de ce livre.  J'ai regretté l'absence d'émotion et de sentiments qui m'ont rendu les personnages ennuyeux voire antipathiques, et j'ai attendu à chaque fois en vain une chute qui, en un subtil retournement, m'aurait fait changer d'avis.

Bref, un livre bien écrit mais d'une écriture trop sage, trop polie, qui, à mon goût, manque cruellement d'une poésie ou d'une révolte dont la solitude n'est pourtant pas avare. J'espère ne pas être cynique en disant qu'on n'a pas très envie de fréquenter ces personnages et que, finalement, leur isolement n'est peut-être pas le fruit du hasard...

Désolée pour ce premier partenariat en forme de flop avec Les Agents Littéraires.

Confessions solitaires     Andrea Della Vecchia      Editions Publibook   

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