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Le Souk de Moustafette
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14 mai 2018

Pataquès au Potala

9782290029817Bastien, vieux gardien lyonnais à la retraite, pratiquant le tai-chi, féru de langues orientales, de mandalas et de bouddhisme tibétain, vit dans le même immeuble que Rose, mère d'un petit Paul et historienne passionnée par Alexandra David-Néel. Ces deux-là étaient forcément faits pour s'entendre et se retrouver à fouler ensemble le sol de Lhassa. Cette aventure nous est contée via Paul, devenu adulte et écrivain, qui envoie à sa mère les épreuves de son roman qu'elle commente, rectifie et enrichie, se remémorant cette année 1986 et son escapade tibétaine improvisée en compagnie de Bastien, dont le passé trouble va peut-être se révéler au pied du Potala.

"Si vous vous intéressez un peu au Tibet, vous savez que les coïncidences n'existent pas, il n'y a que des rencontres nécessaires."

De part son format court, à peine 150 pages, ce texte est plus proche de la fable que du roman. J'avoue que plusieurs centaines de pages supplémentaires, dans la même veine que L'île du Point Némo, n'auraient pas été pour me déplaire et je me serais volontiers laissée embarquer pour un roman d'aventure délirant auquel, à mon humble avis, le Tibet se prêtait bien. Mais tel n'était pas le propos de l'auteur. En place de quoi, ce texte a pour ambition de nous donner à réfléchir à la fabrication et la place de la fiction dans notre vie mais aussi dans l'Histoire. Car c'est autour des supposées Brigades tibétaines du IIIe Reich que tourne le mystère de Bastien.

L'auteur s'y entend à merveille pour démonter, références historiques et littéraires à l'appui, la construction d'un mysticisme nazi s'enracinant dans les sociétés secrètes qui fleurissent dès le XVIIe siècle jusqu'à une littérature ésotérique, en pleine essor au début du XXe, qui prône déjà l'existence d'un surhomme germanique. Littérature fallacieuse et sans aucun fondement historique mais qui fascinera Himmler. On connait la suite. Et on pense, hélas, que ce ramassis d'élucubrations alimente encore de nos jours certains groupuscules, aussi primaires que dangereux, ou le discours de personnalités plus en vue, qui croient encore à la véracité des Protocoles de Sion, pour ne citer que cette référence. Donc, exit les Brigades tibétaines, même si une expédition scientifique allemande a bien eu lieu dans les années 30. 

"Depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, dit-il en soupirant, ce n'est pas qu'ils ne croient plus en rien, c'est qu'ils sont prêts à croire en tout… Une remarque de Chesterton, si j'ai bonne mémoire."

Ce livre évoque en arrière-fond la présence chinoise et sa politique de tabula rasa. Ici, l'extrait évoque un des plus anciens sanctuaires détruit en 1959, L'Ecole de médecine sur Chakpori - la colline de fer - (une des collines sacrées du Tibet central), et depuis remplacé par une antenne-relais :

"Vingt-sept ans après la destruction du temple, les Tibétains s'y pressaient toujours par milliers ; sans rien changer à leurs habitudes, ils suspendaient leurs prières aux montants du pylône, brûlaient leurs bâtonnets d'encens, se prosternaient devant lui avec une dévotion intacte. Le temple de la médecine n'avait pas été rasé, il était seulement devenu invisible, immatériel."

Un petit livre qui se lit très vite. Une sympathique digression sur le mensonge et la fiction et qui nous rappelle que, s'il ne faut pas croire tout ce qu'on nous raconte ni tout ce qu'on lit, leurs pouvoirs, s'ils se révèlent parfois néfastes, peuvent aussi aider... Et en prime, un aperçu du Tibet d'où l'auteur a rapporté quelques instantanés alors qu'il enseignait en Chine dans les années 80.

"Les étals regorgent d'outres de beurre, de barates effilées comme des carquois, de quartiers de viande posés sur des cartons gorgés de sang ; peaux de moutons, cuirs de yacks, briques de thé séché débordent des sacs en jute. Dans les odeurs de tourbe et de beurre rance, un arracheur de dents chinois exerce son métier sur un apache, torsade amarante dans les cheveux, qui repousse la fraise pour mieux tirer sur son mégot. La tête enfouie dans une toque de fourrure géante, à croire qu'il a trois renards vivants entortillés sur le crane, un Tibétain parcheminé vend sa camelote de faux jade. Ici, des petites pommes enrobées de caramel rouge, là des colliers de fromage en rondelles, dures comme de la pierre. Les sourds mugissements d'un groupe de moines avec cloches et tambourins à boules fouettantes dominent cette cohue."

La montagne de minuit     Jean-Marie Blas de Roblès     Editions J'ai lu

 

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Le Chagpori, fondé en 1695, avant sa destruction en 1959  (source ici)

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Et après  (source ici)

 

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9 mai 2018

Morte la bête, mort le venin ?

51SGsB1qYfLDepuis l'édition poche en 2010, je lorgne sur la photo de Robert Capa qui illustre le premier livre inaugurant cette saga, hésitant toujours à franchir le pas ; c'est enfin chose faite. 

En deux tomes, et sur plus de 1300 pages, est retracé le destin de deux familles espagnoles, l'une républicaine, l'autre franquiste, lors d'une traversée du XXe siècle passionnante. Le pont qui les relie est incarné par une jeune gestionnaire à la Caja Madrid, Raquel, qui fut la maîtresse d'un vieillard de 83 ans puis, à la mort de ce dernier, de son fils Alvaro, physicien et prof de fac. Curieux héritage, me direz-vous. C'est qu'il recouvre bien d'autres choses lorsqu'on sait que Raquel est issue d'un clan républicain, exilé en France suite à la victoire fasciste, et qu'Alvaro est le dernier fils du vieil homme qui a fait fortune sous la dictature de Franco. A partir de là, les conjectures qui président à leur rencontre et alimentent leur liaison, sont nombreuses...

41cIs9NkV+LEt c'est avec brio, et dans un complexe montage chronologique, que l'auteure va nous livrer les éléments qui nourrissent cet amour pour le moins inattendu. De la bataille de Madrid en 1936 en passant par les camps de réfugiés républicains du sud de la France en 1939 et le front de l'Est où la División azul, composée de phalangistes, partit se battre en 1941 sous uniforme de la Wehrmatch contre les armées de Staline, puis des maquis où durant la dernière guerre syndicalistes et républicains luttèrent au côté des Français, jusqu'à la mort de Franco en 1975 et les années suivantes qui virent le retour des exilés, c'est une plongée passionnante dans l'Histotre que nous offre Almudena Grandes. Histoire espagnole certes, mais aussi Histoire française, guère à notre honneur au regard du traitement inhumain que l'on infligea aux réfugiés qui n'hésitèrent pas pour autant à nous aider à vaincre le fascisme allemand avec l'espoir déçu qu'ensuite les Alliés les débarrasseraient de Franco.

Deux figures sont omniprésentes, Ignacio, grand-père de Raquel, "Ignacio Fernández Muños, alias l'Avocat, défenseur de Madrid, capitaine de l'Armée populaire de la République, combattant antifasciste lors de la Seconde Guerre mondiale, rouge et espagnol, décoré deux fois pour avoir libéré la France." et Julio, père d'Alvaro, "Plus jamais Julio Carrión González ne retournera auprès de ceux qui perdent, se promit-il à cet instant. Jamais, plus jamais". Forts de leurs convictions ou de leurs promesses, ces deux-là se croiseront peu de temps, juste assez pour préparer le terreau sous lequel s'enracinera le destin de leur descendance.

Une histoire parmi tant d'autres, histoire d'une ville, Madrid, histoire de guerre et de paix, de deuils et d'amours, de solidarité et de pouvoir, de trahisons et de vengeance, c'est surtout une fresque foisonnante où la fiction se nourrit de la réalité comme l'attestent les notes de l'auteure qui sont tout aussi passionnantes. De plus, l'écriture fait la part belle à l'introspection de la jeune génération et nous invite à réfléchir à la notion de transmission et d'héritage, ou comment gérer l'ambivalence de nos attachements à des êtres aimés tout autant que détestables et assumer le poids du passé.

"Le temps a fait son oeuvre, me direz-vous, et vous aurez raison, mais nous portons tous encore la poussière de la dictature sur les chaussures, vous aussi, même si vous ne le savez pas."

L'exposition de Guernica, vue récemment, et notamment les archives présentées, m'ont enfin donné envie de lire ce roman.

 

Pendant l'Occupation, de nombreux réfugiés ont contribué à la construction du Mur de l'Atlantique et des bases sous-marines de Brest ou de Lorient, d'autres étaient réquisitionnés pour le STO en Allemagne, beaucoup furent envoyés dans d'autres camps, allemands ceux-là. A la Libération, ce sont encore les républicains et les anarcho-syndicalistes qui sont entrés les premiers dans Paris avec La Nueve, la 9ème compagnie de la 2ème DB du Gal Leclerc, ce que curieusement les livres d'histoire ne mentionnent jamais. Et puis d'autres sont restés là où La Retirada les avait emportés, comme les familles de la video, tout près de chez moi, devenues un peu bretonnes... Un article à ce sujet ICI.

Lu dans le cadre du mois espagnol du Défi littéraire de Madame lit.

Le Coeur glacé     Almudena Grandes    (traduit par Marianne Millon)   Editions Le Livre de Poche

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3 mai 2018

Sauf, exception

CVT_Sauf_980Si ce livre n'avait pas été lu dans le cadre du dernier partenariat Masse Critique, je ne l'aurais sans doute pas chroniqué. En effet, j'ai été très déçue à la lecture de cet auteur que je ne connaissais que de nom. La jolie couverture semblait prometteuse, sans compter qu'une partie de l'intrigue se déroule à la pointe Finistère, un lieu que j'affectionne tout particulièrement pour son air vivifiant et ses paysages sauvages. Mais voilà, entre couverture et décor, il faut encore y mettre matière à composer, tendre une ligne entre réalité et fiction sur laquelle le lecteur va naviguer et se laisser embarquer. Et moi, je suis restée à quai.

Cela débutait bien à mon goût car on rentre rapidement dans le vif du sujet. Un homme, dont les parents sont morts dans l'incendie de leur manoir breton alors qu'il n'avait que 6 ans, se retrouve un jour en possession d'un album photo familial alors que tout était censé avoir brûlé. Page 22, c'est sa jolie maison sur une île des bords de Marne qui s'envole en fumée. Là, je me dis que le mec n'a vraiment pas de bol, mais je suis bien vite rassurée car une de ses employées se trouve être propriétaire d'un immense appartement inoccupé, avec vue sur la Seine, le Grand Palais et la tour Eiffel, qu'elle s'empresse de lui prêter. Et, tant qu'à faire, page 56 apparaît la luxueuse Mercedes et la carte d'essence qui va avec, ce qui tombe à pic puisque nos personnages vont devoir cavaler jusqu'en Norvège. Page 56 donc, et là je sens déjà  l'agacement grimper au-delà de mon seuil de tolérance. Mais quand des rebondissements plus improbables les uns que les autres se succèdent sans arrêt, trop c'est trop, j'ai eu envie de crier STOP ! J'ai quand même fait l'effort d'aller jusqu'à la fin, Masse Critique oblige, tout en essayant de trouver quelque chose de positif afin de ne pas flinguer complètement ce bouquin, mais c'est tellement bourré de clichés et de facilités que les ficelles deviennent des cordes. Cela en devient lassant. Lorsque je l'ai refermé, la seule réflexion qui m'est venue à l'esprit c'est, tout ça pour ça ?..

"On arrive à Kerloch à l'aube par la route qui longue la mer. Le soleil se lève sur les Tas de Pois, ces trois dômes de pierre émergeant de l'océan que je n'ai jusqu'à présent pu admirer qu'en photo."

lestasdepois0Les Tas de pois au large de Camaret à la pointe de Pen-Hir sur la presqu'île de Crozon

Bref, vraiment désolée Babelio, merci quand même pour ce partenariat, ainsi qu'aux Editions Fleuve noir, qui habituellement sont plutôt gage de qualité, mais sur ce coup, je ne peux, moi non plus, faire mieux. A quelques exceptions près, beaucoup d'avis plus élogieux que le mien sur le site

Sauf    Hervé Commère    Editions Fleuve Noir

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28 avril 2018

Mendelssohn mania

CVT_La-carte-des-Mendelssohn_8495Une sacrée saga familiale que celle des Mendelssohn et dans laquelle s'embarque Diane Meur ! Felix, le musicien, est bien sûr de loin le plus célèbre. Mais Moses (1729-1786), son grand-père paternel, petit juif surdoué du ghetto de Dessau, fut le plus érudit et devint un des grands philosophes des Lumières prônant la tolérance et la liberté de culte. Cependant, c'est Abraham, le père de Felix, personnage anonyme et banquier de son état, qui décida l'auteure à se pencher sur cette famille, sans se douter que ces trois personnages allaient, de par leurs descendances et leurs alliances, envahir son esprit. Quand elle tentait de modérer cette quasi-obsession, hasards et coïncidences revenaient attiser et remettre sur les rails sa curiosité, et elle repartait dans cette quête qui semblait ne jamais vouloir finir. Je rappelle qu'elle commence en 1729, année de naissance de Moses, et qu'il fut le père de dix enfants. Cela débutait fort.

"Quel merveilleux sujet de roman, m'étais-je dit alors. Et quelle intéressante situation historique ! Etre le fils d'un philosophe des Lumières mort trois ans avant la Révolution française, être le père d'un compositeur romantique mort l'année précédant le Printemps des peuples, et de cette vie placée sous le signe de l'entre-deux - entre deux génies, entre deux dates charnières - n'avoir rien fait, ou rien de marquant. Un roman sur le vide et sur les filiations."

 Inutile de vous dire qu'il est impossible de résumer cette saga tant il y a de personnages, de lieux, de dates. D'un point de vue historique, il s'agit d'un travail remarquable, doublé d'une enquête généalogique dans toute sa splendeur, à faire pâlir la thérapeute familiale que je suis ! (j'avoue être souvent frustrée par l'ignorance ou l'absence de curiosité des familles modernes qui semblent souvent oublier qu'il y a un avant au-delà de leurs grands-parents). Dans ce Mendelssohn-Klompex, comme le nomme Diane Meur, le personnage de Felix devient presque anecdotique.

Parallèlement, nous suivons le parcours de l'auteure qui, en toute logique, commence par la construction d'un arbre généalogique qui va rapidement se transformer en baobab tentaculaire envahissant son salon. Là encore, j'admire le passage de l'arbre à la constellation et son ingéniosité à maîtriser la bête, car le Mendelssohn-Klompex, c'est 765 noms sur 4 continents sur 2m² de bristols ! (cliquer sur le lien ci-dessous pour agrandir)

canvas

© Diane Meur pour la réalisation/© Henri Desbois pour la photographie

 "Candide et circonspect, mon fils cadet reste à distance et pose la seule question à laquelle je n'ai pas envie de répondre: ─ Ça sert à quoi ? "

C'est ce travail de titan, une véritable enquête, qui m'a le plus captivée, ses recherches en bibliothèques, musées, archives, ses recoupements,  rencontres etc... Ses prises de tête avec la construction de la carte généalogique, ses états d'âme, passant de l'agitation euphorique au découragement et à la fatigue - que son entourage subit aussi - et enfin, l'écriture même du livre en résidence  en Belgique, au Pont-d'Oye, ancien marquisat dont le château est aujourd'hui dédié à la création littéraire grâce au baron Pierre Nothomb, aïeul de la célèbre Amélie.

D'un point de vue biographique, les vies du philosophe Moses Mendelssohn et de son petit-fils Felix sont de loin les plus intéressantes. Mais j'ai bien sympathisé avec Brendel la scandaleuse, fille aînée de Moses au caractère fantasque, qui a mené une vie turbulente, amour libre, divorce, plusieurs conversions religieuses ; par contre, le destin de sa nièce Fanny, soeur de Felix, est révélateur de l'époque. Musicienne talentueuse, elle fut sacrifiée au profit de son frère, qui ne l'aida en rien malgré leur fort attachement, et c'est alors qu'une reconnaissance de son talent émergeait enfin qu'elle disparut à l'âge de 41 ans. Felix mourut cinq mois plus tard à 38 ans.

J'ai retrouvé avec plaisir Diane Meur, dont j'avais adoré, mais pas chroniqué, Les Vivants et les Ombres. Cependant, la lecture de celui-ci est plus complexe et pourra sembler rébarbative à qui ne se passionne ni pour la généalogie ni pour cette famille. En tout cas, un roman qui rend bien compte de "l'interculturalité" prônée par le patriarche.

L'avis de DASOLA

Ma dernière contribution au mois belge dans le cadre du Défi littéraire de Madame lit.

La  Carte des Mendelssohn     Diane Meur     Editions  Le Livre de Poche

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17 avril 2018

Partances

cvt_Les-derniers-planteurs-de-fumee_1844Un petit recueil de sept textes poétiques entre souvenirs d'enfance et hommage à la région de l'Ardenne située au carrefour de trois pays et dont le sol, en d'autres temps, fut foulé par des noms célèbres.

"L'Ardenne est bien ce pays dont on ne revient pas. Qu'on soit du centre ou des lisières, ou qu'on ait fui à cent lieues de là, l'Ardenne vous tient et ne vous lâchera plus. Car elle existe et n'existe pas, comme le jardin sauvage, inquiétant et merveilleux à la fois, le concentré de rêves et d'images, qui trempa notre enfance comme une aube à pieds nus ou comme une mer longtemps promise."

Enfant, l'auteur imaginait la mer au fond de son jardin, porté par la présence de son grand-père et ses souvenirs de marin, casquette sur la tête et pipe d'écume à la bouche. Devenu adulte, c'est dans une caravane immobile, baptisée Partance et remisée au fond de son jardin, qu'il poursuivra ses voyages à deux pas de chez lui.

"Demain, le jardin du monde va refleurir, qui rend ses couleurs aux plus vieilles images, toute sa lumière à celui qui, regardant, voit plus loin que ses yeux et met la mer en bouteille en marchant dans un livre."

Guy Goffette n'a pas son pareil pour faire renaître les ambiances des dimanches pluvieux des enfants solitaires dont l'ennui s'échappe vers l'ailleurs des rêves. Mais à l'âge adulte, ils rebrousseront chemin, recherchant la magie de ces instants porteurs de tous les possibles. Comme si, adultes ayant pourtant parcouru le monde, ces moments restent leurs plus beaux voyages. L'auteur a l'art du raccourci, un bout de terre, un morceau d'horizon, le flot d'une rivière, des odeurs de plans de tabac qui sèchent et "C'est l'heure des souvenirs qu'on tait et qui montent tout seuls dans l'air comme un nuage léger, âcre un peu, parfumé, vers les clignotantes lumières du fond des âges."

Guy Goffette est le poète de l'enfance, de la nostalgie, du temps et des rêves perdus. Je l'avais déjà découvert dans "Une enfance lingère" (billet  ICI) qui dans mon souvenir était plus léger, moins mélancolique que Les derniers planteurs de fumée qui, comme pour ralentir le temps, se fait l'éloge des voyages immobiles et de l'imaginaire. Cela se lit avec délectation.

 Cet opuscule est extrait de Partance et autres lieux suivi de Nema problema chez Gallimard

Les derniers planteurs de fumée     Guy Goffette     Editions Folio

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12 avril 2018

Sultan, Vizirs, Pachas et cetera.

41A48AB52TLAlors que le régime turc actuel s'illustre encore et toujours par ses exactions et ses répressions permanentes, j'ai envie de vous présenter ce livre d'Ahmet Altan, publié dans son pays en 1998. L'auteur, journaliste et écrivain, a été condamné en Février à la prison à perpétuité (aggravée et incompressible) suite à la tentative de coup d'Etat de Juillet 2016, pour lequel il est accusé, ainsi que son frère et quatre autres personnes, de terrorisme et de tentative de renversement du gouvernement via "un message subliminal" qu'il aurait délivré la veille lors d'une émission de télévision...

Ce roman, lui, n'a rien de subliminal et dire qu'il est sublime serait facile... Ce qui est certain, c'est qu'il nous conte une page d'histoire de l'Empire ottoman qu'il serait bon de nous rappeler aujourd'hui tant les similitudes foisonnent. Osons rêver à la fin d'un autre règne, bientôt.

Nous sommes à la fin du XIXe siècle, Stamboul n'est encore que le nom de la vieille ville, le Sultan règne sur un Empire agité de velléités d'indépendances diverses mais, retranché en son palais, il ne prête qu'une attention discrète aux remous qui frappent à la Sublime Porte. Fort qu'il est de sa police, de ses espions et de la fidélité de ses pachas, c'est plutôt de son frère qu'il pense voir venir la félonie.  

C'est par la voix d'Osman - un vieil homme à moitié fou qui vit et parle avec ses morts, enfermé dans un appartement rempli d'objets ayant appartenus aux différents protagonistes - que leur histoire nous est contée. Hikmète Bey, fils du médecin du Sultan, a grandi à Paris où il a vécu après la séparation de ses parents. A vingt-quatre ans, il est de retour à Istanbul sur ordre de son père qui veut le marier, entre au service du Sultan comme secrétaire de chancellerie et ne cessera de gravir les échelons. Mehparé Hanim sera celle qu'il se choisira pour épouse alors qu'elle a été répudiée par son premier mari, le Cheikh Youssouf Effendi, grand maître soufi dont le nombre d'adeptes ne cesse de croître. Raguip Bey, un jeune officier prometteur, est rappelé lui aussi à Istanbul par son maréchal, un héros de l'Empire contre lequel complotent les pachas du sérail. Les destins de tout ce beau monde vont se croiser et tenter de composer malgré les multiples réseaux d'espionnage des uns et des autres et la délation élevée au rang d'oeuvre de salubrité publique. Ajoutons à cela, les rébellions de plus en plus fréquentes que le Sultan règle à coup de solutions sanglantes et d'emprisonnements massifs, qu'elles concernent les Arméniens, les Albanais, les Kurdes, les Bulgares, les Serbes ou les Macédoniens, et voilà planté un décor romanesque sur fond de Bosphore.

"La peur et l'oppression qui régnaient dans la ville couverte de sureaux et de cèdres, où la mer, les chèvrefeuilles, les roses, les figues, les citrons et les melons embaumaient obstinément pendant que résonnaient les appels à la prière et les cantiques, composaient le climat à la fois conservateur et excitant de ce pays où les âmes des habitants, enfouissant constamment dans les profondeurs de leur être des sentiments bridés par les interdits et le péché, se changeaient en nuits noires au milieu desquelles leurs sentiments explosaient soudain comme un feu d'artifice."

Bien sûr, il sera question de passions amoureuses, sexuelles, partagées puis contrariées, portées par les figures de la belle Mehparé, mais aussi par la scandaleuse et délicieuse Mihrichah, mère de Hikmète Bey, qui s'en revient de Paris et sème le trouble dans la capitale ottomane, cheveux au vent et décolleté en avant. Mais bien plus, c'est à l'éveil d'une nouvelle conscience politique que nous convie l'auteur, celle des jeunes officiers qui bientôt changeront le destin de l'Empire, et dont le plus célèbre est Mustafa Kemal.

La figure centrale du roman est sans conteste Hikmète Bey qui, fort de son éducation européenne mais coincé de par ses fonctions, va devoir composer avec ses aspirations et les traditions. On assiste à l'évolution de cet homme qui mettra ses déconvenues amoureuses au profit de son pays en s'engageant à sa façon dans une  résistance balbutiante qui ne sera pas exempte de dissonances. Tous soudés pour réclamer la chute du Sultan, l'identité turque va rapidement se heurter à celles des autres peuples de l'Empire. Et Hikmète Bey, partagé puis déboussolé, aura bien du mal à abandonner celle de l'Ottoman cosmopolite épris de liberté et de plaisirs, contrairement à Raguip Bey qui restera droit dans ses bottes et nous instruit sur la genèse du rôle déterminant de l'armée dans l'histoire de la Turquie moderne.

Roman de la sensualité et de la transgression, ce livre est à lire, à offrir, à partager, à réclamer à votre libraire pour comprendre les fondements de ce qui se joue encore aujourd'hui dans ce pays et faire entendre haut et fort, par delà les barreaux, la voix de son auteur afin ne pas oublier le combat de ceux qui s'élèvent pour une société éclairée contre le pouvoir des armes et des religions.

Vous pouvez signer la pétition lancée par Actes Sud, via notre ministre de la culture et fondatrice de ces mêmes éditions. C'était un minimum, l'autre aurait été de remettre en avant sur les tables des libraires les romans d'Ahmet Altan au côté de ceux d'Asli Erdoğan, ce qui n'est pas le cas. A lire également la défense d'Ahmet Altan sur le site de KEDISTAN et dont voici un extrait.

"Les vrais risques pour Erdoğan ne se trouvent pas dans les voix de ces opposants mais dans le silence de ses sympathisants.
Disons-le à la manière de Shakespeare :
Erdoğan, méfie-toi de ce silence.
Dans ce silence, il y a les yeux des enfants affamés.
Les visages livides des sans-emploi dont le teint est devenu d’une blancheur de cire.
Les regards affligés des pères à la tête baissée de gêne devant leurs enfants.
Les sanglots étouffés des mères malheureuses.
Peut-être y a-t-il un moyen de faire taire ces voix.
Comment ferez-vous taire le silence ? Une société entière est malheureuse.
La Turquie regarde en frissonnant un gouvernement devenu fou comme s’il s’agissait d’un homme suspendu au-dessus de l’abyme."

(Translation by Renée Lucie Bourges)

 Comme une blessure de sabre   Ahmet Altan  (traduit par A. Depeyrat)    Editions Actes Sud

 

2012-01-01 0011

Istanbul, majestueuse dans un petit matin brumeux de Décembre 2015

10 avril 2018

A fleur de mots

9782369141839-48d3bUne originalité littéraire, où l'auteur se joue des mots et des émotions, invente des images étonnantes dans des associations inhabituelles et crée au final un langage poétique qui arrondit les angles de cette tragédie.

Une mère, un père, un petit frère, une soeur aînée, une ferme, des animaux, une famille normale dans un monde normal. Sauf que maman trime sous les coups de papa, grande soeur, douze ans au début du livre, essayant déjà de protéger chacun.

"Dans mon dictionnaire, je cherche la langue de Papa, comment la déminer, où trouver la sonnette pour appeler. Mais la langue de Papa n'existe qu'à la ferme, hélas. Il nous conjugue et nous accorde comme il veut. Il est notre langue étrangère, un mot, un poing, puis retour à la ligne jusqu'à la prochaine claque."

Si Marthe, soeur et narratrice de cette histoire, au lieu d'aimer les mots et l'écriture qui lui permettent de sauver sa peau, avait eu le goût de la peinture, elle aurait étalé sur sa toile les couleurs au couteau, un couteau dont la lame les transformerait, comme par magie, en aquarelle au contact de la trame. Mais elle a choisi les mots qui lui viennent de son père d'avant la violence "Je ferai des études pour être professeur de grenier et de livres anciens", et y restera fidèle jusqu'au bout malgré...

C'est un joli travail d'équilibriste que nous offre l'auteur, jeune agrégé de philosophie, sous l'égide d'Eschyle qui, nous apprend wkpd, fut treize fois vainqueur du concours tragique, c'est dire si le bonhomme s'y connaissait en dramaturgie. Si j'avais lu Eschyle, je dirais que l'élève a dépassé le maître, mais comme les Grecs anciens ne font pas partie de mon répertoire, je me garderai bien de faire l'érudite. J'applaudis simplement à la polysémie et à la syntaxe, mots empruntés à la préface car, bien que les connaissant, ils ne me viennent pas spontanément à l'esprit quand je concocte un billet (n'est pas prof qui veut !). Bref, c'est innovant et séduisant, à tel point que la tragédie se dilue et passe un peu au second plan, mais c'est juste mon humble ressenti.

"Aujourd'hui, c'est la grève de la douleur."

Merci à Margotte de m'avoir collé, quasi d'autorité, ce petit livre entre les mains !

 

Sauf les fleurs     Nicolas Clément     Editions Libretto

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7 avril 2018

La petite boiteuse

61ugY2lCIDLQuand je suis tombée sur ce merveilleux album, je n'ai pas résisté bien longtemps. Il y a quelques années (voir billet ICI ), j'avais lu une biographie de Frida Kahlo. Celle que je vous présente aujourd'hui est tout en illustrations.

L'accent est mis sur des thèmes chers à l'artiste. Entre autres, l'inévitable accident à 18 ans ; la médecine, que Frida voulait exercer ; sa terre et sa faune, le Mexique ; l'amour, pour Diego Rivera bien sûr ; la mort, festive dans son pays ; la maternité, impossible, refusée, interdite à Frida.

Chaque thème est illustré sur plusieurs pages pleines, ou découpées et superposées, qui s'effeuillent comme pour plonger à l'essentiel, au noyau qui nourrit l'apparence colorée qui se donne à voir, mais qui cache en son coeur la douleur, la peur, la tristesse, le manque.

Celle qui est la plus réussie, et la plus terrible aussi, est à mon avis l'illustration de la maternité perdue ou rêvée, composée sur trois feuilles, serpents phalliques enroulés sur leur arbre de vie, qui observent le corps de Frida que l'on découvre ensuite seule dans un lit sinistre, pleurant sur son ventre arrondi et qui laisse apercevoir la dernière page, la reproduction d'une planche anatomique de la vie intra-utérine à tous ses stades de développement (et que possédait réellement l'artiste dans son atelier).

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Je trouve émouvants ce geste protecteur et cette unique larme qui coule.

Rassurez-vous le reste est plus coloré, plein d'imagination, mais toujours empreint d'une certaine tristesse (peut-être un peu trop à mon goût, car souvenons-nous de "Viva la vida"). Quoi qu'il en soit, Benjamin Lacombe rend un hommage graphique à la hauteur de son admiration pour cette artiste attachante qui a su mieux que personne mettre en oeuvre et sublimer la souffrance et la douleur qui ont jalonné son existence.

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Deux pages superposées

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Deux autres dont je ne dévoilerai pas les dessous.

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" Ne m'oubliez pas."

Un bien bel objet, à manipuler avec précaution, habillé de tissu, quelques citations et brefs commentaires des auteurs, et des couleurs, des couleurs et encore des couleurs pour enrober la gravité du propos. " Il y a peu, j'étais une petite fille qui marchait dans un monde de couleurs. Tout n'était que mystère. A présent, j'habite une planète douloureuse , transparente, comme de glace, mais qui ne cache rien."

Chaque fois que je croise des mots, une image, un tableau de Frida Kahlo, je ne peux m'empêcher d'être admirative face à son courage de vivre. 

 

Frida    Sébastien Perez & Benjamin Lacombe     Editions Albin Michel

 

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2 avril 2018

Le pays de 6h35

CVT_Zinc_8414Si vous n'êtes pas Belges, qui a déjà entendu parler du village de Moresnet ? Et par où commencer son histoire ?

En 1526, alors que Paracelse remarque ce dépôt de cristaux argentés et de forme acérée au fond d'un four et qu'il nomme Zink (zinken signifie pic en allemand), venant ainsi de découvrir un huitième métal ?

En 1816, quand, suite à la défaite de Waterloo, le congrès de Vienne redessine les frontières de la Prusse et du Royaume-Uni des Pays-Bas sans parvenir à trouver un accord sur un minuscule territoire de 3,44 kilomètres carrés à cause de la présence d'une mine de zinc que chacun revendique ?

En 1903, année où Maria Rixen, servante à Düsseldorf dans la famille Hütten et chassée car enceinte du maître de maison, va se réfugier à Moresnet où elle accouche de son fils Joseph, qui deviendra Emil après son adoption par la famille Pauly ?

Dans un habile maillage, l'auteur va conjuguer ces trois aspects de l'histoire avec pour fil conducteur la vie d'Emil Rixen, né sur ce curieux îlot qu'est Moresnet-Neutre.

"Sans avoir déménagé une seule fois de sa vie, il a été successivement citoyen d'un Etat neutre, sujet de l'Empire allemand, habitant du Royaume de Belgique et citoyen du Troisième Reich. Avant de redevenir Belge, ce qui sera son cinquième changement de nationalité.(...) Il n'a pas traversé de frontières, ce sont les frontières qui l'ont traversé."

Moresnet-Neutre est une enclave entre Moresnet-Belge et Moresnet-Prussien. En 1816, 250 habitants occupent "la capitale", un hameau d'une cinquantaine de maisons nommé Kelmis ou La Calamine, selon la langue utilisée, situé dans la vallée de la Gueule. En 1903, à la naissance d'Emil, 3433 habitants sont recensés, essentiellement des mineurs. C'est bien connu, le provisoire souvent s'éternise, et les aléas géopolitiques des différents acteurs ont fait perdurer cette situation. C'est ainsi qu'au fil du temps, cette bourgade se voit dotée d'un conseil communal par tirage au sort, très peu d'impôts, pas vraiment de langue ni de monnaie officielles, on les parlait et acceptait toutes, pas de scolarité ni de service militaire obligatoires, pas de justice, pas de douane. Par contre, un drapeau et une médaille existaient, un timbre poste a même été édité. Et comme la justice, l'heure était un vrai casse-tête !

"Le territoire neutre était dans le fuseau horaire de Paris, tandis que de l'autre côté de la route, on se réglait sur l'heure de Berlin. Et pour tout arranger, les pendules néerlandaises avaient de surcroît vingt minutes d'avance sur les belges, car avant l'apparition de liaisons ferroviaires internationales, l'heure était encore une affaire locale."

Bien évidemment, cette situation de neutralité prête au développement de la contrebande, sans compter que le délit d'îvresse n'existant pas, cafés et distilleries prolifèrent, ce qui attire une faune pas toujours recommandable, "Tous ceux qui avaient quelque chose à se reprocher venaient s'y réfugier". Afin de contrer cet état de fait, la direction de la mine instaure un paternalisme qui permet de développer école, habitat, dispensaire, caisse d'épargne, église ou temple protestant, fanfare et chorale, guildes et clubs. Enfin, comble de surprise, c'est à Moresnet-Neutre que l'Espéranto est intronisée langue officielle de ce drôle de territoire !

Le 4 Août 1914, tout bascule pour les habitants et 1919 verra Moresnet-Neutre disparaître au profit du Moresnet-Belge. Mais l'histoire ne s'arrête pas là, notamment celle d'Emil Rixen que je vous laisse découvrir.

J'ai été littéralement happée par cette lecture et cette découverte d'un pan d'histoire dont j'ignorais absolument tout. Un livre qui fait revivre cet Etat unique grâce au travail de recherche de l'auteur mais aussi de par les témoignages de quelques anciens et descendants de ceux qui ont connu cette étrange époque. Un livre qui donne à réfléchir, intelligent, passionnant, qui se lit comme un roman.

C'était ma première contribution pour le mois belge du Défi littéraire de Madame lit.

Zinc    David van Reybrouck  (traduit du néerlandais (Belgique) par P. Noble)   Editions Actes Sud

 

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"Les frontières orientale et occidentale ressemblaient aux aiguilles d'une montre qui indique         six heures  moins vingt-cinq."

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30 mars 2018

La cuisine totalitaire

cvt_La-cuisine-totalitaire_2826La 4ème de couverture nous apprend que l'auteur est né en 1967 à Moscou et qu'avec sa femme Olga, qui signe aussi ce livre, ils ont fait partie des derniers Russes à obtenir la nationalité est-allemande avant la réunification. On ne nous dit rien de ce qui les a poussé à s'intaller en RDA ; toujours est-il qu'ils ont fait le choix d'écrire en allemand ce drôle de bouquin qui, s'il nous parle de l'art culinaire de ces pays qui ont un jour appartenu à l'URSS, c''est avant tout l'occasion de nous glisser un mot sur l'histoire de ces anciennes républiques et d'évoquer avec humour et bienveillance les us et coutumes de leurs habitants, sans oublier de nous livrer en fin de chapitre quelques recettes du cru.

Nous découvrons ainsi l'Arménie, la Biélorussie, la Géorgie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan, la Sibérie, l'Ouzbékistan, la Lettonie, le Tartastan et la Russie du sud (Tchétchénie et Caucase).

     Nous apprenons que "La pomme de terre biélorusse est la plus grosse du monde.(...) Sans oublier les centrales nucléaires biélorusses qui fournissaient de l'électricité à la moitié de l'Union soviétique. D'année en année, les pommes de terre ne cessaient de grossir, la population rayonnait ". Dans les recettes géorgiennes, les noix sont omniprésentes et le khartcho "Ce n'était pas de la soupe, c'était un poème, un poème très pimenté ! ". En Ukraine, " Les mariages ne comportent en général qu'un seul repas, mais celui-ci peut durer jusqu'à trois jours ". Au Tatarstan on cuisine les pis des vaches tandis qu'en Sibérie les baies et les champignons accompagnent viande de renne ou poisson. Les Ouzbecks carburent au thé vert (et souvent à l'huile de coton - ça c'est moi qui rajoute - que nos intestins occidentaux n'apprécient pas du tout) et pratique la transpiration intérieure lors des périodes de canicule. Quant à la Lettonie, elle a toujours une dent contre l'ancienne URSS, " La plus grande montagne du pays ne fait aujourd'hui plus que 312 mètres de haut, sûrement parce que les communistes se sont amusés à la piétiner. Seule la météo s'en est relativement bien sortie après cinquante ans d'occupation soviétique. Elle est restée stable : chaude en été, froide en hiver ". Ne pas se fier à la politesse qui caractérise les peuples de Tchétchénie et du Caucase : " Même un ami, on ne le salue pas quand il a le dos tourné, cela pourrait l'effrayer et il pourrait réagir de manière inappropriée".

Les auteurs ne pouvaient pas faire l'impasse sur les deux emblèmes nationaux russes que sont la vodka - " qui est bien souvent considérée comme un plat principal en soi " - et le caviar, objet de propagande pour l'étranger et que les Russes boudent pour les mêmes raisons que nous, à savoir son goût ou son prix, mais pas seulement. Ils préfèrent simplement les cornichons." Ils ont mangé tout le hareng et les cornichons, mais ils ont laissé le caviar ", se plaignait toujours la mère de l'auteur quand elle recevait des invités.

Un livre rassérénant, après tous les tourments slaves traversés au fils de ce mois, sympathique et drôle, à savourer comme un bon digestif !

La cuisine totalitaire    Wladimir & Olga Kaminer  (traduit de l'allemand par M. Stadler & L. Clauss)  Editions Gaïa

Dont les effluves vont embaumer

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28 mars 2018

Bonne à rien !

indexJe commencerai ce billet par un regret. Edité pour la première fois en 1926, ce roman s'est vu maintes fois critiqué, et malheureusement, l'intrigue n'a pu conserver son mystère. La 4ème de couverture de la présente édition n'échappe pas à la règle, même la préface annonce tout de suite la couleur. Si vous ne voulez pas gâcher votre plaisir -mais est-ce encore possible ?- faites comme moi, lisez ce roman plusieurs années après l'avoir acheté. Les pertes de mémoire ont parfois du bon !

A Budapest, le 31 Juillet 1919 signe la fin de l'éphémère République des conseils de Hongrie, les communistes de Bela Kun, au pouvoir depuis trois mois, se voient contraints de quitter le pays suite à une avancée roumaine décisive qui rétablit l'ordre bourgeois. Ce dont se réjouit le couple Vizy. Monsieur va retrouver son poste au ministère et Madame va pouvoir cesser de trembler et de se déguiser en prolétaire lorsqu'elle sort dans la rue. A la terreur rouge va succéder une terreur blanche bien décidée à faire passer le goût du collectivisme au petit peuple.

Madame Vizy peut alors se concentrer sur le gros problème de sa vie, trouver une bonne digne de ce nom. Elle en a déjà usé plus d'une, jamais assez bien à ses yeux. Toutes ces filles sont des voleuses, dévergondées, gourmandes, feignantes, envieuses ou idiotes, toutes sans exception ont trahi sa confiance. Elle empoisonne l'existence de son politicien de mari avec cette obsession jusqu'à ce que Ficsor, le concierge, vieux Rouge actif et militant qui espère ainsi s'acheter la clémence des bourgeois, s'engage à ce que sa nièce entre au service des Vizy. Mais Anna n'est pas pressée de quitter ses employeurs, elle se fait désirer et les nerfs de Madame Vizy frisent la crise. Quand enfin elle arrive les choses rentrent dans l'ordre et Anna devient peu à peu la bonne parfaite dont rêvait Madame.

"Pour elle, la compagnie de cette petite bonne n'avait rien de désagréable. Pour peu qu'elle lui fit signe, elle se retirait à l'arrière-plan. La compagnie des bonnes, pour ces dames, est aussi confortable que pour les messieurs l'amour des filles de joie. Quand il cesse d'être nécessaire, on peut toujours les renvoyer."

Entre extérieur et intérieur l'auteur nous offre un instantané de la Hongrie encore hésitante entre passé et avenir. Nous arpentons les rues de Budapest en compagnie de personnages caricaturaux sans états d'âme, imbus de leur bon droit, pour lesquels l'auteur et le lecteur n'éprouvent peu ou prou de sympathie, laquelle se concentre sur les figures plus humaines de ces gamines venues de leur campagne laver la crasse des bourgeois. Ces quelques mois passés au 238 rue Attila en compagnie de ses habitants aident à comprendre le dénouement de cette histoire et donnent à réfléchir à la notion de bientraitance. On sent poindre à la fin l'influence de la psychanalyse qui viendra bien plus tard remettre à sa juste place la fatalité. Et le vieux docteur Moviszter, unique figure sage et humaniste de ce roman, s'en repartira, tout aussi solitaire et incompris, dans les rues de sa ville.

"C'était un après-midi enchanteur, frais, idyllique, un de ces après-midi d'hiver où la joie de vivre pétille de toutes ses étincelles. Une neige craquante recouvrait la ville. Les lions en pierre du pont aux Chaînes avaient le front recouvert d'une neige qui les enveloppait d'une sorte de foulard blanc. Des patins tintaient dans les mains des femmes qui couraient à la patinoire, les clochettes des traîneaux faisaient ding-dong. Le gel, un gel très dur, salutaire, picotait les joues. Chez Gerbeaud, les lustres des salles scintillaient, et les vitrines du centre ville, de la rue Váci, de la rue du Prince de la Couronne, des vieilles rues du siècle dernier, s'allumaient les unes après les autres, ces vitrines où tout paraissait à présent plus appétissant, plus féerique que jamais : les chaussures, et les livres, et les bouteilles d'eau minérale sur des rochers couverts de mousse, à côté d'un petit jet d'eau artificiel, et puis les pâtes de coings, les montagnes de noisettes, les monceaux de noix, jusqu'aux cônes de dattes berbères, savoureuses, encore humides - comme les lointains souvenirs de la Saint-Nicolas. A tout instant, le ciel aussi prenait part à ce jeu scénique de lumières. Vert pomme derrière la colline Gellért, il rosissait vers le palais royal, et finissait par retomber en cendres d'un gris pâle : alors surgissaient les petites étoiles d'hiver, des étoiles minuscules, au scintillement lumineux."

Une bien jolie balade dans un roman à l'écriture simple, volontairement naïve, sans introspection ni analyse, mais qui n'en pense pas moins !

Autre roman de l'auteur chroniqué, Alouette  ICI

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La pâtisserie Gerbeaud créée en 1858 et qui existe toujours.

Anna la Douce   Dezső Kosztolányi  (traduit du hongrois par E. Vingiano de Piña Martins)      Editions Viviane Hamy

Va faire le ménage dans

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26 mars 2018

Immobilier russe

CVT_LAppartement-Un-siecle-dhistoire-russe_1056Une fois n'est pas coutume, voici un album illustré. Plutôt destiné aux enfants, il était accompagnait d'un livret d'activités et servait de support à un jeu pendant que les parents flânaient dans les allées du salon du livre de Paris.

On visite d'un siècle d'histoire russe et soviétique de 1902 à 2002 en compagnie des premiers occupants et de leurs descendants. Un arbre généalogique nous aide à suivre tous les personnages. En alternance une double page présente les lieux, agrémentée d'un court texte qui restitue les événements entre deux dates, puis une autre, plus détaillée, est parsemée d'images d'archives et de dessins représentant des objets symboliques selon l'époque, ceux du quotidien des adultes comme des enfants, la monnaie, les jouets, des recettes, des coutumes etc...

 

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Irina  Mouromstev a 6 ans en 1902 et pense que sa famille va vivre heureuse dans ce bel appartement. Elle a sa chambre pour elle toute seule.

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Mais en 1919, l'appartement devient communautaire et les armoires servent parfois de cloisons.

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Les générations se succèdent jusqu'à ce que, en 2002, l'économie de marché transforme l'Appartement en...

L'Appartement    Alexandra Litvina & Ania Desnitskaïa pour les illustrations  (Traduction F. Deweer & M. Santos)  Librairie du Globe

J'avoue avoir une sorte de fascination pour les appartements communautaires. Je me suis toujours demandé comment j'aurais pu vivre dans ce contexte... J'en profite pour signaler un autre ouvrage, très réaliste celui-ci, de Katerina Azarova paru en 2007. Une étude sociologique qui explique parfaitement les racines de la politique du logement du début de l'URSS à la privatisation de l'appartement communautaire en 1990, les fondements de la société pré-révolutionnaire, les utopies de la Révolution et l'évolution des moeurs au sein des familles. Nombreux témoignages et photos de ces cohabitations pas toujours évidentes, on s'en doute, dans des immeubles devenus plus que vétustes au fil du temps.

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Quand les colocataires s'entendent bien les frigos sont aussi dans la cuisine

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Photos extraites de l'ouvrage

A la porte d'entrée de l'appartement, chaque locataire a sa plaque à côté de la sonnette avec indiqué le nombre de fois qu'il faut sonner. Salle de bains, toilettes, cuisines et couloirs sont communs. " "Et quelque part au bout de ces détours, s'ouvre la grande cuisine commune, à la fois pivot de cet espace labyrinthique, principal terrain d'action et des événements, scène de vie et de mort, coeur de l'appartement communautaire."

Ces pièces communes ont leur propre rythme, surtout la cuisine. Au petit matin, priorité aux travailleurs, les babouchkas et retraités occupent ensuite les lieux, puis vers 16h ce sont les écoliers qui l'investissent le temps du goûter, enfin retrouvailles collectives le soir pour la préparation du repas, chacun mange chez soi avant de se retrouver à nouveau pour la vaisselle (il y a souvent aussi plusieurs éviers). C'est là qu'on papote, qu'on rigole ou qu'on s'engueule ! La propreté et le rangement étant les principales sources de conflits. Plusieurs générations partagent souvent une même chambre et "la pièce technique", quand on a la chance d'en avoir une, sert à la fois de rangement, bureau, chambre d'appoint, se transforme au gré des besoins. En 1930, la loi avait décrété 9m² par personne.

"Ici, les contacts entre voisins communautaires sont bien plus fréquents que dans le voisinage, tel qu'on l'entend à notre époque, de l'immeuble d'une ville européenne. En conséquence cette vie communautaire est saturée de relations, d'émotions et d'événements. Les haines, les amours, les décès, les naissances, les disputes et les réconciliations composent le décor permanent et ordinaire de l'existence de chacun."

Bref, deux ouvrages complémentaires, passionnants et instructifs. Dans le second, on retrouve des cas semblables à celui de la famille de l'album, ce sont les témoignages les plus émouvants car emplis de nostalgie pour ceux qui ont connu l'époque de la propriété individuelle. Par contre, certains n'envisagent même pas un autre mode de vie ou le regrettent lorsqu'ils y sont contraints de l'abandonner.

L'appartement communautaire    Katerina Azarova    Editions  Librairie du Globe

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Deux livres qui déménagent dans

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24 mars 2018

Giboulées tchèques

product_9782072701375_195x320Délicate couverture et titre poétique pour ce livre sur fond d'histoire de la Tchécoslovaquie d'après-guerre à la chute du Mur de Berlin. Une histoire transgénérationnelle d'une lignée de mères et de filles qui portent leur bâtardise comme une marque de fabrique.

Marie et sa fille Magdalena vivent dans un petit village de la campagne tchèque non loin de la frontière autrichienne. Petit à petit, la collectivisation se met en place en Tchécoslovaquie et Magdalena se voit contrainte de quitter sa place de servante et fille de ferme chez les Feldmann, propriétaires terriens dépossédés de leurs biens. Enceinte de Josef, le fils des patrons chassés, la vie reprend ses droits. Ce sera une fille, Libuše, qui elle-même en 1969, accouchera d'une petite fille, Eva.

La première partie du livre est de loin la plus passionnante et la plus crédible. On y découvre la personnalité de Marie, caractère fort et indépendant, ce qui l'a amenée à quitter Vienne et le père de Magdalena, les valeurs qu'elle inculque à sa fille, liberté et fierté, la vie rude de la campagne, les aléas politiques qui chamboulent l'équilibre précaire dans lequel elles se sont installées, sans compter la stigmatisation de leur situation de mère célibataire et d'enfant illégitime et, pire encore, de citoyenne qui refuse de prendre la carte du Parti ! Tout cela est bien rendu, notamment l'attachement qui lie la mère et la fille, malgré l'absence de tendresse, passant par, outre la manie d'enfanter hors les liens du mariage, celui de la transmission de l'art de la broderie, on aurait presqu'envie de courir acheter fils et aiguilles et de s'y mettre sur le champ. Et on a droit à quelques belles évocations bucoliques.

"Un tel froid au début de mars n'est pas habituel. Mais, depuis quelques temps, qu'est-ce qui est habituel ? Les collines aux formes douces et larges paraissent encore plus aplaties, elles se tassent contre la terre pour avoir un tout petit peu plus chaud. Les arbres, enveloppés dans de somptueuses robes de givre, semblent au contraire grandir et flotter dans la brume qui se love par terre. Leurs racines se sont retirées dans des profondeurs, elles y cherchent le réconfort et assez d'énergie pour le printemps. Les brins d'herbe séchée, immobilisés par le froid, sont les témoins morts d'un autre temps."

La suite m'a plutôt déçue, je m'attendais à ce que la lignée matriarcale indépendante et un brin rebelle se perpétue. Au lieu de quoi, en complète incohérence avec les valeurs prônées - "Tu n'appartiens à personne. Tu es libre. Il n'y a que ça qui compte. Ne l'oublie jamais." - et les caractères bien trempés des deux femmes, nous nous retrouvons face à une Marie qui marie sa fille à un rustre, et à une Magdalena qui subit sans réagir le mariage et ses déconvenues prévisibles. Suivent un récit un peu trop mélodramatique à mon goût, des discours qui souvent sonnent faux et une fin précipitée avec une surenchère de secrets de famille, tout droit sortis d'un catalogue, et dont je ne dirai rien mais, croyez-moi, aucun ne manque à l'appel. Tout cela gâche une histoire qui avait pourtant bien commencé, ce doit être ça l'effet giboulée. Heureusement, le théâtre politique qui se joue en arrière-plan sauve un peu la mise.

Pas de traduction puisque l'auteure, née en 1971 en Tchécoslovaquie mais installée en France depuis 1991, a choisi d'écrire en français cette saga, malgré tout sympathique, qui a séduit les lycéens. Ils lui ont décerné le Prix Renaudot des lycéens en 2016.

Les avis de KATHEL  et  d'AIFELLE

 Giboulées de soleil    Lenka  Horňáková-Civade    Edition  Folio

 Va trouver une petite place dans

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20 mars 2018

La fièvre blanche

hugobaderUn journaliste polonais, qui connaît déjà la Sibérie pour l'avoir parcourue en été, décide de tenter le voyage sous les cieux moins cléments de l'hiver.
Au volant d'une vieille UAZ, une jeep soviétique équipée façon baroudeur du grand Nord, Jacek Hugo-Bader se lance sur la route avec pour objectif de rencontrer les exclus de ces territoires extrêmes.

Si le livre est instructif, il est tout autant impossible à résumer. J'ai trouvé la construction brouillonne, la chronologie est des plus aléatoires et des repères géographiques auraient été les bienvenus. Plus qu'un récit de son périple, l'auteur a regroupé toute une série d'articles ou de portraits qui recouvrent plusieurs séjours sur une petite dizaine d'années, de Moscou au lac Baïkal en passant par l'Ukraine et la Moldavie. Un livre l'a accompagné sur la route, il agit d'un ouvrage russe paru en 1957, Le Reportage du XXIe siècle, où deux journalistes de la Pravda anticipent l'avenir de leur pays à l'aube du quatre-vingt-dixième anniversaire de la Révolution d'Octobre, soit en 2007. Si par certains aspects scientifiques les deux auteurs ne se sont pas trompés, en ce qui concerne l'être humain on peut dire que ça relève de l'utopie... Le parallèle n'en est que plus causant.

Nous voyons donc défiler au fil des pages une kyrielle de personnages tous plus déglingués les uns que les autres. Toxicomanes, pour la plupart séropositifs - il y a même une élection Miss Russie VIH... -, anciens hippies soviétiques rescapés de communautés, migrant l'été vers le sud de l'URSS afin de s'approvisionner en herbe et pavot, bandes de hooligans fachos, univers des rappeurs ou des anarkopunks en passant par le heavy metal et la blatna (musique des truands et des voyous), SDF, prostituées, membres de sectes religieuses, mineurs employés dans des mines illégales, victimes des trafiquants d'organes et d'êtres humains, éleveurs de rennes ou pêcheurs du lac Baïkal. Tous ont en commun un goût immodéré pour la vodka et, pour beaucoup, une tendance inéluctable à contracter un jour ou l'autre "la fièvre blanche", l'équivalent de notre delirium-tremens. Quand je dis vodka, c'est un bien grand mot, car la plupart du temps ce que tous ingurgitent s'apparente plus à du tord-boyaux fait maison, quand il ne s'agit pas purement d'antigel coupé à l'eau. On imagine les dégâts de cette consommation sur le long terme. Là encore, la notion de long terme est tout relative puisque que l'espérance de vie ne cesse de baisser. Ceux qui payent le plus lourd tribut sont les petits peuples autochtones de Sibérie dont les prédispositions génétiques ne leur permettent pas de métaboliser l'alcool et tous ses poisons. Les ravages sur le système nerveux sont donc rapides et terribles, entraînant suicides et actes de violence.

 "Au début, dans le registre des décès, j'inscrivais des gens de soixante-dix, quatre-vingts ans. Maintenant, personne ne vit si vieux. Un homme de cinquante ans, c'est un patriarche, une force de la nature. Les femmes de cinquante ans chez nous sont séniles. Ici, on meurt avant quarante ans."

On saisit vite que derrière cette appétence se cache un monde encore déboussolé par l'effondrement de l'URSS, auquel s'ajoute l'omniprésence de la corruption et de la mafia, sans compter les stigmates des soixante-dix ans de communisme...
Au final, les plus heureux de ces exclus sont ceux qui se réfugient dans les nombreuses églises/sectes qui fleurissent ça et là. Ceux-là arrivent au moins à cesser de boire ou de se défoncer entre deux élans mystiques. Peace and love par -40°, mais au moins on vit plus longtemps. 

Cette lecture m'a laissée plutôt nauséeuse pour ne pas dire déprimée, sans doute la redondance du propos y est-elle pour beaucoup. On est loin des voyages de nos littérateurs français qui regardent steppes et taïgas défiler derrière les vitres du Transsibérien... Il n'en reste pas moins que ce livre est sans aucun doute le reflet d'une certaine réalité - comme l'atteste l'article ICI , 70 morts en décembre 2016 - mais la Russie ne se résume pas non plus qu'à cela, heureusement. Et venant d'un Polonais, et désolée pour le cliché un peu éculé, c'est un peu l'hôpital qui se moque de la charité...

              La Fièvre blanche... De Moscou à Vladivostok    Jacek Hugo-Bader    (traduit du polonais par Agnieszka Zuk)             Editions Noir sur Blanc 

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Va trouver sa place en titubant dans

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15 mars 2018

Un léger goût de cendres

41KEVA89Q4LEn Aôut 1940, Henri, vieux général issu d'une famille aristocratique de l'Empire austro-hongrois, attend la visite de Conrad, son ami d'enfance qu'il n'a pas revu depuis quarante et un ans. Conrad a disparu subitement lors d'une étrange partie de chasse. Après avoir précipitamment démissionné de l'armée, il s'est installé en Malaisie sans donner d'explication ni de nouvelles. Dans le château de son enfance et dans l'attente des retrouvailles, le général se souvient de ses parents, de sa rencontre avec Conrad alors qu'ils sont âgés de dix ans, de leurs études à l'Académie militaire de Vienne, des vacances au château et de leurs années de jeunesse dans la maison proche des jardins de Schönbrunn. Elevés comme des frères, ils n'en étaient pas moins différents. Henri est un jeune homme sûr de lui, imbu de sa personne et de son rang qui lui donne les privilèges et l'aisance qui font défaut à Conrad. Ce dernier n'a embrassé la carrière militaire qu'en réponse aux sacrifices consentis par une famille de la noblesse désargentée de Galicie. Il est réservé, austère, sauf lorsqu'il autorise son âme d'artiste à se mettre au piano.

"J'étais né dans ce milieu et parfois je sentais qu'il m'était difficile de trouver une excuse à cette opulence... Et toi, tu ne manquais jamais aucune occasion de me faire sentir la différence existant entre nous en cette matière d'argent. Les pauvres, tout spécialement ceux de la classe supérieure, ne le pardonnent jamais, ajoute-t-il avec une sorte d'étrange satisfaction."

Mais en cette nuit d'Août 1940, ce sont deux vieillards qui, dignement, se préparent pour un ultime face à face en forme de règlement de comptes. Que s'est-il passé lors de cette partie de chasse ? Qu'a fui Conrad parti si vite à l'autre bout du monde ? Quel rôle a joué Christine, l'épouse du général, dans cette précipitation ? Autant d'éléments que l'auteur distille lentement au cours de ce huis clos introspectif, le général laissant peu de place à Conrad qui, comme au temps de leur jeunesse, laisse le devant de la scène à un Henri qui, en quarante et une années de réflexions et de ruminations, en à tirer des déductions qui ne demandent que confirmation.

Une écriture sobre au service de ce roman pour évoquer l'amitié et le sentiment de trahison qui l'accompagne. La confrontation des deux hommes prend presque des allures de drame antique tant la force du destin les a anéantis. Rongés de solitude, ils sont restés fidèles à ce qu'ils étaient, chacun expiant cette rupture jusqu'à la lie. Car même si tout accuse Conrad, qu'on aurait pu espérer un peu plus pugnace, Henri accepte une certaine part de responsabilité mais propose, au final, un quitte ou double qui risque de révéler une vérité. Sont-ils prêts à la découvrir ? Et n'est-il pas un peu tard ?

Un vent d'insouciance souffle encore sur la Vienne de 1899, avant qu'une atmosphère crépusculaire de fin de vie et d'une époque révolue n'enveloppe le roman et le bilan que ces deux amis font de leur existence. Une ouate qui atténue les ressentiments les plus vifs et étouffe les querelles ; elle permettra lentement aux braises intimes de s'éteindre en paix juste avant que celles de l'Allemagne nazie, sur les ruine de l'Empire austro-hongrois, n'embrasent toute l'Europe.

" - Tout ce que l'on nomme communément trahison... se révèle sans grand intérêt, lorsque, sur la fin de notre vie, nous récapitulons notre passé. Oui, cela nous apparaît plutôt regrettable, comme un accident quelconque."

Une belle découverte que ce classique hongrois pour Le défi littéraire de Madame lit  et  Le  Mois de l'Europe de l'Est.

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Statue de l'auteur à Košice

Les Braises   Sándor Márai  (traduit du hongrois par M. & G. Régnier)  Editions Le Livre de Poche 

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12 mars 2018

Huis clos au Kosovo

cvt_Une-petite-guerre-parfaite_456824 Mars 1999, dans un appartement du quartier de Dardania, à Pristina, une bande d'amies fêtent tant bien que mal l'anniversaire de Rea. Cadeau offert par l'OTAN qui, le même soir, lâche ses premières bombes sur les installations serbes du Kosovo et les hommes de Milošević. Les invitées ne s'éternisent pas, pressées de fuir la ville avant le début des frappes. Ne restent que Rea, Nita et Hana qui vont vivre enfermées, ou presque, quatre-vingts jours, ne sortant qu'en de très rares occasions, reliées à l'extérieur par la télévision quand l'électricité n'est pas coupée et par quelques appels téléphoniques venus de l'étranger. Les Américains avaient prédit une guerre propre et rapide. Elle fut sale, comme toujours, et trop longue, une guerre c'est toujours trop long.

Seizième jour. "Mais cette guerre est une guerre parfaite. Aucun soldat américain n'est mort jusqu'à présent, parce que cette fois, on combat depuis le ciel. Point. C'est une nouvelle méthode, autant changer un peu de temps en temps, autrement les guerres se ressembleraient toutes, et cela ne voudrait plus la peine de les raconter dans les livres d'histoire : une fois qu'on en aurait décrit une, on serait tranquille pour toutes les autres. Mais on la racontera celle-ci, et comment : la guerre parfaite, sans soldats morts. Les civils crèvent par milliers, la terre se vide de ses habitants pour être remplie ensuite de Serbes exclusivement. Celui qui a inventé ce plan à Belgrade a dû penser qu'il avait affaire à une piscine, pas à une patrie. C'est un raisonnement hygiénique, ce n'est pas pour rien qu'on appelle ça du nettoyage ethnique. Videz la piscine de son eau sale puis remplissez-la avec de l'eau propre."

Parallèlement au quotidien des trois femmes, on suit le périple de quelques uns des membres de leur famille et de leur entourage, plus ou moins épargnés car utiles, raflés ou échappés tentant de rejoindre qui l'Albanie, qui la Macédoine ou le Montenegro. A l'étranger, d'autres Kosovars en exil, frères ou amis, essaient de concilier les futilités de leur vie avec la réalité morbide que délivrent les journalistes ou les organisations humanitaires. Cauchemar et barbarie pour les uns, angoisse et attente pour les autres ; au milieu, quelques actes isolés d'humanité, de solidarité.

"Elle sort dans le couloir. La lune est pacifique, de celles qui mettent le monde en extase. Le linge étendu flotte légèrement, baignant dans cette si belle lumière, sur fond sonore de dérapages de camions et de rafales de mitraillettes. C'est un cauchemar magnifique."

Une lecture assez éprouvante, même si l'auteure ne se complet pas dans les scènes de viols ou d'exécutions. Elle porte la voix des femmes qui ont pour mission de protéger les hommes, celles qui n'ont pas voulu fuir ni dire au revoir : "Je ne t'ai pas embrassé donc nous ne nous sommes pas quittés donc rien de grave ne peut arriver." Elle transpire la tension et la peur, l'isolement, l'enfermement et l'ennui qui laissent l'esprit libre de divaguer, d'imaginer le pire ou le miracle. Une lecture qui a su raviver les images de ces années 90 qui me hantent encore alors que j'assistais éberluée à l'exode de tous ces gens, de quelques nationalités qu'ils fussent, sur des routes maintes fois empruntées en temps de paix et associées à des souvenirs heureux. Des gens, des lieux, si proches et si vivants, qui ne renvoyaient que folie et désolation. Et un immense sentiment d'impuissance devant les basculements de l'Histoire.

"Mais les larmes d'un homme sont belles, et si l'on vit dans les Balkans, elles deviennent d'une beauté à vous couper le souffle."

L'auteure est née en 1960 en Albanie, elle a quitté son pays en 1988 et a choisi d'écrire dans sa langue d'adoption.

Une petite guerre parfaite    Elvira Dones   (traduit de l'italien par L. Pailhès)   Editions Métailié

 

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 (Indépendance en 2008, non reconnue par la Russie et la Chine, entre autres)

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9 mars 2018

Brillant !..."tel un piano à queue".

41088G-zvELJe ne sais pas vous, mais moi je me verrais bien au volant de cette Volga M24 "qui brillait au soleil tel un piano à queue ", pour un périple dans les Balkans, par temps de paix si possible... C'est à peu près ce que nous offre l'auteur puisque l'action se situe en partie à la fin des années 80 alors que la montée des nationalismes se fait de plus en plus pressante et que ce qui reste de la Yougoslavie ne s'est pas encore complètement embrasé. Je laisse le principal protagoniste se présenter.

"Je m'appelle Dželal Pljevljak. J'ai travaillé pour l'armée en tant que civil et aujourd'hui, si je n'étais pas celui que je suis, j'aurais déjà pris ma retraite, je serais au volant d'une Golf, couleur cerise, modèle 1987 ou 1988, je me serais fait construire une maison dans le Sandžak face à une plantation de pruniers qui aurait déjà donné de bons fruits. Je serais assis au pied de ces arbres et je n'aurais jamais rien su de celui que je suis à présent."

Oui mais voilà, c'est une Volga que lui vend le général Karamujić. Une Volga qui va changer le destin de Dželal, lui permettant chaque semaine de faire le trajet Split-Livno afin d'assister à la grande prière du vendredi. Dželal, en apparence homme discret, assez solitaire, respectueux, pieux musulman, est pourtant empreint d'une tristesse dont nous ne saurons rien. Au volant de sa Volga, il aime se remémorer ses 35 années passées à l'armée comme chauffeur, réfléchir à la khutba (sermon) qu'il a écouté à la mosquée et à ses échanges avec le nouvel et mystérieux imam, tout en évitant consciencieusement de repenser à certains aspects de sa vie. Un jour, un des pneus éclate. Les Fatumić lui viennent en aide et il se lie d'amitié avec le vieil Osman et cette famille bosniaque, prend l'habitude de s'arrêter régulièrement chez eux pour apporter du chocolat aux enfants, et surtout écouter Osman lui raconter des histoires d'antant. Fin de la première partie qui se termine le 1er Janvier 1988, nous laissant présager un coup de tonnerre.

Première partie étrange, le personnage de Dželal comme à distance de ses émotions, un récit un peu désaffecté, retenu, contrastant avec une érudition religieuse étonnante. Mais peu à peu, entrée en scène de nouveaux et nombreux personnages, avec leur diversité et leur originalité, et là, la magie opère doucement, insidieusement. Puis soudain, la seconde partie vient nous cueillir, dynamise le récit, l'émulsifie. Elle se déroule en 1992 sous la forme d'une enquête journalistique concernant un fait divers qui, s'il a marqué les mémoires, a vite été relégué au second plan par la guerre. Bien entendu, ce fait divers a eu lieu le 1er Janvier 1988. L'enquête va venir éclairer petit à petit le lecteur et l'histoire de Dželal, lever les pans d'ombre et combler les frustrations qui entourent le récit un peu lisse qu'il nous faisait de sa vie. Et je n'en dévoilerai pas plus.

Miljenko Jergović, comme à son habitude, relate avec virtuosité la cohabitation et le chevauchement des cultures, plonge habilement dans les strates ottomanes et austro-hongroises du passé, nous balade dans cette mosaïque de peuples cimentée par Tito jusqu'en 1980. Et c'est avec érudition et subtilité qu'il fait glisser ses personnages d'une époque à une autre, dans le labyrinthe des alliances et des revirements où les protagonistes se fourvoient, voire se perdent parfois eux-mêmes.

"Il faut respecter les gens qui luttent. C'est ceux qui ne luttent pas qui posent des problèmes."

Les allers-retours, qu'ils concernent les Oustachis de la Seconde Guerre mondiale ou la Yougoslavie de Tito, offrent des pages sombres et poétiques grâce au talent de conteur du vieil Osman, telle la belle histoire des chevaux sauvages de Golija, ; la présence discrète du chauffeur Dželal enregistre sans complaisance les petits arrangements des militaires avec le socialisme ; enfin, l'analyse factuelle rondement menée par les journalistes remet en perspective les événements, alors que les grondements de la guerre défilent à la télévision. Un roman à la construction sans faille, d'une tonalité virevoltante, excessive, sans être indigeste, et non dénuée d'humour. 

"Quand Tito passait, il laissait derrière lui une odeur de citron et Avram croyait que c'était le doux parfum du thé que le maréchal prenait le matin avec sa femme Jovanka ou bien un parfum à l'huile de rose bulgare, d'où chez Avram la conviction que le communisme sentait la rose."

 Au final, une petite tragédie parmi tant d'autres, mais une terrible histoire, entre sacrifice et rédemption.

"Tout souvenir, comme toute histoire humaine écrite ou non écrite, ressemble plutôt à un rêve qu'aux ombres laissées par la réalité. Il en va de même avec l'histoire de Dželal Pljevljak et la mémoire de l'affaire qui a marqué la Yougoslavie juste avant la guerre. En écrivant ces lignes, l'inquiétude nous saisit à l'idée que tout ce dont nous avons fait état aurait pu se passer autrement, pour ne pas dire à l'inverse, le noir aurait été blanc, la nuit le jour, et que toute mémoire n'est qu'un rêve au milieu d'une agonie."

Ce n'est pas ma première rencontre avec Miljenko Jergović, et ce ne sera pas la dernière ! Autre roman chroniqué  Le palais en noyer  ICI

Volga, Volga   Miljenko Jergović  (traduit du croate/bosniaque par A. Grujičić)  Editions Actes Sud

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5 mars 2018

Ouf !!!

51yNML5AqkLJe viens de "terminer" ce livre et je suis bien contente. Je mets des guillemets car ce que j'ai trouvé chouette dans ce bouquin c'est qu'on peut sauter vingt, trente, cinquante pages, sans jamais perdre le fil de l'histoire, tellement tout est prévisible. Au début, j'ai tourné les pages consciencieusement mais très vite un gros nuage d'énervement m'est tombé dessus avant que je l'identifie plutôt comme une petite angoisse à m'imaginer à la place de monsieur Budaï. Je déteste les situations kafkaïennes qui rendent fou.

Aussi vite fait que ma lecture, mon résumé, pour une fois, sera bref. Un brillant linguiste, qui pense atterrir à Helsinki pour un congrès, se retrouve dans une ville inconnue, surpeuplée, où l'on parle une langue incompréhensible, sans bagage ni argent ou presque, où pour le moindre truc on fait la queue pendant des heures, et où tout le monde se fout royalement de son petit problème. Voilà. Il va s'adapter et se débrouiller, risquer sa vie même, pour finir par trouver une solution. D'ailleurs, on se demande pourquoi il n'y a pas pensé plus tôt, pfff, ces intellectuels... Un point positif pour moi, si la bouffe locale est insipide, au moins dans ce pays on peut encore fumer tranquille, même dans les chambres d'hôtel, wahou quasi un paradis !

285 longues, très longues pages. J'ai réglé le problème en 15 minutes. Juste l'occasion de lire ça et là qu'à un moment, il avait mal aux dents, situation anxiogène extrême pour moi, hop encore 50 pages de sautées ; il croise sur sa route un zoo avec des animaux très très mal en point, je ne lis jamais les descriptions qui font mal et ne supporte pas la maltraitance animale, encore 70 pages de virées en râlant ; je poursuis en sautillant quand, soudain, j'aperçois, page 197, des mots qui me causent, "Vie théâtrale", inscrits sur un journal qu'un autochtone lit dans le métro, là je compatis fortement avec Budaï et me dis, ça y est il est sauvé ! Faut pas rêver, dans le grand absurde, point de salut. Dégoûtée, je saute de la page 201 à la 264, manifestation, barricades, mitraillettes, chars, bain de sang, bof, suite normale, pas de surprise. Je lis les quatre dernières pages par curiosité, va-t-il mourir ? survivre ? Arf... je dirai rien, un peu de suspense que diable !

Bien sûr, je suis de mauvaise foi. Bien sûr, ce livre écrit en 1970 par l'auteur hongrois se veut une formidable critique de l'enfermement, de l'indifférence, de l'incommunicabilité et des sociétés totalitaires où prévaut le collectif sur l'individu, et voire, de façon visionnaire, de l'évolution de nos sociétés modernes, même de la mondialisation où le totalitarisme revêt d'autres masques. Bien sûr, les gens souffrent, cherchent à comprendre, se révoltent, se résignent, se suicident ou se battent, se soumettent, changent, adhèrent, luttent, se révoltent à nouveau etc, etc... Mais 150 pages auraient largement suffit pour nous faire passer le message. Ce registre n'est pas fait pour moi. Je lui préfère les 126 pages de Iouri Bouïda et son Train zéro (billet ICI )  La différence ? il a était publié en 1997, laissons donc Épépé dans son contexte et passons à autre chose.

 Épépé     Ferenc Karinthy   (traduit du hongrois par Judith & Pierre Karinthy)     Editions Zulma

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3 mars 2018

Gemme, tu aimes, il aime...

001311698Je poursuis mes promenades littéraires dans les Balkans. Cette fois, c'est en compagnie de Stanislav Dugi, vieux professeur de littérature, en deuil d'une épouse assez fantasque. Celle à qui il vouait un amour indéfectible s'en est allée emportant avec elle son mystère. Mariés depuis trente ans, Višnja a toujours été une épouse aimante et attentive malgré leur différence d'âge, elle n'exigeait qu'une chose, s'octroyer, une fois l'an, une semaine de liberté dont Stanislav ne saurait rien. Taraudé par la jalousie, il se plie malgré tout à ce "caprice". Seul témoin de ces escapades, le collier qui orne le cou de Višnja et dont elle ne se sépare jamais, un collier de pierres multicolores dont le nombre varie au gré de... on ne sait trop quoi.

"Parfois le professeur avait l'impression que le collier de Léontine s'était rallongé ou raccourci, que les pierres changeaient de couleur, qu'elles étaient différentes, et que chaque année, suivant une règle qui lui était propre, Léontine le recomposait."

Lorsque la mort s'en vient ravir la belle, elle laisse un Stanislav désemparé face à l'absence et à ses questionnements définitivement sans réponse. L'écriture sera sa planche de salut. Égrainant le fameux collier tel un chapelet, l'imagination le porte une dernière fois vers son épouse. Sous forme de fictions à peine déguisées, il invente pour chaque pierre un fragment de possible et, telles des perles qu'on enfile, il aligne sur le lien de son récit des fantasmes colorés qui viennent donner du sens au mystère et combler l'inconnu.

Le roman s'ouvre sur le décès du professeur trois mois après celui de sa femme Il laisse en héritage un manuscrit dans lequel se mêlent aux éléments autobiographiques de courtes nouvelles aux tonalités variées. Une pour chaque pierre qui, il n'en doute pas, a été offerte par un amant. En préambule, un petit aparté nous renseigne sur la couleur, l'origine, le symbolisme, la mythologie, les pouvoirs et les bienfaits de ces pierres semi-précieuses. A charge pour Balaban, l'assistant de recherche du professeur Dugi, de gérer cet héritage littéraire et de nous livrer une chute réjouissante !

Une couverture pour le moins originale, un sujet traité de façon inattendue, entre légèreté et fatalisme, des fictions dans la fiction, un petit traité de lithothérapie, un style tour à tour gouailleur, trivial, pudique, poétique. Un petit bijou qui s'inscrit bien dans l'originalité de la littérature balkanique moderne. Une coquette et pétillante digression qui réhabilite ce sentiment mal aimé qu'est la jalousie !

Un extrait consacré à la pierre de Lune : " (...) sous la clarté lunaire, dans ses bras, elle scintillait telle une sirène jaillie de cette mer obscure, de cet océan nocturne. (...) C'était beau, de voir le monde comme on le voit de la Lune."

Un grand bravo à l'illustratrice JULIA DASIC dont une de ses Vénus callipyges orne la couverture du roman. Je vous invite à découvrir son univers peuplé d'Odalisques, de créatures éthérées ou inquiétantes, femmes organiques ou fantastiques,  "sirènes névrosées", sur son site ICI , ainsi que quelques animations vidéos pleines de poésie  LA.   

 Autour de ton cou  Mirjana Bobić  (traduit du serbe pa S. Despot & S. Milošević-Valenti) 

Editions Xenia

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25 février 2018

Une coquetterie littéraire

cvt_Grains-de-beautes-et-autres-minuties-dun-collecti_5139Afin de réaliser des portraits de famille, la Marquise Adélaïde des Ailleurs fait mander au château de Chamarande monsieur Zérène, célèbre miniaturiste de l'Académie de Saint-Luc. Nous sommes en Avril 1764, Madame de Pompadour vient de s'éteindre à Versailles et la Marquise, veuve depuis un an, porte toujours un deuil qui ne semble pas l'accabler plus que nécessaire. Elle n'est pas insensible au charme du peintre, et affiche ses humeurs par le biais de mouches qui ornent différents points de son visage. Car, le saviez-vous, les mouches ont un langage. Moi, je l'ignorais. Mais Zérène, en homme de son temps, connaît la signification de ces petits bouts de velours ou de taffetas que l'on colle ça et là afin de faire passer un message, la Galante, l'Effrontée, la Majestueuse, la Discrète etc... Les hommes aussi pouvaient s'en affubler car leur fonction première était de dissimuler les traces de variole.

Zérène tombe sous le charme de la Marquise. Il caresse ses feuillets du bout de ses pinceaux et de ses craies, comme un amant caresserait du bout des doigts les courbes de sa belle. Des ondes de sensualité s'échappent, flottent entre ces deux êtres, si fortes qu'elles deviennent insupportables. Convenances obligent, la Marquise des Ailleurs honore son patronyme et envoie le peintre à l'autre bout du monde, vers ce pays de Siam qui la fascine tant, le mettant au défi de rapporter des grains de beautés de ces contrées lointaines. A son retour, elle s'offrira à lui.

"Nous voguons en plein midi turquoise. Soleil fiché sur le grand mât comme un gros kaki mûr."

Car bien sûr, Zérène relève le défi et s'embarque alors pour une folle traversée en mer de Chine sur la jonque de l'étrange capitaine Tuan. Périple des plus sensuels et merveilleux entre les îles Somnolentes, "Trois îles patientes attendent les hommes, en désir de s'éprendre, en désir de s'éperdre." , et d'autres aux noms évocateurs, l'Empourprée, la Ténébreuse, la Miroitante. Toutes recellent des trésors d'onirisme, sur lesquels veillent des personnages fantasques et des créatures fabuleuses qui promettent des rencontres magiques.

"Nuit du 11 février. Ciel de draps froissés. Mouillés. Insomnie. Toujours ce maudit mal de mer. Toujours cette nuance de céladon sur mon visage, digne des plus vieilles patines des porcelaines de Chine, craquelé de thé, de sel et de sueurs."

Zénère s'en reviendra-t-il au port de Canton avec, dans sa petite boîte à mouches en galuchat, les grains de beautés et de folie convoités par Adélaïde ? Voulez-vous découvrir l'Eau de Pâmoison, la Maison des Volutes de Thé ? Lisez ce bijou de poésie et de sensualité, à l'écriture brève comme des petits coups de pinceau, aux mots chamarrés et aux évocations truculentes. Plongez dans cet imaginaire capiteux qui laisse, quand on referme ce petit livre, comme un baume bienfaisant dans l'esprit.

"Allée nappée. Je m'engage. Cerisiers gourds de fleurs. Lourds de pollen. Sourds de silence. Je marche à pas d'échassier, levant haut les pieds, gêné de froisser ce sol enneigé de pétales."

 YUEYIN avait succombé à sa sortie en 2007. Ce livre a toutes les qualités requises pour devenir voyageur, si cela vous tente faites-le savoir.

Grains  de  beautés  et autres minuties d'un collectionneur de mouches     Frédéric  Clément        Editions Actes Sud

 

mouches

 

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