Un secret bien gardé...
Un notaire hésite entre sourires et larmes à l'ouverture du testament d'une de ses vieilles clientes sous le charme de laquelle il est tombé dès leur première rencontre bien des années plus tôt. Madame Ysmay Shaw s'étant éteinte, il peut enfin lire les deux manuscrits qu'elle lui a fait parvenir. Il a pour ordre de les détruire après lecture.
Nous pouvons remercier Dick Coad d'avoir le démon de l'histoire et de l'écriture et de ne pas avoir obéi aveuglément aux dernières volontés de la belle Yz, il nous aurait privé d'un bien joli roman !
Le premier manuscrit relate la vie d'Yz à partir de ses vingt trois ans. Nous sommes en 1945, elle vient d'épouser Ronnie Shaw et emménage sur les falaises de Sibrille dans le phare appartenant à la famille de son mari près de la ville de Monument. Nous suivons le couple dans son installation, la complicité d'Yz avec sa belle-mère, la naissance de leur fils, Hector, de son enfance jusqu'à son départ à l'adolescence, les hauts et les bas de la vie conjugale, les difficultés économiques. Le récit nous entraîne à Dublin jusqu'à l'orée des années 70 alors que le conflit en l'Irlande explose au Nord.
"J'étais une créature des saisons de Sibrille. L'été, je m'allongeait en haut des falaises festonnées de fleurs sauvages pour lire en m'émerveillant devant l'immensité de la mer. L'automne, je voyais enfler les eaux, fuir les couleurs, s'estomper les falaises. (...) En hiver, les seize heures de nuit coupaient Sibrille du monde extérieur et rapprochaient les gens, les solidarisaient. (...) Avec mars venaient les tempêtes. C'était alors qu'Hector me manquait le plus car je nous revoyais assis côte à côte derrière la vitre épaisse, quand il était petit, à regarder la fureur de la mer, blottis l'un contre l'autre à chaque nouveau fracas des vagues, anticipant le prochain assaut venu du large dont nous suivions la progression à travers les fenêtres givrées et criant dans un charmant unisson."
Le second manuscrit s'étend de 1943 à 1945, et ce retour en arrière nous fait entrer dans la famille d'Yz alors qu'elle vit encore avec ses parents, des anglo-irlandais propriétaires de nombreuses terres inexploitées que la Commission agraire voudrait récupérer pour les paysans sans terre. Ses frères et soeurs s'éloignant, pris par leurs études, leurs amours ou encore l'armée, Yz reste seule à Longstead entre une mère un peu bohème et un père affaibli par la maladie, c'est alors qu'elle fait la connaissance de Ronnie, issu lui aussi d'une vieille famille anglo-irlandaise dépossédée d'une partie de ses biens par la même Commission. Nous allons découvrir ce qui a uni ces deux jeunes gens, lui l'homme de la côte et elle la fille des terres.
"Une jolie fille qui préfère un jardin solitaire à une maison pleine de monde. Il y a toutes les chances qu'elle aime la mer."
C'est un peu plus compliqué que ça, évidemment ! Mais il est impossible d'en dire plus sans casser le charme de ce livre, car charme il y a.
D'abord, celui de cette vie dans le décor sauvage décrit plus haut. Et pourtant, à mi-lecture du premier manuscrit, malgré cet aspect alléchant j'ai eu du mal à voir où l'auteur voulait en venir. Je trouvais qu'il manquait un peu de consistance à la narration des différents épisodes ainsi qu' aux divers personnages, que l'intrigue était trop synthétique, que ça allait trop vite, qu'on avait pas le temps de se poser. Mais c'était sans compter sur le talent de l'auteur qui, dans le second manuscrit, nous réserve de belles surprises qui éclairent notre lanterne et ont eu vite fait de balayer mon léger scepticisme.
Charme également de la belle Yz qui, au travers son histoire, nous offre le portrait émouvant d'une femme de caractère ainsi qu'une belle histoire d'amour - et vous savez que ce n'est pourtant ma tasse de thé ce truc là !
Enfin, le charme opère surtout grâce au contexte historique, la situation des anglo-irlandais, la neutralité de l'Irlande pendant la seconde guerre mondiale, et bien sûr l'IRA, incontournable - on n'est pas chez Sjor Chalandon, ne vous méprenez pas non plus. Tout cela donne une trame enrichissante qui évite de tomber dans une banale bluette.
"En somme, nous formions une race nouvelle, née d'implantations successives depuis les temps médiévaux, mais une race de ratés, même selon les critères les moins sélectifs. Nous n'avions pas réussi à conserver le pays que nous avions été chargé de coloniser, pas réussi à cohabiter avec les gens que nous étions censés mettre au pas."
J'ai piqué cette très bonne idée de lecture, et je l'en remercie chaleureusement, à Un autre endroit
Ce livre fait partie d'une série qui a pour cadre la ville imaginaire de Monument, c'est le second traduit en français. Le site de l'auteur ICI
La mer et le silence Peter Cunningham Editions Joëlle Losfeld