Ballade pour Yllka
Après quinze ans passés en Allemagne, Emina revient à Skopje dans sa famille maternelle.
A l'âge des premiers émois amoureux lorsqu'éclata la guerre en Bosnie, elle vit son père partir rejoindre les combattants et sa vie basculer le jour où il lui fallut quitter sa maison. Commença alors un périple qui la mena d'abord à Sarajevo puis en Croatie et enfin en Allemagne.
Si Emina et son petit frère arrivèrent sains et saufs chez des cousins d'Yllka en Allemagne, celle-ci ne les rejoignit pas et ses enfants ne surent jamais ce qu'il advint de leur mère restée à Sarajevo pour attendre son mari.
"Le bras de sa mère soulève la petite casserole de cuivre où elle fait le café du matin. Elle voit l'avant-bras sortir de la manche brodée qui retombe... Lisse, doux, si doux. Et puis, plus rien. Seule l'odeur du café lui revient. Le reste a disparu. Gommé, évanoui... Des tonnes d'heures l'ont ensevelie de poussière. Des minutes, des secondes qui s'émiettent sans fin... Et la voix retentit parfois depuis le fond de la nuit, là où des arbres s'égouttent sous une pluie d'été. La voix d'Yllka, sa mère... A-t-elle cessé d'appeler sa fille ? Elle entrevoit un pan de sa robe lilas. Une vision qui s'attarde dans un jardin mouillé... Parce qu'au-delà de sa mémoire, Yllka fait peut-être encore le café du matin dans une cuisine quelque part à la surface de cette terre..."
Je vous invite à découvrir, si ce n'est déjà fait, une écriture toute en délicatesse, celle de Cécile Oumhani qui, partant d'un visage croisé dans un aéroport "l'ombre d'une tragédie logée au fond des yeux", a su décliner une variation pudique sur la guerre et les déchirements propres à l'exil. Un thème auquel s'associent les inévitables interrogations liées au sort des disparus, au travail de deuil, au retour sur les lieux de souffrance à la recherche de la mémoire. Retour redouté, questionnements sans réponse, fragilité des souvenirs d'enfance, c'est à l'odeur du café que sa mère préparait que s'accroche Emina dans un improbable espoir de la retrouver.
Les petits arrangements que passent les enfants avec l'absence et la violence sont particulièrement émouvants et sont autant de petites notes de sensibilité auxquelles le lecteur se cramponne avec eux afin de faire face à la tragédie. Le pire n'est jamais loin mais toujours suggéré avec sobriété.
Un petit livre de 124 pages que j'ai refermé la gorge nouée.
Le café d'Yllka Cécile Oumhani Editions Elyzad
Cimetière de Sarajevo
Source http://www.paixbalkans.org