L'adieu aux utopies
Barcelone, hiver 1936-1937. Ramon Mercader, militant communiste et combattant de l'armée populaire, quitte le front madrilène et s'engage au côté de sa mère, Caridad, dans une autre guerre, celle de l'ombre orchestrée à Moscou par le camarade Staline.
" - Oui, dis-lui oui. (...)
Dans les années d'enfermement, de doute et de marginalisation auxquelles les quatre mots allaient le conduire, Ramon se lancerait souvent le défi d'imaginer ce qu'aurait été sa vie s'il avait répondu non."
Mexico le 21 Août 1940. Un certain Lev Davidovitch, plus connu sous le nom de Léon Trotski, est assassiné après plus de vingt années d'exil passé entre le Kirghistan, la Turquie, la France et la Norvège.
" Il emmenait les illusions, le passé, la gloire et les fantômes, y compris celui de la Révolution pour laquelle il s'était battu durant toutes ces années. Mais avec moi, s'en va aussi la vie, écrirait-il : et on aura beau me croire vaincu, tant que je respirerai, je ne serai pas vaincu."
Plage de Santa Maria del Mar, Cuba le 17 Mars 1977. Ivan Cardenas Maturell, correcteur dans une revue vétérinaire à défaut d'être devenu écrivain, croise pour la première fois un homme accompagné de ses deux magnifiques barzoïs et disant se nommer Jaime Lopez. Ce dernier, au fil de leurs rencontres, va lui narrer une bien étrange histoire.
" Mais en revenant sur l'accumulation imprévisible de coïncidences et de jeux de hasards qui m'avaient conduit à m'asseoir au bord de la mer, ce soir de novembre, près d'un homme qui avait exigé de moi une réponse qui me dépassait, je ne pourrais arriver qu'à une conclusion : l'homme qui aimait les chiens, son histoire et moi, nous poursuivions par le monde, comme des astres dont les orbitres sont destinées à se croiser et provoquer une explosion."
Effectivement, comme des boules de billard à la trajectoire apparemment aléatoire, on s'achemine habilement vers un point d'impact où les vies de ces trois hommes sont appelées à se rejoindre. Le choc sera brutal et verra leur monde s'effondrer.
Véritable fresque historique rouge, l'auteur balaie large et dresse un réquisitoire anti-stalinien sans appel. De la Révolution d'Octobre au Cuba d'aujourd'hui, on plonge dans l'Histoire et ses coulisses obscures, celles du contre-espionnage, au service de l'obsession d'un seul homme, faire assassiner Trotski.
Roman de la mystification et de la désillusion, l'itinéraire tragique de ces trois hommes attachants taraudés par la peur m'a littéralement captivée. La prise de conscience d'Ivan est particulièrement poignante et jette un voile proche d'un désespoir qui résonne encore aujourd'hui.
"Et les personnes, alors ? Est-ce que l'un d'eux a un jour pensé aux personnes ? Est-ce qu'on m'a demandé à moi, à Ivan, si nous étions d'accord pour remettre à plus tard nos rêves, notre vie et tout le reste jusqu'à ce qu'ils partent en fumée happés par la fatigue historique et l'utopie pervertie ?"
La construction du roman est impeccable, la plume brillante, l'histoire édifiante. Quelques 660 pages qui remuent le couteau dans la plaie et me laisse face au vide de mes propres utopies.
L'avis enthousiaste de Keisha , d'Yspaddaden, d'Yv et Dasola
L'homme qui aimait les chiens Leonardo Padura Editions Métailié
Dernière escale au Mexique pour Trotski et son épouse
chez Frida Kahlo et Diego Rivera
Peinture Diego Rivera
Ajout du 6 Mars 2011 : Pour prolonger un peu ce livre et souligner encore, si besoin est, l'excellent travail de recherche qu'a effectué l'auteur, voici un entretien accordé en 1990 par Luis Mercader, le jeune frère de Ramon qui figure aussi dans le roman de Padura. On y retrouve aussi la fameuse Caridad.
Merci à Nadejda qui m'a signalé ce lien. C'est ICI