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Le Souk de Moustafette
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11 janvier 2011

Une île entre exil et asile

9782070734818Suite à la guerre gréco-turque le traité de Lausanne, signé en 1923,  dessine les frontières de la nouvelle Turquie. Outre qu'il annhile l'espoir d'un Kurdistan indépendant et réduit le territoire de l'Arménie à ce qu'il est aujourd'hui, il autorise le premier nettoyage ethnique du XXe siècle. Exception faite pour les ressortissants d'Istambul et de la ville grecque de Komotini, 1 300 000 Grecs se voient forcés de quitter la Turquie. La Grèce expulse à son tour 300 000 Turcs. La république laïque de Moustapha Kemal est née.

S'en suit, sur les deux territoires, un chaos de désespoir et d'errance, quand ce n'est pas de misère et de faim, pour ceux qui doivent abandonner tout ce qui faisait leur vie. Ballotés au gré des hasards et des haltes certains s'échouent en mer Egée, sur la petite île Fourmi. Désertée par la population grecque n'y résident plus que cinq habitants, Grecs et Turcs y vivant en bonne intelligence, et un chat*.

"La barque émergea peu à peu de la nuit. La mer était d'une blancheur laiteuse. Dans le ciel, les étoiles filantes s'abîmaient dans les flots en une explosion de lumière. C'est alors qu'à travers un léger voile de brume apparut la silhouette d'une île."

Petit à petit, Vassilis, Lena, dame Melek, Kadri et Poyraz Musa vont voir arriver et accueillir dans leur petit paradis, un à un ou en famille, ces exilés chargés de maigres biens mais tous riches de leurs vies passées. Quelques uns s'en retourneront chercher asile ailleurs, d'autres s'y établiront, certains y resteront avec le secret espoir que l'île Fourmi ne sera qu'une étape avant le retour au sol natal.

Tout auréolé de sa gloire militaire, Poyraz Muza organise l'installation de ce petit microcosme en recomposition. Mais c'est sans compter sur les véritables identités des uns et des autres et les intrusions ponctuelles aux abords de l'île d'un homme qui, sans jamais dire un mot, suggère qu'il aurait quelques comptes à régler avec Poyraz. Bien que sur ses gardes, ce dernier accueillera tout un chacun avec toute la compassion qui l'anime depuis qu'il est revenu de la guerre. La mer pourvoit à nourrir tout ce petit monde qui se retrouve le soir sous les platanes où les histoires des uns et des autres se dévoilent peu à peu.

Telle une épopée, ce livre nous entraîne en de subtils allers et retours dans l'Histoire et les légendes fondatrices. De Gengis Khan et Süleyman Pacha aux cendres de l'Empire Ottoman, en passant par la Première Guerre mondiale - la funeste bataille des Dardanelles -  et par la Guerre d'Indépendance gréco-turque qui suivit, de 1919 à 1922 et vit l'avénement de Moustapha Kemal, nous traversons avec des héros ordinaires les tourments de peuples aux origines multiples forcés de cohabiter tels les morceaux d'un puzzle qui constitueront la Turquie moderne.

Mais pour pallier à l'horreur que tous, civils ou militaires, ont traversée, l'île Fourmi s'offre comme un refuge pacifié, parfumé et coloré, flottant sur les eaux enchanteresses de la mer Egée. Omniprésente, c'est elle le premier personnage du roman. Elle a, elle aussi, connu des temps troublés, son sol fut abreuvé du sang des blessés des Dardanelles, puis, désertée par sa population grecque, elle accueille enfin quelques déserteurs venus s'y réfugier. Métaphore de ce que l'Homme a de meilleur en lui, elle préfigure un petit îlot de poésie où chacun va pouvoir se ressourcer en humanité et puiser l'espoir que la vie peut encore se conjuguer au futur.

"Un reflet argenté tombé des étoiles éclairait la surface de la mer qui clapotait dans le mauve indécis d'une nuit d'encre"

Ode à la tolérance, les pages s'enchaînent comme les mains des hommes, qu'ils soient Turkmènes, Kurdes, Caucasiens, Azéris, Géorgiens ou Crétois, tous réunis par l'auteur dans ce décor à la fois si simple et cependant somptueux. Laissez-vous envoûter par le rythme lancinant du récit. Parfums de mille fleurs, couleurs flamboyantes des grenadiers, bourdonnements des abeilles, bruissement du ressac, sons des flûtes et chants des dengbej vous embarquent pour un merveilleux dépaysement...

 

Merci à  logobob01   pour ce beau voyage !

* Voir Regarde donc l'Euphrate charrier le sang. Premier tome de "Une histoire d'île I " qui revient sur la rencontre de ces cinq premiers exilés. Le billet chez A sauts et à gambades

Yachar Kemal     La tempête des gazelles (Une histoire d'île II)    Editions Gallimard

 

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(photo blog Couleurs d'Istambul)

   

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Commentaires
M
@Mazel,que nous réserve le troisième tome ?
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M
magnifique, n'est-ce pas !
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G
Ah j'aime bien quand un livre donne envie d'en savoir un peu plus ! Alors je tenterai peut être la lecture !
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M
@Yv,je n'en avais pas beaucoup et je crois bien au contraire qu'il nous donne envie d'en découvrir davantage.
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Y
J'ai l'impression que pour lire ce livre il faut des connaissances historique que je n'ai pas...
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