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Le Souk de Moustafette
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15 juin 2008

Frôlures

9782742773510"J'aurais voulu la toucher. La chose me paraissait impossible. J'ai avancé ma main et je l'ai posée à côté de la sienne. Tout près. Sur la table.
- La frôlure... elle a dit en regardant ma main, et je me suis demandé si ce mot que je n'avais jamais entendu existait vraiment ou si elle venait de l'inventer.
La frôlure. Ce moment ineffable.
Bientôt je ne la verrais plus. Je le savais. Parce que j'allais partir. Qu'elle allait mourir.
- J'ai aimé cela de vous, votre étonnante simplicité.
- Vous le dites au passé...
Oui, c'était cela, je parlais d'elle au passé. Je parlais d'elle, avec sa voix."

Pas gai tout ça, me direz-vous...
Mais Alice, la vieille femme qui invente de si jolis mots, est une ensorcelleuse. Et elle a jeté son dévolu sur le narrateur pour en faire le dépositaire d'une histoire. Elle aurait pu choisir de se taire à jamais comme sa soeur Clémence qui, elle, un soir de Noël lointain a décidé de se faire muette.
Non, Alice jette des mots comme d'autres lancent des sorts, elle raconte des histoires de voyages, la fuite de l'Europe en guerre et la longue traversée sur un vieux rafiot jusqu'à New-York, l'épopée au pays des Indiens Hopi, en Arizona où elle séjourna avec son père, photographe et amis des surréalistes réfugiés comme lui sur la côte Est.
Elle entraîne sur les pas de Breton venu là lui aussi, à la recherche de savoirs invisibles. Elle dit la vie, la mort d'un peuple décimé.

Au coin du feu dans sa maison de la côte normande, elle réveille les sages qui martellent de leurs pieds la poussière des mesas afin d'invoquer les hommes-nuages qui feront tomber la pluie. Avec parcimonie, elle exhume de ses armoires des trésors, carnets, photos, correspondance, objets sacrés aux faciès inquiétants.
Le narrateur, tour à tour appâté et rejeté, comme hypnotisé, se laisse prendre au piège et navigue à vue. Réalité ou fabulation ? Peu importe, le charme opère dans cet entre-deux.

"- Je ne viens plus là depuis longtemps.
Les murs étaient recouverts de livres. Un grand escabeau sur lequel il fallait monter pour atteindre ceux qui étaient tout en haut. Des tapis. Des tableaux contre les murs. Au milieu de la pièce, le bureau de son père. En face, une armoire. Elle a posé sa main sur la clé.
- Tout est là-dedans.
Elle a tourné la clé.
- Je ne sais pas pourquoi je vous montre tout ça. Sans doute je ne devrais pas...
J'ai cru qu'elle allait ajouter quelque chose mais elle n'a rien dit. Elle m'a tendu la lampe.
- Vous avez cinq minutes.
Elle est allée s'asseoir au bureau."


Dans l'autre vie, celle des vacances familiales et d'un certain laisser-aller, des maillots claquent sur le fil à linge, des vélos posés contre la barrière, des pelles et des seaux éparpillés sur la terrasse. Des enfants jouent et rient pendant qu'un couple prend l'eau et sombre à bas bruit.

Deux magnifiques rencontres.
Celle d'une vieille dame grincheuse et chafouine et d'un jeune mec un peu paumé dans les méandres de sa vie. Celle d'une auteure qui sait caresser son lecteur avec la douceur d'une plume et l'entraîner dans la simplicité des sentiments comme dans la violence des émotions les plus terribles.
Cette lecture a déposé des frissons sur ma peau; de ceux que l'on ressent à l'évocation des beaux souvenirs qui ne sont plus mais qui flottent, encore et toujours, autour de notre existence tels des électrons nous éloignant ou, au contraire,  nous attirant vers ceux des autres. Ainsi parfois, une étincelle suffit, ça produit des petites explosions. Alors se révèlent des réminiscences qui se fardent de pudeur avant d'éclore en magnifiques fleurs de mémoire.

"Il y a ce que nous comprenons, tout ce que nous sommes capables de transcrire en essayant d'être au plus près. Et puis il ya le reste. Tout le reste. Le monde des apparences, des silences. La vastitude de l'innommable.
Ce monde est intranscriptible. Il répond à une autre logique. Parfois même, il n'y a pas de logique.
Il faut décoder.
Le déplacement imperceptible. Sans doute est-ce là ce fameux pas de côté cher à André Breton. La juste mesure à prendre pour avoir une vision différente.
Un pas peut suffire."

Laissez-vous allez à ces douces frôlures.

Comme KATELL et quelques autres.

Dans l'or du temps    Claudie Gallay    Editions Actes Sud Babel

 

hopidt6

 

 

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Commentaires
S
bon allez! celui là je le note !
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F
Je sens que ce livre devrait me plaire, en plus ça fait un petit moment que j'ai envie de lire cet auteur ! ;-)<br /> Bises et bonne soirée Mous !
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M
@Marie,tu penses bien que j'ai acheté "les déferlantes" illico ! et j'ai aussi commandé "seule,Venise"...<br /> Merci pour le lien; je trouve que cet article est un très bel hommage à son travail et le portrait de cette femme correspond bien à ce que j'osais imaginer d'elle. J'aime bcp cette idée qu'elle tourne la clé du portail dès qu'elle arrive dans sa maison, qu'elle s'enferme et se protège sur son île...<br /> @Katell,merci à toi de m'avoir donné envie de la découvrir !<br /> @Nanne,une douceur parfois un peu trompeuse, mais d'une ravisante simplicité.
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N
Une très beau livre et une très belle critique qui donne le frisson et l'envie d'en savoir plus sur cet ouvrage. Sous le charme d'une écriture poétique. Merci Moustafette pour cet instant de douceur dans un monde qui en manque de plus en plus...
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K
Ravie de lire que tu as été charmée par l'écriture de Claudie Gallay qui gagne à être connue et lue et dont on ne parle pas assez!!!!
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