Pour Mère Défaillante,
Ou comment un simple acte notarié fait rebrousser chemin à la mémoire et parcourir des sentiers où l'enfance peut craindre de se perdre à jamais, risque d'autant plus grand quand on a une mère psychiquement malade mais que personne ne vous le dit.
Afin de signer une donation de leur vivant, un couple et ses deux filles adultes se retrouvent devant notaire, mot, dailleurs, qui à lui seul en dit long sur l'histoire ! Pour la narratrice, une des filles, c'est l'occasion de conjuguer le verbe "hériter" et de décliner les mots don, abandon, pardon.
Elle sait dire l'insécurité et le mystère qui entoure les fréquents séjours en maison de repos, la fragilité du sentiment de vie face aux sautes d'humeur et à la raison qui vacille, la culpabilité devant l'impuissance à aider cette mère imprévisible et l'effacement de soi afin de ne pas accabler davantage un père désemparé.
Quel ressenti éprouve l'enfant lorsqu'il constate qu'un jardin ou de vieux meubles, bien mieux que les relations familiales, comblent une mère qui sait alors trouver les mots pour dire son attachement et les gestes pour prendre soin des arbres ou de quelque commode, mais reste en apparence insensible à la présence des vivants ?
"La version de Papa était toujours la même: "Votre mère est une personnalité haute en couleur. Elle a, comme tout le monde, des hauts et des bas, mais comme c'est une Italienne, les hauts sont plus hauts et les bas plus bas..." Stop, c'était fini, ça s'arrêtait là. Il n'aimait guère parler en général. C'était un méditatif, un silencieux. Au fil du temps, il s'effaçait peu à peu lui aussi."
L'auteur aime les mots justes, en joue souvent avec humour et s'en délecte. Un point à l'endroit, un point à l'envers, passé et présent se répondent pour tisser un récit à la trame sensible et pudique, mais également d'une grande justesse clinique. Avec en arrière-fond, la crainte d'avoir reçu et, peut-être celle aussi, de transmettre ce petit gène qui fait la différence.
Entre réalité matérielle et inscription dans la chaînes des générations, la symbolique de la donation s'inscrit ici comme un révélateur. Celui d'un acte enfin posé par une mère qui n'a pas encore dit son dernier mot...
"Je me suis dit qu'en effet, nue-propriétaire ça n'était pas si mal. On a et on n'a rien. "Tout ce qu'on a , c'est ce qu'on n'a pas." Et rien n'empêche de bâtir sur ce manque, comme dans la vie. Finalement, cette métaphore me convient, ai-je pensé. Je la garde..."
* Ces trois lettres furent, dans un temps pas si lointain, signe d'un funeste diagnostic.
Depuis l'avènement du dsm IV, la bible de la psychiatrie américaine qui tend à classifier l'esprit humain et ses dérives via des grilles de symptômes, on parle de troubles bi-polaires; ça fait moins peur que Psychose Maniaco-Dépressive. C'est une pathologie caractérisée par une alternance de phases d'exaltation, d'agitation, et de périodes d'abattement, de dépression.
Funeste diagnostic car qui dit PMD, dit traitement à vie, avec les inévitables et désagréables effets secondaires des médicaments.
Autre inconvénient majeur, le caractère héréditaire de cette maladie.
La donation Florence Noiville Editions Stock