On the road again
Bernard, la quarantaine désabusée, rentre en France après quinze ans passés à vadrouiller de par le monde.
Tout naturellement ses pas le mènent vers les siens. Il ne sait pas trop ce qu'il vient chercher dans ce petit village de Charente, d'autant plus qu'il n'a pas quitté la famille en très bons termes et qu'il a été plutôt avare côté cartes postales ...
"Voilà, j'étais revenu. J'allais dormir à nouveau ici, d'où j'étais parti et où j'avais abandonné mon enfance. Là, j'étais passé de l'état de têtard d'homme à celui d'adulte, j'avais imaginé des existences qui ne m'intéressaient plus, étreint des rêves aujourd'hui ménopausés. Depuis, je m'étais métamorphosé en une espèce d'étoile filante qui regardait la vie sans y participer vraiment. Ermite en la vie même. Drapé dans la certitude de l'inutilité de toute acquisition, de tout entassement, de toute construction, de toute procréation. Une fois pour toutes, j'avais décidé de profiter de moi, d'être à moi-même mon propre royaume, mon meilleur ami, de jouir de mon corps et de ma vie, d'être le ver et le fruit."
Une fois que mère et soeur eurent reconnu ce grand énergumène comme leur fils et frère, Bernard s'aperçoit vite que peu de choses ont changé. Certes le père est mort, d'ailleurs on ne manque pas de lui faire remarquer que sa longue abscence y est pour beaucoup, certes la frangine lui fait cadeau d'un beau-frère charentais pur jus, certes il se retrouve tonton de deux ados plus ou moins conformes, mais dans le fond, tout ça ne l'émeut pas des masses, son sentiment d'appartenance ne s'étant pas magiquement régénéré aux antipodes !
Bernard restera quand même une petite année à végéter dans ce microcosme familial, histoire de renforcer les bases de sa philosophie j'menfoutiste, de jouer avec les nerfs des uns et des autres, de se plonger à nouveau dans la vie étriquée et les eaux troubles des sentiments, façon comme une autre de confirmer son peu d'attachement.
Rien de mieux qu'un retour aux sources pour s'assurer qu'on a bien fait d'emprunter les chemins de traverse.
"Mes parents sont morts, voilà une bonne chose de faite."
Inutile de vous dire que j'ai adoré ce vieil ado caractériel au cynisme cinglant, drapé dans sa belle indifférence et son autosuffisance.
Le ton est vif, l'humour défensif. Lorsque la nostalgie ose pointer son nez, elle est rapidement priée d'aller se faire voir ailleurs. Quant à la fragilité des êtres et des sentiments, elle sait suffisamment se parer de drôlerie et de poésie pour ne pas être déprimante.
Reconnaissons que ce petit monarque de lui-même est une tête à claques perclus d'une délicieuse mauvaise foi, et que plus d'une fois on le foutrait bien à la porte à grands coups de pied au cul. Heureusement, il peut aussi poser son regard hautain sur sa modeste personne et s'appliquer à lui-même de sévères constats. Mais ça n'ébranle en rien ses certitudes car il sait qu'au fond... c'est lui qui a raison !
On s'embrasse pas ? Michel Monnereau Editions La Table Ronde