L'art de se perdre
Les étoiles ont toujours jalonné les errances de la narratrice.
Tout bébé, ses parents l'oublient déjà dans la nuit colorée d'une fête foraine. Le regard rivé au ciel, elle attend qu'un homme la sauve de l'hypothermie.
Plus tard, l'enfance l'entraîne sur les chemins buissonniers. Elle se perd, se retrouve. Lorsqu'elle ne court pas les bois et les champs, son esprit s'évade sur les grandes cartes de géographie accrochées au tableau noir ou dans les images du chocolat Poulain.
Adulte et jeune mère de famille, elle est de plus en plus souvent fantasque, voire étourdie, au point que son mari s'en inquiète et la décide à consulter. Le verdict sera sans appel. Une tumeur étoilée germe sous sa boîte cranienne.
"Le cerveau s'attriste. Il est dans la lune, prend la poudre d'escampette comme autrefois, rêve de lumières foraines, de constellations, de petites mûres sauvages...
Et le cerveau se suicide."
La narratrice ne tarde pas à tomber dans le coma, pour une ultime errance.
Inconsciente mais réceptive, la jeune femme travestit la réalité hospitalière et dérive dans un monde onirique. Elle navigue entre souvenirs récents et méandres du passé, elle revisite les siens, vivants ou disparus. Mais inexorablement, plus sa conscience s'enfonce, plus elle remonte vers les strates primitives de la mémoire, du côté des temps originaux, là où le refoulé ne fait plus loi, dans un labyrinthe où loin d'être seule, elle retrouve les empreintes d'êtres oubliés, personnages réels ou imaginaires qui l'aideront à apprivoiser l'inconnu pour finalement désapprendre à vivre.
"Un temps suspendu aux étoiles, déjà mortes. Des fils invisibles relient alors nos âmes aux mousquetons dans le ciel. Plus rien ne soudoie la nuit autour de moi.(...) Tout est calme, silencieux, engourdi de néant. La paire de ciseaux remisée dans la boîte à couture de la nymphe. Et la nymphe endormie. C'est terrible le silence du monde dans le jardin des hommes."
Une pincée de fantaisie, un grain de folie, quelques gouttes d'humour, un grand souffle d'onirisme. Recette magique et indispensable pour faire la nique au drame et clouer le bec à la faucheuse.
"Trois femmes en blancs m'enveloppent d'une cape de lumière. Il n'y a ni étoiles ni vent, et ça ne fait pas mal."
Les bois dormants Fabienne Juhel Editions du Rouergue