Cot cot cot !
Eva a seize ans lorsqu'elle épouse Hans après la Grande Guerre, et qu'ils s'installent dans une modeste ferme du sud de l'Allemagne.
Hans s'occupe du bétail et des quelques acres de champs qu'ils possèdent, avant de rejoindre l'atelier où il travaille comme tailleur de pierres. Eva s'occupe du potager, du poulailler, de la maison et de ses deux enfants.
On est en 1936. La machine de guerre est déjà en route, et Hans est mobilisé. Il intègre l'armée en laissant consignes et recommandations, afin que femme et enfants s'en sortent pour le mieux face à un contexte économique qu'il pressent difficile.
"A l'époque dont je parle, les choses évoluaient autour de nous mais nous étions trop surmenés pour nous en rendre compte. Et, soyons honnêtes, cela nous intéressait médiocrement.(...)
Un après-midi, un employé du Bureau gouvernemental du ravitaillement se présenta et inspecta l'exploitation. Il m'informa que nous pourrions avoir droit à des avantages.(...) Pour bénéficier de ces nouveaux avantages, il fallait produire nos extraits de naissance et ceux de nos parents."
La vie s'organise sans Hans et sans l'aide des enfants qui, adolescents, se donnent corps et âme au mouvement Hitler Jugend auquel il est mal vu de ne pas adhérer. Eva se retrouve donc seule à la tête de la ferme et décide de développer son commerce des oeufs, en allant faire les marchés plusieurs fois par semaine. C'est dans son poulailler qu'elle découvre Nathanaël, étudiant juif expulsé de l'université, et évadé du camp de Mauernich.
"Je me demandais pourquoi il avait eu des ennuis à l'université mais le courage de lui poser la question me manquait.(...) Pendant les premières semaines qui suivirent l'arrivée de l'étranger, je vaquai à mes tâches quotidiennes. J'étais à tout instant très consciente de sa présence, mais je n'avais pas de difficulté à me comporter comme d'habitude, car je ne connaissais pas d'autre façon d'être."
Il y restera près de deux ans. Et participera à la prise de conscience d'Eva, face au désastre qui se prépare.
Grâce aux marchés, Eva s'ouvre aussi sur le monde qui l'entoure et sur ses incohérences. Elle devient experte dans l'art de la fausse compromission et de la dissimulation.
Mais surtout, elle s'ouvre à elle même, sous l'effet conjugué des caresses et des mots de Nathanaël.
"Le changement n'était pas immédiatement perceptible mais je savais qu'il survenait. Mes pensées, qui se réduisaient jusqu'alors à me rappeler ce que j'allais devoir faire juste après, je les entendais prendre dans ma tête la forme de dialogues. En remontant le seau du puits, en grattant les légumes du ragoût, je débattais avec tel ou tel sujet. Je pensais à Nathanaël. Je m'interrogeais. Lentement mon intelligence devenait plus concrète et ce que cela signifiait se clarifia."
Eva comprend aussi que ses enfants endoctrinés n'auraient aucun scrupule à la dénoncer, s'ils venaient à découvrir la vérité sur les agissements de leur mère. Fine mouche pleine de bon sens paysan, elle saura tirer parti de leur fanatisme.
Car au sud de l'Allemagne, au-delà de la Forêt Noire, il y a la Suisse...
Inutile de dire que j'ai énormément apprécié le portrait de cette femme simple et pleine d'humanité. On ne s'ennuie pas un instant en sa compagnie.
Puisse le récit de sa lente transformation, qui va de la naîveté à l'engagement en passant par la découverte de la sensualité, vous émouvoir autant que moi !
La coquetière Linda D. Cirino Editions Liana Levi-piccolo